Je pense que j'ai eu deux rencontres marquantes avec des inconnus :
C'était l'année de mon bac, je lisais dans le bus "Fin de Partie" de Beckett, une des oeuvres à étudier pour l'épreuve de littérature. J'avais acheté le bouquin, et opération marketing en veux-tu en voilà, la couverture était ornée d'un sticker "BAC 2011". Un monsieur typé maghrébin, environ 50 ans ou plus, le voit et me demande "c'est pour le bac ça ?". Je lui réponds simplement oui, je ne me sentais pas agressée ni rien, le bus était bondé et il n'avait pas l'air méchant. Il me répond "moi aussi je passe mon bac cette année, le bac STG". D'abord, je suis complètement décontenancée. Puis, je me reprends et précise "ah mais ça c'est que pour le bac L, en STG il n'y a pas cette matière". A partir de là on commence à parler du bac qui approche, moi, une simple lycéenne à l'époque, et lui qui se livre complètement à moi. Il est arrivé en France, immigré algérien, il travaille dur "quelques biscuits par jour et ça va". Il travaille dans les chantiers, il aimerait passer au grade au dessus (chef de chantier j'imagine?) mais il avait besoin du bac pour ça. C'est la DEUXIEME année qu'il le passe. Il s'accroche. Il me demande à quelle lycée je suis, quand je lui réponds, il me demande si je connais telle personne, c'était ma prof de physique en 2nde, il m'explique qu'elle vivait dans son quartier. Cette conversation n'a pas durée plus de 10 minutes, au bout d'un moment il me dit "je ne vous embête plus", m'a souris gentiment et a commencé à regarder par la fenêtre. Il faisait ça par politesse, je n'ai pas insisté pour continuer à discuter parce que je n'avais que 17 ans et j'étais plutôt timide. Je suis descendue à mon arrêt et on s'est dit au revoir et bonne chance pour nos futurs examens.
Cette rencontre m'a tout simplement chamboulée, j'étais tellement émerveillée par ce monsieur. Arrivée en France, faire en sorte d'avoir une meilleure vie, mettre toutes les chances de son côté, passer le bac à la quarantaine dans un pays qui n'est pas notre pays natal, j'ai trouvé ça tellement admirable. J'ai vu dans son regard ce que ça signifiait réellement de passer le bac, toutes les perspectives d'avenir que ça pouvait lui offrir. Monsieur du bus 197 qui passait son bac STG pour la deuxième fois en 2011, je ne pense pas que vous lisez Madmoizelle, mais sachez que je pense à vous encore et que j'ai pensé à vous, non pas le jour du bac, mais le jour des résultats. J'étais tellement heureuse et j'imaginais au fond de moi que vous aussi vous l'aviez eu et je me réjouissais pour vous.
La deuxième était un 31 décembre, je venais d'avoir 17 ans. Je sortais de chez mon copain et rentrais chez moi pour dîner avec mes parents avant de rejoindre mes amis pour faire la fête. Le RER passe ma station sans s'arrêter, je dois donc prendre le train d'en face. Je monte les escaliers, j'entends l'alarme de départ, je cours pour ne pas rater le train et derrière moi un homme court aussi. On arrive tous les deux dans la cabine de fin de wagon où il n'y a pas de sièges. Le RER était quasi vide, je vais m'asseoir sur un strapontin un peu plus loin car je descends dans une station. Il me suit. Bon, rien d'alarmant. Je m'assois, il s'appuie en face de moi contre les strapontins, sans s'asseoir. Toujours rien d'alarmant. Je regarde un père et sa fille de 2/3 ans à côté de nous qui partage un moment père/fille assez mignon. Je trouve le moment paisible. En face, l'inconnu commence à s'agiter. Environ 30 ans, brun, costard sorti de boulot, mais pas attirant du tout à mon goût, je venais d'avoir 17 ans ! Il a une pièce dans ses mains, il l'a fait disparaître et réapparaître dans ses manches. Il fait clairement le show pour moi. Il n'y a personne autour de nous à part le père et sa fille qui ne sont pas en position de voir quoi que ce soit. Je regarde, impressionnée, et puis je tourne vite mon regard vers la fenêtre, un peu flippée en mode "mais c'est qui ce malade de magicien, il va me faire quoi". Bon, il devait être 18h, nuit noire en décembre, jour d'excitation internationale, RER quasi vide, moi petite jeunette, je pouvais être un peu parano! En regardant par la fenêtre, je peux toujours voir ce qu'il fait avec ses mains grâce au reflet, c'est plutot sympa. Ma station arrive, je me lève et m'appuie contre les strapontins en attendant que le RER soit à l'arrêt. Il comprend que je descend là, il se poste devant la porte avec un doigt sur le bouton d'ouverture des portes. Je me dis "bon, il est peut-être pressé, il va partir vite et je n'aurais pas peur qu'il me suive". Le train s'arrête, il ouvre la porte, et là, il fait un geste digne du 17ème siècle, il me fait une révérence et tend un bras vers la sortie style "madame, si vous voulez bien". Vous trouvez ça super romantique ? J'étais assez flippée donc je saute vite du train et commence à tracer. Il me court après, m'arrête, je me recule, effrayée "oh non, j'en étais sûre". Il tend ses mains devant lui, recule d'un pas et me dit "Mademoiselle, ceci n'est pas un agression" avec une voix posée. Il installe bien une distance entre nous pour bien me faire comprendre que je n'ai rien à craindre.
"Je voulais juste vous dire, mademoiselle, que vraiment, mademoiselle, je vous trouve magnifique. Magnifique". Je tombe des nues. Je marmonne un "merci" super étonnée, et puis tout à coup, digne du magicien qu'il était il me dit juste "C'est tout" et saute dans le même train où nous étions, juste avant que les portes ne se referment. J'étais abasourdie, je suis rentrée chez moi les idées enfumées, en pensant à tout ce que j'aurai du lui dire "oh merci ! bonne année au fait !" ou bien même commencer la conversation parce que ce type avait l'air d'un phénomène. Et puis il m'avait remarquée. Je n'avais que 17 ans, je ne me trouvais pas jolie et ce 31 décembre, un magicien m'a fait un show perso dans le RER avant de me simili-agresser pour me dire que j'étais magnifique. Mais oui, mais j'en veux tous les jours des comme ça !! Merci Monsieur le magicien, pour ce dernier jour de l'année 2010, c'était tout simplement magique, magnifique et magique. Merci.