J'avoue que si cet article ne m'a pas du tout "révoltée", j'ai trouvé assez curieux qu'il semble être une bonne idée sur MadmoiZelle de "glorifier" les conditions de vie difficile de ses rédactrices
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Je n'ai jamais été choquée que MadmoiZelle paye ses rédactrices au SMIC, je comprends parfaitement que les fonds manquent mais ça m'a toujours paru ok pour une raison :
@Fab a l'air 100% ouvert à l'idée de recruter des personnes très jeunes, sans expérience ou sans diplôme, de leur donner un vrai contrat plutôt qu'un stage, de les former entièrement en les payant comme un vrai salarié, et de leur permettre de rebondir vers un contrat bien meilleur ensuite dans une autre boite.
Pour moi, le CDD au SMIC de MadmoiZelle c'est un peu le modèle auquel beaucoup d'entreprises devraient revenir au lieu d'insister pour que tout le monde ait 5 ans d'expérience de stage avant d'arriver sur le marché du travail : on commence par un job pas super bien payé en bas de l'échelle et en partant de rien, ni stage ni diplôme prestigieux, et on gravit les échelons grâce à ce qu'on apprend en poste.
Mais ça m'embête déjà plus de se gargariser de ce modèle quand on parle d'une rédactrice qui a l'air d'avoir une certaine expérience, d'avoir plus de 20 ans et d'avoir un diplôme relativement prestigieux. Enfin, elle fait les choix qu'elle veut mais ça me pose problème d'en faire un article "feel good" car non "le marché du travail est comme ça" n'est pas un argument
La suite est un peu mon expérience sur le sujet de l'article plus qu'une réaction directe à l'article (et ça n'a plus de lien avec MadmoiZelle en soi hein
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, c'est plus une réflexion sur les choix de vie professionnelle).
Perso, je voulais aussi faire un métier passion. Il fut un temps, quand j'avais pas loin de 20 ans, je clamais haut et fort que l'argent n'avait aucune importance tant que le job était passionnant. J'ai fait des stages absolument non rémunérés que je devais financer en travaillant en parallèle. Oh, oui, c'étaient des expériences fantastiques parce qu'en fait, je faisais un vrai job passionnant GRATUITEMENT.
Je me souviens encore de cette fois où on était 3 stagiaires à nous être défoncés pour organiser de A à Z un événement dans une autre ville auquel traditionnellement les stagiaires participaient. Et le boss, dont le bureau était juste à côté du nôtre, nous a envoyé un mail quelques jours avant l'événement, sans même prendre la peine de passer la tête par la porte, pour dire que désolé mais il aurait l'air de quoi s'il dépensait autant d'argent pour héberger et déplacer des stagiaires jusqu'à l'autre ville alors qu'il doit veiller sur les finances de la structure, ça coûtait trop cher donc on n'irait pas. LOL, on coûtait trop cher à être gratuits!
Mais moi, je comprenais son choix, c'est le secteur, c'est difficile, on accepte ses conditions, c'est déjà génial d'avoir eu la chance de participer à la création de cet événement, on accepte de pas pouvoir changer ses chaussures trouées par temps de pluie parce qu'on n'a pas les moyens d'en acheter des nouvelles car c'est si passionnant comm milieu! C'est mon choix, ma passion, il y a bien plus important que l'argent et le matérialisme!
Après une période de chômage, j'ai accepté un job pas passion du tout où je me suis ennuyée follement mais dans un cadre intéressant, et je me détestais de faire un boulot pour de l'argent. En rentrant de cette expérience, j'avais un tout petit peu changé d'état d'esprit. Après avoir vécu très confortablement en ayant zéro valeur ajoutée pour ma boite, j'avais un peu de mal à comprendre comment on pouvait exiger des expériences de folie pour en retour me payer un SMIC subventionné. Si on m'avait payée à servir à pas grand-chose, pourquoi on refusait de me payer à servir à beaucoup? Donc j'ai tordu la bouche sur plein d'offres parce que non, je me voyais mal perdre 50% de mon pouvoir d'achat pour des raisons qui me paraissaient pas du tout justifiées.
J'avais soudain l'impression que le "on n'a pas les moyens" était un manque de respect envers moi plutôt qu'une dure réalité, et le chômage a duré, duré... et j'ai accepté un autre job pas passion, et je me suis détesté à nouveau de faire ça pour l'argent. Certains de mes amis me faisaient la morale sur le fait qu'il fallait suivre ses rêves et tout, et ça me déprimait.
Et il se trouve que je suis prestataire de service (salariée) et je fréquente beaucoup de structures et d'entreprises, dont beaucoup très "capitalistes". Récemment, j'ai été envoyée dans une structure dans laquelle j'aurais REVE travailler. Mais vraiment. C'était une structure pas pour le profit, intéressante, pour faire changer le monde etc. Et pourtant, PIRE EXPERIENCE DE PRESTATION depuis que j'ai commencé le job.
Les gens étaient gentils hein, ils me claquaient la bise, me disait "ça va Morgane?" comme si j'étais leur meilleure pote, super collègues je sûre, et c'était intéressant, mais les conditions de travail étaient ignobles et le pire, c'est que je voyais très bien qu'elles pouvaient être facilement meilleures mais non, les gens avaient tellement l'habitude de se dire "c'est comme ça, c'est un job passion, on accepte que le reste soit pas top" qu'ils ne voyaient même pas les problèmes.
A un moment, une jeune salariée est venue me voir, elle voulait que je me mette dans des conditions de travail encore pires. J'étais déjà très énervée de la manière dont on me traitait (je peux vous assurer que les énormes multinationales bien capitalistes n'auraient jamais osé me traiter comme ça), j'ai répondu à la fille que ce n'était pas normal qu'elle me demande ça et que j'avais besoin d'un minimum de conditions décentes. Elle m'a regardée, OUTREE et elle a répondu "Mais Madame, nous sommes tous dans la même situation! Nous subissons tous ces conditions!". Et ça m'a vraiment héberluée que ça lui paraisse être l'argument à me dire pour fermer mon clapet!!! Moi j'en avais rien à foutre de ses conditions à elle, c'est pas parce que tout le monde accepte un truc anormal que moi je dois l'accepter!
Mais ça m'a montrée à quel point le côté "passion" est parfois un écran de fumée pour accepter toutes sortes de choses inacceptables. Ces conditions de travail, vraiment, on aurait pu facilement les améliorer mais personne ne semblait s'en rendre compte, comme si ça faisait partie de package passion que de galérer!
Par exemple, pour moi, avoir un siège où on est correctement assis quand on utilise un ordinateur, pouvoir manger à midi ou avoir accès aux toilettes et à l'eau à tout moment, ça me parait un peu la base que n'importe quelle boite exploitatrice du CAC 40 fournit à ses salariés. Mais là, non, pour eux c'était superflu tout ça, et ça m'hallucinait complètement de voir dans quel monde j'avais vécu et ce que j'avais toléré alors que c'était vraiment pas normal.
Cette expérience m'a montrée aussi qu'au final, j'avais pas fait un si mauvais choix de renoncer à ma passion pour l'argent. Parce que ça ne m'a pas apporté que de l'argent en fait, ça m'a aussi apporté des exigences, un sens de la valeur de ma personne en tant que travailleuse, ça m'a appris à fixer de nouvelles limites. Je pense que j'aurais raisonné comme la jeune fille avant : au diable les conditions de travail si on aime ce qu'on fait et comment des gens peuvent-ils se plaindre alors que notre but est si noble et que des millions d'autres voudraient être à notre place!
Mais finalement, mon travail actuel, j'ai fini par en voir l'intérêt et j'ai surtout fini par comprendre qu'il m'aidait à me rapprocher d'un truc qui pourrait me passionner, et pour lequel je serais décemment payé. Au final, mon sacrifice à moi, ça a été ça : j'ai renoncé à ma "passion" temporairement pour ne pas me brader, et après quelques années dans cette non-passion, j'ai acquis ce qu'il fallait pour avoir les jobs passion bien payés, et j'ai réalisé que la passion n'est pas toujours là où on croyait à 20 ans.
Je pense que ça devrait être une des leçons qu'on passe à la jeunesse qui galère, justement. Non, ce n'est pas une fatalité, on n'est pas obligé de choisir entre aimer la vie et payer son loyer, il y a d'autres manières que de manger des pâtes au SMIC pour arriver où on veut professionnellement.
Une de mes meilleures amies bosse dans la culture, un truc passion qu'on fait après un diplôme d'art et pour lequel beaucoup sont mal payés, et elle est pété de thunes parce qu'elle a eu un enfant jeune et qu'elle n'avait pas les moyens d'être payée au SMIC. Alors au lieu de se dire "quelle expérience formidable, quelle opportunité rare, j'y vais même si c'est très mal payé" quand on lui a proposé des trucs pas gratifiants financièrement, elle a commencé par des trucs rémunérateurs ingrats qu'elle pouvait faire avec son diplôme, ce qui lui a permis de trouver le filon pour vivre bien de sa passion.
Donc voilà, je suis moyen fan de la galère ce choix de développement personnel (l'une des catégories de l'article) comme concept en fait
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