@Camility Jane (ah bah j'ai découvert en te mentionnant que jusque là je lisais ton pseudo de travers, oups
)
Je pense que les deux définitions dont tu parles dans ton HS découlent de deux approches différentes du genre, qui rejoignent le propos de l'article cité par
@Peace&Love&It;3 à la fin de la page 11. Je l'ai lu en entier et j'ai trouvé le propos intéressant, il rejoint des réflexions que je m'étais déjà faites sur le fait que le mot "genre" désigne deux réalités sociales un peu différentes : l'identité de genre, qui est totalement subjective et auto-déterminée (dans le sens où seule la personne elle-même peut dire de quel genre elle est), et le genre en tant que place que l'on occupe dans la société, qui est divisée en deux groupes principaux, les hommes et les femmes (qui sont les deux seuls genres reconnus et considérés comme légitimes par notre société).
Je me suis déjà fait la réflexion qu'en donnant la priorité à une définition du genre centrée sur l'identité de genre, on n'adoptait pas toujours la grille de lecture la plus adaptée pour décrire les phénomènes sociaux. Par exemple, si on se base sur l'identité de genre, les personnes victimes de misogynie peuvent être des femmes cis, des femmes trans, des personnes non-binaires (principalement assignées femmes à la naissance), ou encore des hommes trans mégenrés par leur interlocuteur. Alors que si on se base sur une vision plus matérialiste, centrée sur la place occupée par les individus dans la société, alors les personnes victimes de misogynie sont tout simplement toutes celles qui sont perçues comme femmes par autrui, donc qui occupent, qu'elles le veuillent ou non, une place de femme dans une société sexiste, ce qui les expose à certaines situations et expériences partagées par les autres membres de ce groupe social. C'est surtout sur cette conscience d'appartenir à un groupe social ayant des expériences communes que je base ma propre identification au genre féminin, plus que sur un sentiment profond d'être une femme.
Mais cette grille de lecture a aussi ses limites, parce qu'elle ne permet pas de comprendre la volonté des personnes trans de quitter le groupe social auquel elles ont été affectées (leur assignation de genre, autrement dit). On a besoin de l'identité de genre pour comprendre et rendre possible le fait de changer de groupe de genre parce que ces personnes sentent au fond d'elles-mêmes qu'il ne leur convient pas. Si on dit "Tu as un vécu commun avec les autres personnes qu'on appelle femmes, tu es encouragée à suivre les normes genrées du groupe des femmes, donc tu es une femme", on fait une analyse descriptive de la situation que la personne occupe dans la société là maintenant tout de suite mais on ne lui permet pas d'en changer si elle se sent mal dans ce groupe, qu'elle a le sentiment de ne pas y être à sa place. Je pense que le concept d'identité de genre a été théorisé en se focalisant sur les personnes qui avaient ce malaise dans leur genre assigné et qui, du coup, ressentaient fortement que leur identité n'était pas celle qu'on leur attribuait. Mais quand on regarde du côté des personnes qui n'ont pas ce malaise, le ressenti ne semble pas être le même, j'ai l'impression. C'est-à-dire que les personnes assignées femmes et à qui cette assignation ne convient pas ressentent bien plus fortement une identité autre que les personnes assignées femmes et qui ne ressentent pas le besoin de s'en extraire. C'est pas très étonnant d'ailleurs, c'est courant que le fait de faire l'expérience d'une situation qui ne nous convient pas nous permette, par contraste, d'être d'autant plus sûr de celle qui nous convient, parce qu'on peut faire une comparaison entre les deux.
Du coup, si on interroge sur leur genre des personnes non-désireuses de transitionner, il y en aura beaucoup, je pense, qui diront qu'elles ne s'identifient pas tant que ça à leur genre assigné, qu'elles font juste avec (ça a été mon cas, ça l'est toujours un peu même si mon point de vue sur le sujet a évolué vers celui que je développe ici). Autrement dit, il y aura beaucoup de gens qui ne se décriront pas comme cis mais qui ne voudront pas non plus transitionner de quelque manière que ce soit (pas d'adoption d'une apparence perçue comme du genre opposé ou ambiguë, pas de changement de prénom...) et ne seront donc pas concernées par les problématiques et les discriminations propres aux personnes trans.
Cette grille de lecture correspond à la définition "SI tu t'identifies à ton genre ALORS tu es cis,
SINON tu es trans", et le résultat, c'est qu'on se retrouve avec beaucoup de personnes pas cis, donc trans, qui ne sont pourtant pas du tout exposées à la transphobie ni aux sujets relatifs à la transition. C'est à mon avis la limite de cette définition.
Si à l'inverse, donc, on adopte la définition "SI tu ne t'identifies pas à ton genre ALORS tu es trans,
SINON tu es cis", on revient à une analyse plus matérialiste, où l'appartenance à l'un ou l'autre groupe dépend non pas de notre subjectivité mais de la place qu'on occupe dans la société. Si on entreprend une transition, ou qu'on souhaite en entreprendre une, et qu'on est de ce fait exposé aux problématiques relatives à la transition, alors on fait partie du groupe des personnes trans, uni par des expériences communes et des combats communs. A l'inverse, si on ne souhaite pas transitionner et qu'on accepte son assignation de genre de naissance, qu'on s'identifie fortement à ce genre ou qu'on fasse juste avec, alors on appartient au groupe des personnes cis, celles qui sont "dans la norme". Ca n'empêche pas qu'elles puissent avoir des rapports à leur identité de genre assez différentes les unes des autres.
A mon avis, ces deux approches ont leur limite : l'une, en étant trop subjective et centrée sur l'auto-détermination, donne des groupes très hétérogènes qui ne décrivent pas la réalité de l'organisation sociale (quel groupe est dans la norme sociale et lequel la transgresse, en gros). L'autre, en étant descriptive, a peut-être tendance à mettre beaucoup de gens dans le même sac. Mais je pense qu'on a besoin des deux approches pour comprendre le sujet.