@Sadala En très gros, en France on dit, avec l’universalisme, que tous les citoyens, peu importe leur couleur de peau, sont égaux face aux institutions. Qu’il n’y a pas de racisme, étant donné que l’on considère que ce qui fait notre pays est la nation, une culture commune, indépendamment de nos "différences". On est colorblind. Ça, c’est sur le papier, et ça part probablement d'une bonne intention. Sauf que dans la réalité, on le sait, ce n’est pas le cas : du point de vue factuel, puisque les personnes composant la population française peuvent être de différentes cultures, mais également du point de vue du racisme, dans le sens où oui, en fonction de notre couleur de peau, on subit bel et bien des discriminations. Sauf que l’on ne veut pas le reconnaître : le colorblind « positif » de l’égalité (on ne voit pas les couleurs, donc le racisme n'a pas lieu d'être) se transforme en colorblind invisibilisant les discriminations. On part du principe que les discriminations liées à la couleur de peau n’existent pas. Par conséquent, voir Assa Traoré en Une d’un journal français en tant que personne de l’année serait peu probable étant donné son combat qui dit que oui, en France il y a du racisme, oui en France on n’est colorblind que quand ça nous arrange.
Les sociétés multiculturalistes, elles, sont à l’opposé de l’universalisme. Elles ne sont pas colorblind et ne se fondent non pas sur une culture commune mais sur des cultures, avec leurs différencs. Les différences font la société : on revendique le droit de vivre selon sa culture, selon sa « différence », et non pas, comme dans l’universalisme, selon la culture commune partagée par toute la population propre à l’histoire du pays (sans compter qu'en France on a décidé de ne raconter que certains pans de notre histoire). En ce sens, les sociétés multiculturalistes ne comprennent pas l’universalisme, notamment avec la notion de laïcité, qui apparaît comme l’interdiction de la différence (religieuse). D’où les critiques sur la France dans les médias anglo-saxons.
C’est là qu’intervient la dimension favorable au multiculturalisme dans la comparaison Traoré/Floyd de la Une : les personnes racisées en France souffrent du fait que leur pays ignore les discriminations et le racisme qu’elles subissent au nom de l’universalisme. Ainsi, le multiculturalisme peut apparaître comme la solution à ce problème : c’est ce que les Etats-Unis ont compris. Donc, mettre Assa Traoré en Une du Time, au-delà de reconnaître son combat, c'est aussi dire aux personnes subissant le racisme en France "nous, qui sommes multiculturalistes on donne de la visibilité au combat d'Assa Traoré". Pour la visibilité du combat d'Assa Traoré et plus largement pour les luttes antiracistes en France, c'est une très bonne chose. Or, comme je l'ai dit, je doute que les Etats-Unis soient dans une démarche purement humaine et sensible aux combats antiracistes de la France, étant donné leur histoire en terme d'influence culturelle dans le monde. C'est pour cela également que j'ai lié ça au wikileaks : il n'y avait rien de choquant d'un point de vue diplomatique, mais les propos sont très parlant sur leur désir d'influence d'un point de vue multiculturaliste. Une influence quelconque, même sur un problème aussi grave, n'est synonyme en géopolitique que de profit, à un degré plus ou moins grand et à plus ou moins long terme. Mais après, une influence n'est pas forcément négative pour l'influencé : l'important, c'est surtout d'en être conscient.
J'ai simplifié à l'extrême sur l'universalisme/multiculturalisme, il y aurait encore beaucoup de choses à dire d'un point de vue historique. Après rien ne dit que j'ai raison évidemment, ce n'est que mon opinion. J'espère que c'est plus clair en tout cas !
(je précise au cas où : je ne critique pas un système ou l'autre, mais plutôt leur utilisation d'un point de vue stratégique de la part de puissances économiques)