la plupart des quartiers qui craignent sont habitées par des personnes d'origine étrangère ("racisées" comme on dit, mais je déteste ce terme).[...]
CF. notamment la pétition qui avait circulé en 2017/2018 contre le harcèlement des femmes dans le quartier de la Chapelle à Paris, où vivent beaucoup de migrants et d'hommes d'origine maghrébine :
http://www.leparisien.fr/paris-75/p...-la-situation-a-empire-31-10-2018-7932534.php
Mais là justement il n'y a pas une généralisation personnes racisées = migrants récents d'origine maghrébine?
Et aussi une généralisation agressions physiques = harcèlement de rue ?
Parce que là tu parles d'un cas qui concerne une partie spécifique des personnes racisés (grosso modo, des migrants récents, "blédards" et précaires, venant du Maghreb) et une partie spécifique des agressions physiques (le harcèlement de rue).
Pour le cas de la Chapelle (qu'on retrouve aussi, mais moindre je pense, dans d'autres villes de France) je pense que c'est comme les attouchements massifs à Cologne : explicable (et non pas excusable) par une combinaison de plein de facteurs, qui ont à trait à plein de choses différentes. Voici mes suppositions :
- le chômage : les mecs qui tiennent le mur quasi 7 jours sur 7 c'est qu'ils ne travaillent pas ou peu, du coup ceux qui harcèlent ont plein de temps et d'occasions pour le faire
- la précarité, c'est pour ça que je parle de "blédard s", terme qui désigne pas les étudiants maghrébins par exemple (sur d'autres topics ça racontait que l'aspect "drague de rue" il peut se comprendre, tout le monde n'a ni l'argent, ni les codes pour aller en salle de sport, sur Tinder, dans des clubs, etc, ça parlait aussi du boulot ou de la fac...). On a beau dire, le statut social, ça compte : sans travail, sans forcément bien parler français, sans forcément toujours des papiers, sans perspectives et avec le racisme, ça joue sur la question de la drague. Et du harcèlement sexiste aussi : quand tu es "rien" sur l'échelle sociale, la possibilité d'exercer ta domination quand tu le peux, avec ce que tu as, c'est à dire ton statut d'homme, le fait d'être en groupe dans certains cas, l'indifférence voire l'aveuglement des autres hommes (au début de MeToo et encore maintenant qu'est-ce qu'on a pû entendre "c'est juste de la drague / ah bon t'as déjà été harcelée dans la rue ma chérie?! / du harcèlement tous les jours dans la rue ? N'importe quoi, vous fabuleuse / fallait pas mettre de jupe" et la même attitude de la part de la police) peut sembler séduisante (se venger sur les femmes de son faible statut social c'est pas spécialement nouveau, on domine plus "faible" que soi)
- une vision sexiste des relations hommes-femmes (ça en France on connait aussi
) ajoutée à une honte de la sexualité qu'on retrouve (je trouve) bien plus marquée dans certaines régions du Maghreb qu'en France : injonctions contradictoires "les femmes non-vierges sont des p*tes" mais comme partout "un homme un vrai ça couche", l'interdiction de la sexualité hors-mariage (entre autres, interdiction de louer un appartement ou une chambre d'hôtel à un homme et une femme non mariée, interdiction de s'embrasser en public si tu n'es pas marié, suspicion généralisée envers les femmes qui veulent vivre seules à partir d'un certain âge donc refus de location, etc), dans les lois (prison pour les jeunes du "baiser de Nador" par exemple, un couple de jeunes non mariés à Nador (Maroc) qui a posté une photo d'eux s'embrassant sur Facebook), mais aussi dans la religion ("c'est péché") couplée à la précarité (être un "bon-parti", le mariage coûte très cher, les hommes se marient de plus en plus tard, après 30-35 ans c'est pas rare), pression sur l'habillement des femmes dans certains coins (je pense que dans certaines régions statistiquement il y a beaucoup plus d'hommes qui justifient ou excusent les agressions envers les femmes qui s'habillent "pas comme il faut", sortent seules, etc qu'en France, où il y a déjà cette idée là de présente depuis des lustres), la ségrégation spaciale marquée entre les genres (pour Sevran ça a l'air de bullshit mais dans certains coins du Maghreb les cafés 100% hommes où aucune femme n'ose s'asseoir car ça clignote implicitement que c'est pas pour elles c'est pas ce qui manque par exemple) qui peut renforcer l'idée, dèjà présente en France depuis longtemps, que les femmes ne sont pas les bienvenues dans la rue et donc qu'il est "normal" qu'il leur arrive quelques chose. Bref, si on parle "culture d'origine" concernant le sexisme et la sexualité, j'ai l'impression d'une combinaison entre sexisme plus prononcé sur certains aspects, misère sexuelle, honte (paradoxale) du corps (le sien, celui des femmes) et de la sexualité.
Kamel Daoud est paaaaas hyper populaire ici, pour Leila Slimani je ne sais pas, mais je trouve qu'ils ont le mérite de poser certains constats qui, je trouve, explique certaines choses dans le cas d'hommes immigrés du Maghreb et en situation de précarité. Mais comme dit au début de mon post c'est pas forcément pertinent (voire pas du tout) de le transposer à d'autres catégories de personnes racisées , et surtout ils expriment eux aussi le fait que c'est multifactoriel, pas juste LA culture et / ou LA religion, mais tout plein de choses ensemble. Lire par exemple
"Leïla Slimani : "il est réducteur de lier la question de la misère sexuelle seulement à l'islam"
Bref je pense qu'on ne peut pas balayer d'un revers le main les fameux "c'est à cause de leur culture", "c'est à cause de leur religion" car ça peut être en partie le cas... sauf que c'est pas les seules raisons (et donc dire ça c'est juste raciste).
Et aussi garder en tête qu'on parle en général et de statistiques : tous les hommes précaires arrivés du Maghreb qui "tiennent le mur" ne harcèlent pas , tout comme ces causes se retrouvent aussi à divers degrés dans plein d'autres catégories de population, dont les Français sans origine immigrée récente, mais ça peut jouer in fine sur les statistiques quand il y a une concentration de ces mecs (dont certains harcèlent) dans certains quartiers. La culture du viol à la française, le harcèlement sexuel et sexiste dans d'autres contextes impliquant d'autres catégories d'hommes (au boulot, dans les transports, sur les routes de campagne, etc), c'est tout aussi problématique, même si ça touche d'autres lieux et d'autres milieux.
Je ne pense pas non plus qu'on puisse en tirer des conclusions que "la" culture ou "la" religion (et on tombe dans le racisme quand on le fait) : par exemple la culture du viol à la Française se porte encore très bien, certains pays ont des types de sexismes qu'on ne connait peu qu'en France (par exemple j'ai lu récemment un article sur
la pratique du "molka" en Corée du Sud, qui a pas l'air d'être si commun en France) et pourtant on ne fait pas du sexisme dans ces pays(bon là je parle de la France) LA culture du pays, pays qu'on va voir uniquement par ce prisme. Bref, des nuances, des combinaisons de facteurs, etc.
Édit: aussi, d'après moi, c'est pas figé: les sociétés et les mentalités évoluent sur plein de choses, dont la question du consentement (on peut prendre l'exemple du viol conjugal pénalisé depuis pas si longtemps en France, l'idée même de "culture du viol" dont quasi personne n'avait entendu parlé il y a 10 ans, etc), l'éducation (de tous) est en partie une solution.