Vous avez expliqué le cas africain, pourriez-vous préciser la spécificité de la Chine, ainsi que vos recherches sur ce pays ?
En Chine, des politiques très restrictives ont conduit à un taux de fécondité d’environ un enfant par femme. Dans l’esprit des dirigeants, il y avait cette idée que la levée de ces politiques restrictives pourrait entraîner une hausse des taux de fécondité, peut-être jusqu’à deux. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit. En 2016, la politique de l’enfant unique a été abolie, et l’année dernière, le gouvernement a même autorisé les familles à avoir jusqu’à trois enfants. Malgré cela, les taux de fécondité continuent de diminuer d’année en année. 2022 est l’une des premières années depuis la grande famine où il y a eu plus de décès que de naissances. La Chine étant un pays assez fermé à l’immigration, cela entraîne une diminution de sa population. Cette trajectoire n’est pas totalement inédite, car le Japon et la Corée du Sud connaissent des situations similaires avec des taux de fécondité entre 1 et 1.3 enfant par femme, et avec très peu d’immigration.
[…]
La politique de l’enfant unique a donc bloqué le pays dans une trappe à taux de fécondité très faible, avec un enracinement très fort de cette politique devenue norme ?
Avec ma co-auteure chinoise Yun Xiao, nous avons étudié comment la transition s’est produite, notamment dans les années 70, lorsque le système de quotas pour deux enfants a été mis en place. Certains groupes, notamment des minorités ethniques, étaient exemptés de cette politique, et nous souhaitions voir si ces groupes avaient réduit leur fécondité, même s’ils n’étaient pas obligés de le faire. Nous avons effectivement constaté qu’il existait une dynamique d’imitation, notamment pour les groupes culturellement proches de la majorité ethnique Han et pour ceux en concurrence avec cette majorité pour des postes qualifiés.
Cette constatation est intéressante car elle permet de comprendre pourquoi, lorsque les quotas sont levés, les gens ne modifient pas leur comportement: un nouvel équilibre s’est mis en place. Si tout le monde fait la même chose, et qu’un groupe bouge sous l’effet d’une contrainte, les autres imitent. Mais une fois la contrainte levée, personne ne bouge, car un nouvel équilibre s’est formé. Ainsi, nous observons à la fois des phénomènes d’imitation des normes sociales, où les gens ont désormais un enfant parce que tout le monde en a un.
[…]