Merci beaucoup pour l'émission avec Nancy Fraser,
@Annaïck , ça a l’air super intéressant !
J’ai aussi vu passer l’article sur Rockie concernant le travail domestique. J’ai trouvé le titre assez mal choisi (“Le dilemme de la femme de ménage”) parce qu’il me semble que ça place d'emblée la problématique sur un plan psychologique (on envisage la question exclusivement depuis le point de vue d’une femme économiquement privilégiée, et du problème de cohérence que cela peut lui poser de recourir à une femme de ménage). Mais finalement, j’ai trouvé que le témoignage était plutôt intéressant, le problème de la précarité des femmes de ménage et du déplacement de l’exploitation est abordé (même si c’est de façon un peu rapide, on comprend quand même que l’intention de la personne qui témoigne est de briser une forme de consensus dans les milieux privilégiés selon lequel “prendre une femme de ménage est un excellent choix puisque cela permet de mener des projets personnels/de consacrer du temps à sa vie de couple ou familiale”). Je trouve que ça a au moins le mérite de soulever le caractère problématique du fait de déléguer des tâches de “care” à d’autres femmes plus précaires/souvent racisées, alors que j’ai l’impression que dans les milieux de personnes entrepreneur.e.s/free-lance (souvent valorisés sur madmoizelle ou Rockie), le fait de recourir à une femme de ménage est univoquement présenté comme quelque chose de positif, qui contribue à l'épanouissement personnel. Le témoignage mêle cette dimension à une analyse en termes de genre, puisque la femme qui témoigne évoque le fait que c’est son compagnon qui a suggéré l'idée et que la répartition des tâches dans leur couple était inégalitaire (autrement dit, pour son compagnon, c’est comme si peu lui importait de savoir qui s’acquittera des tâches domestique tant qu’il peut les déléguer à des femmes).
En revanche, comme vous, j’ai été assez interpellée par les nombreux commentaires sous l’article dans lesquels il est dit que c’est un service absolument équivalent à n’importe quel autre, que le rapport marchand fait qu’il n’y a pas d’exploitation…
Comme piste de réflexion sur le sujet, je vous conseille, si vous avez l’occasion de le voir, un documentaire de la réalisatrice Inès Rabadan qui s'appelle Karaoké domestique. La réalisatrice a interrogé six femmes, trois femmes de ménage et leur trois employeuses, au sujet de leur quotidien et du rapport qu’elles entretiennent l’une à l’autre (elles abordent la question des tâches ménagères, de la hiérarchie, du statut social, de leurs aspirations et de leurs rêves…) À partir de ces paroles, elle s’est mise en scène dans un dispositif où elle ré-incarne ces femmes en entretien, habillée à chaque fois de la même manière devant un fond neutre, avec un travail de "lipping" (c’est-à-dire de synchronisation entre les paroles de ces femmes et ses propres lèvres et gestes). Dans une interview, elle explique que le dispositif a été une manière pour elle d’explorer notamment la contingence de ces positions sociales (pourquoi telle femme est-elle en position de faire les tâches ménagères d’une autre, et pourquoi telle autre est-elle en position de les faire accomplir par quelqu’un d’autre). Les femmes interrogées abordent aussi bien sûr la question du genre, les dynamiques de répartition des tâches au sein du couple… Je vous mets un lien vers
l'interview que j’ai trouvée passionnante !