Bonsoir !
Comme promis, je reviens avec une réponse construite.
Je vois que la discussion a beaucoup évolué entre-temps, je reprends à la question de
@skippy01 , qui me demandais comment je vivais la possibilité d’ouvrir un jour le feu sur une personne « innocente ».
D’abord, je pense avoir été claire sur le fait que je ne me suis pas engagée par dévotion patriotique, ni par pur idéal. Je suis entrée à l’armée en cherchant un cadre, j’y suis restée parce que j’y ai trouvé mon compte, pour les raisons évoquées dans mon post précédant.
Néanmoins, porter l’uniforme implique de se poser la question fatidique de savoir ce que l’on fera le jour hypothétique où l’on recevra l’ordre de tirer pour tuer. Je dirais que ça fait partie de l’entrainement militaire au même titre que le maniement de l’arme elle-même. C’est un raisonnement personnel qu’il appartient à chaque militaire de mûrir, je ne peux donc y répondre que pour moi-même.
Je ne me justifie pas au nom de toute l’armée, je réponds parce que c’est un sujet intéressant, important, et parce que finalement on entend très peu les militaires eux-mêmes l’évoquer. Je ne suis pas là pour porter un discours officiel, mais pour alimenter un débat que je trouve intéressant.
Comme cela a été soulevé, il existe effectivement un devoir de désobéissance en cas d’ordre manifestement illégal. C’est un héritage direct du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale en général, et du procès d’Eichmann en particulier.
C’est aussi un héritage de la guerre d’Algérie, durant laquelle une telle disposition dans le code de la défense n’existait pas, et durant laquelle les « actions pas très nettes », pour reprendre l’euphémisme de @
skärgård Ont bel et bien été commises. L’armée de terre d’aujourd’hui paie encore en termes de réputation ses actions passées.
Il fut un temps en France où les déserteurs étaient fusillés, où les mutins étaient mis aux fers à fond de cale, où les gendarmes étaient déportés pour avoir refusé de signer des arrestations contre des juifs. Il fut même un temps où la peine de mort était abolie sauf pour les militaires, quand les tribunaux militaires existaient encore. Ce n’est bien évidemment plus le cas dans l’armée française d’aujourd’hui. Aujourd’hui, si je désobéis sciemment à un ordre, au mieux je prends ce qu’on appelle des « jours d’arrêt » (c’est-à-dire une sanction miliaire reloue qui oblige à ne pas quitter une enceinte militaire pendant un temps donné), au pire, je suis virée. Point. Autant dire qu’il n’y a pas grand-chose qui m’oblige à exécuter un ordre qui me donne ne serait-ce que le moindre soupçon sur sa légitimité. Rien au monde ne me donnerait envie de rester dans une armée qui donne de tels ordres, me faire virer pour insubordination m’est donc complétement égal. A contrario, si j’exécute un ordre illégal, je suis passible de sanctions pénales. C’est ce qui fait la différence entre l’armée d’un pays démocratique et l’armée d’une dictature.
Tout cela écarte le scénario catastrophe où on me demanderait de tirer dans une foule, par exemple.
Mais cela ne dédouane pas de la réflexion à mûrir sur la réaction personnelle à un ordre légal d’ouverture du feu. J’y viens tout de suite dans un prochain post, parce que celui-ci est déjà très long.