Je te laisse chercher "islamophobie" sur madmoiZelle pour constater qu'on n'a pas été les derniers à dénoncer ce qu'il se passe dans la société. Certes, j'ai arrêté d'utiliser ce terme, préférant « anti-musulman » pour dénoncer la même chose, essentiellement parce que ledit terme a été largement exploité par un idéologue au discours très homophobe, et que
j'ai appris à ne pas hiérarchiser les oppressions. De la même façon que je ne laisse plus traîner dans mes articles
anti-harcèlement de rue des termes qui peuvent laisser à l'extrême-droite assez d'espace pour
récupérer mon discours, je ne laisse plus passer dans mes articles anti-racistes des termes qui peuvent laisser à des réacs homophobes l'espace de croire que j'appuie leurs idées. (je ne mets pas de lien, pas envie de diriger du traffic depuis mad, vraiment).
Dénoncer les actes islamophobes c'est très bien, mais j'ai aussi le souvenir d'un de tes articles qui argumentait qu'il ne fallait pas forcément voir du racisme ou de l'islamophobie partout et que c'était probablement plutôt de la bêtise ou de l'ignorance. Et là on est en plein dans la protection des égos blancs. On est en plein dans le "
ce n'est pas productif de dire aux racistes qu'ils sont racistes", ce qui nous amène à des luttes antiracistes pour et par des blancs ... qui protègent, forcément, les intérêts blancs. Tu parles de l'homophobie de certains discours utilisant le terme "islamophobie", en ce sens que ça justifirait d'y préférer "anti-musulman". Je pense que ça va plus loin que ça, dans l'opinion politique, et dans les attaques qu'il y avait eu à ce sujet (ok, j'ai compris, tu n'es pas Denis, tu n'es pas Fab). La lutte contre le mot "islamophobie" va plus loin que la simple question d'éthymologie (et même si on voulait aller sur ce terrain là, il y a de bonnes raisons
de choisir et d'utiliser ce terme) : c'est une attaque groupée, transversale sur le plan de l'échiquier politique, de désarmement de toute crtitique antiraciste politique. Et tout comme le racisme commence par les mots, l'antiracisme commence par les mots. Que certains utilsent ces mots dans des contextes homophobes c'est une chose, utiliser ces usages pour rejeter ce mot me semble en être une autre.
Doit-on cesser de parler de racisme parce que certains réutilisent le mot "racisme" dans "racisme anti-blanc" ou "racisme politique", comme Macron ? Doit-on cesser de parler de sexisme parce que le FN ou LR l'utilise pour attaquer les racisé-e-s ? Doit-on cesser de parler de laïcité parce que nos politiciens souhaitent en faire un principe anti-Islam ? Se focaliser sur les discours extrémistes pour rejeter une idée, un mot, c'est aussi faire fi de la majorité de l'usage de ce mot : aujourd'hui le terme islamophobie est utilisé très largement par les gens qui la combattent, y compris par des gays et lesbiens. Que tu refuses encore de l'utiliser est tout à fait indicateur de luttes antiracistes depuis des points de vue de non-concerné-e-s (par l'islamophobie). Et en soit, que tu fasses tes choix par rapport à ta propre expérience c'est logique, mais ça rejoint je pense une faiblesse dans la façon dont les luttes anti-racistes sont contrôlées et modérées par un point de vue extérieur.
Est-ce que ça inclut, par exemple, relayer les propos d'une personne racisée qui dénonce le harcèlement de rue d'un point de vue autre que celui "bourgeois-blanc" de Marion ? (Attention c'est une question piège !
) parce que c'est exactement l'idée que j'avais derrière la tête en relayant la vidéo de Shera Kerienski sur le harcèlement de rue, bien que cette vidéo ne soit pas 100% pertinente, « 100% safe » comme il a été dit dans les commentaires. Donc
il faut visibiliser uniquement les initiatives de valorisation des vies racisées si elles sont « 100% safe », sinon les personnes vont être harcelées sur Internet (parce que si c'était uniquement mes mentions qui avaient pris feu, c'était gérable, j'ai l'habitude).
Là juste un point sur la forme quand même : tu expliques plus tôt que tu refuses d'utiliser islamophobie parce que ce mot est pour toi associé à un contexte homophobe, en disant que tu ne veux pas hiérarchiser les oppressions, mais tu cites un exemple de vidéo avec un contenu transphobe, que tu avais pensé dans une volonté de mettre en avant une youtubeuses racisé-e-s, pour répondre à ma proposition de visibiliser des parcours non-blanc-hes. Donc dans un cas
il faut que le mot islamophobie soit 100% safe, mais dans l'autre tu plaides pour qu'on accepte des vidéos pas 100% safe ...
Ensuite pour répondre à ton exemple : est-ce que le fait qu'il y ait des critiques contre la transophobie d'une vidéo justifierait qu'on évite de mettre en avant des projets menés par des racisé-e-s ? Parce que répondre à la proposition par cet exemple revient a dire : on a déjà fait mais ca marche pas, vous nous dites qu'elle est transphobe. Que Shera Kerienski soit victime de harcèlement sur les réseaux sociaux est inadmissible et honteux, mais il me semble que Marion Seclin est tout autant victime de harcèlement et que ça ne vous décourage pas pour continuer à porter son message (et heureusement !!).
Pourquoi les conditions changent d'un sujet à un autre ?
C'est pour moi assez proche de ce qui s'est passée lors de vos articles contre le racisme : puisque les reactions n'etaient pas ce qui était attendu, trop de critiques, pas assez de remerciements (j'extrapole), alors vous en avez moins fait, en prenant notamment pour justification que des racisées vous disaient d'arrêter. J'appelle ça de l'antiracisme conditionnel :
si tu n'acceptes pas ce que je fais comme je le fais, alors j'arrête tout. Au lieu de construire, on détruit. Après comme tu l'explique vous donnez la parole à des personnes racisé-e-s, mais pour moi lutter contre la suprématie blanche demande d'attaquer bien plus frontalement les mécanismes de dévalorisation et de destructions des vies racisées.
Pas de souci, enfin si, juste un souci : je vois passer des initiatives de ce genre... qui ne veulent surtout pas que mad parlent d'elles !
Je ne suis pas là pour contrarier les gens. Il y a celles qui nous répondent ouvertement qu'elles ne veulent pas être sur mad, et celles dont les TL sont assez explicites pour savoir qu'elles ne veulent pas être sur mad. Qui suis-je pour aller contre ça ?
le consentement avant tout.
Pour moi on revient sur un antiracisme conditionel. Tu sais très bien ce qui est reproché à Madmoizelle en terme de positionnement antiraciste, donc tu sais tres bien pourquoi les personnes à l'origine de ces projets peuvent ne pas souhaiter que Madmoizelle en fasse la pub. On pouurait s'en desoler et réflêchir à pourquoi on en arrive là ou comment en tous cas travailler ensemble, mais on peut aussi confondre causes et effets et considérer
que ce sont les effets de vos actions qui en sont les causes, comme tu le fais. Utiliser les réactions aux actions antiracistes de Madmoizelle pour justifier de cesser toute démarche dans ce sens, c'est conditionner un engagement contre une injustice aux retours positifs ou négatifs qu'on va avoir par rapport à cet engagement.