A la lecture de l'article, j'ai quand même la nette impression d'évoluer entre deux mondes.
Le monde militant auquel appartiennent en vrac Madmoizelle et surtout son forum, une partie des comptes Twitter que je suis/de mes contacts facebook, quelques ami-es, des bénévoles de différents assoces pour lesquelles j'ai œuvré, certains médias, beaucoup de sites de militant-es... C'est sûr que sur le forum ou en lisant des articles militants de ci de là, je vois nettement la mise en avant de la parole des concerné-es. En même temps, heureusement pour moi. Perso j'ai évolué et formé ma pensée critique dans un environnement culturel qui disait que l'homosexualité est un choix et la transidendité un trouble psychiatrique. Quelque part, heureusement qu'il y a eu un jour quelqu'un sur ce forum pour dire "ta gueule, écoute ce que les gens qui vivent ça ont à dire sur leur situation". A ce titre, les veilles permanentes sont un réel bienfait tant que tout le monde respecte la règle de "pas concerné-e, pas prioritaire" (ça ne veut pas dire que les non concerné-es n'ont pas la parole, mais qu'ielles ne sont pas prioritaires dans la prise en compte de leurs ressentis). D'ailleurs, le forum lui-même obéi à cette mise en avant de concerné-es, avec la règle de non mixité.
Là c'est un monde où, oui, parfois il faut être concerné-es et le justifier pour pouvoir l'ouvrir. Et c'est sûr que ça fait mal quand on n'est pas concerné-es et qu'on estime avoir des trucs intéressants à dire également.
Et de l'autre côté, le monde extérieur : au travail, dans ma famille, dans les commerces, dans les médias dominants... Là, je peux cocher quotidiennement toutes les cases du bingo oppressif : sexisme, racisme, homophobie, transphobie, slutshaming... et j'en passe. Là, j'entends et je lis tous les jours des hommes blancs expliquer aux femmes comment elles doivent se battre pour leurs droits, aux racisé-es qu'ielles exagèrent un peu quand même, aux personnes handicapées que "10% de logement c'est déjà pas mal, vous voulez couler l'immobilier ou quoi ?", aux LGBT qu'ielles devraient déjà être bien content-es d'avoir le mariage (sous-entendu : pourquoi nous les casser avec vos droits procréatifs ?)... Globalement un monde où les concerné-es sont exclu-es et où il leur est demandé de pas trop faire chier avec leurs problèmes.
Alors oui, il faut des études, il faut des sources, il faut être spécialiste, il faut se renseigner et s'instruire. A cela, je répond qu'il est plus facile de se conformer au discours dominant sans y réfléchir car le discours dominant s'auto-justifie (le fameux bon sens, sens commun, la coutume, ce bon sens qui fait dire à LMPT : "un enfant c'est le fruit d'une procréation sexuée entre un mâle et une femelle", oui, c'est du bon sens non ? ), se conformer au discours dominant ne soulève pas ou peu de résistance institutionnelle. On ne court aucun risque en se conformant au discours dominant et personne ne demande de se justifier si on s'y conforme. Au contraire, se trouver dans une position divergente par rapport au discours dominant est compliqué et force les gens à argumenter, à chercher des études scientifiques pour prouver que "non les enfants élevés par deux parents du même sexe n'ont pas de séquelles", parce qu'on se retrouve dans une position de résistance à la norme, et on doit prouver que la divergence par rapport à la norme n'est pas mauvaise, qu'elle est aussi respectable que la norme elle-même : la charge de la preuve repose sur la personne qui remet la norme en question. Il est plus facile de dire "les femmes ne peuvent pas faire de grands écrivains, la preuve il y a beaucoup moins de femmes que d'hommes dans nos grands écrivains" que d'aller chercher dans les tréfonds de l'Histoire qui étaient les femmes qui écrivaient et pourquoi une grande partie d'entre elles est tombé dans l'oubli.
Bien sûr que la parole des concerné-es n'est pas parole d'évangile (ironie), et bien sûr qu'il y a des paroles de concerné-es, qu'il n'y a pas de discours homogène. Mais il faut quand même continuer à lutter pour que ces paroles soient portées le plus possible contre le discours dominant, dans la mesure où ce discours dominant est oppressif.
Et là je me demande si ça ne vaut pas le coup de subir le
dans les cercles militants parce que la visibilité des personnes subissant ces oppressions en dehors de ces cercles est à ce prix ?
C'est une vraie question, j'ai pas de réponse à ça. Rien ne devrait nous empêcher de débattre, de se faire une idée, d'avoir une opinion. Rien de devrait nous forcer à nous révéler pour voir nos propos plus légitimes. Mais rien ne devrait s'élever entre une personne et le vécu dont elle témoigne.
Juste une remarque perso et pas hyper optimiste,
@Mymy quand tu écris
je me dis que ce sont les derniers sursauts absurdes d’un monde bientôt mort.
ben franchement, je fais partie des gens qui ne voient pas du tout la même chose. C'est pas pour bientôt, je pense que je verrai pas une société égalitariste de mon vivant, j'espère juste qu'on en fait assez pour que ce soit l'horizon de la prochaine génération. Je suis peut-être très pessimiste et j'espère de tout cœur que j'ai tort.