reign;4440002 a dit :
Regarde tout autour de toi, et dis toi que une personne sur cinq, (moins si tu habites dans l'Ouest de la France ou dans une grand ville, plus si tu habites dans le Sud-Est ou le grand Est) a voté Front National lors de la dernière présidentielle, et qu'elle partage surement entièrement ce ras-le-bol, peut-être faux ou pipeauté, certes, mais significatif d'une peur du déclassement, d'une augmentation de la ponction fiscale plus que significatives ces dernières années (quinquennat Sarkozy inclus), d'une baisse des aides, de très peu de recul par rapport à ce qui peut se dire dans les médias.
(...)
Ta lettre elle est bien jolie, elle t'aurais surement permis une tribune dans Libé des année 90, d'être invité à une université régionale de SOS Racisme ou autre, mais c'est fini ce temps-là, le "cordon sanitaire", le front républicain" et la facilité en un mot. Maintenant un électeur du front national, il faut débattre avec lui, lui démontrer pourquoi il a tort (si il est agriculteur, lui dire que l'Europe, c'est la PAC et que c'est surement une bonne partie de ces revenues et qu'être pro-FN donc anti-europe en étant agriculteur, c'est très con, mais bon, ça c'est des trucs qu'on apprend dans les parties politiques, en faisant des marchés le week-end). Ça se fait assez facilement quand on s'y met, quand on a l'habitude quand le "vote de contestation" est devenu un "vote d'adhésion".
Le vote de contestation, on le change pas par contre, c'est le vote du "tous pourris", du "coup de pied dans la fourmilière", le vote que ce genre d'articles, que la diabolisation du front ne fait que renforcer.
Tu parles sans cesse de diabolisation et j'ai l'impression que tu n'es pas du tout pro-FN mais pour moi, parler de "diabolisation" c'est pile-poil rentrer dans le jeu du "le racisme est-ce acceptable?".
Cet article ne parle pas particulièrement du FN. Il parle des gens qui sont "décomplexés". Décomplexés de choses dont ils auraient eu honte il y a 20 ans et il ne s'agit pas simplement ici d'être contre l'Europe ou le RSA, il s'agit d'exprimer haut et fort ta haine et ton rejet de certaines catégories de personnes.
C'est vrai, il y a toujours eu beaucoup de gens racistes mais le fait qu'ils ne pouvaient pas exprimer légitimement ce racisme rendait inacceptables certains concepts.
Pour moi, Sarkozy et son équipe ont fait énormément de mal à la cohésion sociale par leur discours "décomplexé". Si tu jettes un coup d'oeil dans les rapports d'associations de protection du droit des étrangers comme la Cimade qui existe depuis la Seconde Guerre Mondiale ou les Amoureux au Ban Public, tu vois des tas de cas de discriminations et d'exclusions qui sont nées de la banalisation d'un certain discours.
Tu es hôtesse de caisse et tu vas dénoncer à la Police quelqu'un qui vient prendre une carte de fidélité dans ton supermarché et que tu soupçonnes d'être sans-papiers? Dans les années 80-90, cette seule idée t'aurait fait frémir et rappelé les heures sombres de l'Histoire de France. Depuis la fin des années 2000, tu commences à trouver ça plus acceptable parce qu'après tout, on t'a dit et répété que l'immigration était un énorme fléau qui nous tirait vers le bas... Est-ce que cette dénonciation ne serait pas un acte de civisme ou même carrément un acte patriotique pour sauver la France du naufrage?
Tu surfes sur le site du Point et tu vois un sondage qui te propose de répondre à une phrase polémique qu'un député a prononcé peu de temps auparavant. "Hitler a-t-il tué assez de Roms?". On te propose parmi d'autres options de répondre que tu n'oses pas le dire à voix haute mais que tu le penses tout bas. C'est vrai, tu n'aurais jamais osé te poser cette question mais là, c'est un magazine national qui te souffle la réponse et puis au fond, si un élu de la Nation dit ce genre de choses, c'est qu'il y a un fond de vrai, que cette pensée est tout-à-fait légitime, non?
Je n'invente rien, ce sont des faits véridiques qui se sont développées ces dernières années parce qu'on donnant une visibilité et un vernis de légitimité (presse "respectable", déclarations d'élus, interventions de personnalités connues etc.) à un certain discours.
On te formule des concepts que tu n'avais pas entendus avant ou de manière très vague, on te dit que c'est ok de discuter de ça comme de n'importe quoi d'autre, qu'au fond c'est un sujet comme un autre, qu'on peut débattre de tout ça, que le rejeter avec une mine de dégoût c'est "diaboliser" et que c'est autant une discrimination que ce qu'on veut t'empêcher de faire...
La parole raciste se libère et cette parole libère des pensées qui libèrent des actes.
A ce sujet-là, un article très intéressant sur le blog de Crêpe Georgette qui montre comment un certain vocabulaire médiatique est très probablement un résultat de groupes extrémistes organisés qui font ce qu'ils peuvent pour rendre acceptable les idées les plus racistes :
http://www.crepegeorgette.com/2013/07/23/quand-les-elements-de-langage-de-lextreme-droite-se-diffusent-sur-tout-lechiquier-politique/
Il devient difficile de poser fermement qu'un débat à base d'"islamisation", de "politiquement correct" ou de "on nous cache tout", "les juifs gouvernent le monde" ne nous intéresse pas. Les termes du débat nous sont imposés et ne pas vouloir y répondre fera de nous des "gens qui se leurrent" qui sont "dans la culture de l'excuse" (terme employé par Valls hier). Nous nous retrouvons donc - même pour nous y opposer - à discuter non stop des thèmes de l'extrême-droite.
Il y a des thèmes qu'il est bon de "diaboliser" parce qu'on continue ainsi à les rendre inacceptables, à les exclure du discours public, de la parole populaire, à refuser que leur résultat puisse devenir une réalité. Quand on commence à dire qu'on peut en discuter, on leur donne petit à petit vie.
Alors parler de "diabolisation" n'aide pas du tout : ça donne l'impression qu'on a d'un côté des politiquement corrects qui se croient les maitres du monde et impose leur loi aux braves citoyens qui n'ont pas le droit d'exprimer leur opinion légitime.
Chacun a le droit d'avoir une opinion politique et sociale, malheureusement, provoquer un musulman en lui disant qu'on va foutre du porc dans son couscous, ça n'a rien d'une opinion légitime qui mérite d'être dans le débat public : c'est de la haine raciale qui ne se débat pas.
Alors pour tous les Tontons un peu lourds qui ne se rendent pas forcément compte de la pente sur laquelle ils descendent, il est bon qu'il existe toujours des gardes-fous qui consistent à dire "non, ce que tu dis est inacceptable et je refuse d'en parler avec toi".