saphiah;4327285 a dit :
Au risque de faire du HS - mais bon, ça rentre dans le cadre du sexisme - je cherche quelques précisions sur la psychanalyse (et la psychologie en général en fait, je ne connais pas bien les différents courants et leur importance) d'un point de vue féministe.
Quand je parle de féminisme et de genre et que j'argumente en reprenant notamment Catherine Vidal pour montrer que les différences hommes/femmes sont essentiellement dues à une socialisation et à une éducation genrées et non pas à des différences biologiques innées, on me réplique souvent que ces différences pourraient s'expliquer par un rapport au corps différent (le petit garçon qui se rend compte qu'il a un pénis et pas sa soeur et qui développerait un complexe de castration, la petite fille qui se rend compte que son clitoris est plus petit que le pénis de son frère et développe une envie du pénis ; le complexe d'Oedipe qui serait différent pour la fille et pour le garçon, etc.). Bref :
Problème : j'ai beaucoup de mal à répondre à ce type d'arguments parce que je ne m'y connais pas assez et que je manque de références pour développer mes connaissances du sujet.
En gros je me demande
:
- Sur la psychanalyse : est-elle considérée comme une science (avec preuves des thèses avancées, faits certains, etc.) au sein de la psychologie ? y a-t-il des thèses différentes voire opposées à celles de Freud qui ont une place relativement importante ?
- Sur Freud et le féminisme, j'ai prévu de lire quelques ouvrages (Luce Irigaray, Juliet Mitchell) quand j'aurai le temps, mais j'ai l'impression que ça va dans le sens d'un féminisme essentialiste, et c'est pas du tout ma tasse de thé ! En fait, je me demande si les thèses de Freud peuvent être interprétées d'une manière compatible avec le féminisme (non essentialiste), ou sont essentiellement sexistes ?
Finalement : existe-t-il une psychanalyse non sexiste ? ou d'autres courants (je ne sais pas très bien comment l'on dit) de la psychologie qui seraient non sexistes ?
Aurais-tu des livres (ou sites, blogs,...) à conseiller sur le sujet ?
Un autre truc : je m'intéresse au MBTI et à l'ennéagramme, et au cas où il seraient considérés comme sérieux en psychologie, je me demande s'ils vont ou non dans le sens d'un essentialisme (qui pourrait alors être sexiste vu que les taux d'appartenance aux différents types varient selon le sexe) : les types sont-ils considérées comme innés ou acquis ?
Bon, désolée pour toutes les questions, j'ai un peu l'impression de te prendre pour la prof de psycho là
! Elles sont évidemment aussi destinées à tout le monde :chat:!
Bon j'ai pas des connaissances très précises mais je te donne quand même mon avis
Alors déjà, je pense que tu peux carrément commencer par feuilleter des écrits de Freud sur la sexualité parce que tu auras déjà tes premiers arguments. On voit bien que sa théorie date un peu d'un autre âge avec des références à l'ancienne. Moi j'ai lu un de ses bouquins quand j'avais 13 ans environ et je me souviens que son histoire de la fille qui a une envie de pénis parce qu'il lui "manque" quelque chose et désire le père pour compenser, j'avais trop ça hypra sexiste et je m'étais dit "ya qu'un homme pour écrire un truc pareil, ahaha le désir suprême des individus c'est une grosse bite!".
Et bon voilà, j'avais 13 ans et pas eu beaucoup de lectures féministes donc quelqu'un qui a plus de recul et une bonne connaissance féministe peut à mon avis déjà trouver des éléments de contradiction.
Après j'en ai discuté avec des gens qui pensent que Freud est problématique (notamment parce qu'il écrivait dans la société européenne du XIXe siècle, ce qui n'est donc pas applicable aveuglément de nos jours) mais a quand même eu le mérite de lancer de nombreuses pistes.
En dehors de la France, il me semble que Freud est reconnu surtout avec une sorte de politesse des anciens, comme on rendrait hommage à Hippocrate pour parler de médecine, lui reconnaissant d'en avoir posé des bases, mais qu'on serait bien d'accord pour dire que c'était pas hyper précis par rapport à ce qu'on sait aujourd'hui.
De mon expérience, le problème avec de nombreux practiciens et théoriciens de la psychanalyse, c'est qu'ils ont tendance à confondre ça avec une sorte de biologie de l'esprit. Pour eux, les théories psychanalytiques sont fiables à tous les coups. J'ai déjà été hallucinée d'entendre des diagnostics psychanalytiques totalement décalés parce qu'ils se basaient sur une construction occidentale du monde et cherchaient à interpréter le comportement d'un individu non occidental selon nos références à nous.
Le truc c'est que la psychanalyse et la psychologie sont des sciences humaines, au même titre que la socio, l'anthropologie sociale, la géographie humaine, la science politique ou l'Histoire en fait! Elles doivent donc se réajuster en fonction des milieux et développer des variations théoriques en permanence. S'accrocher désespérément sans remise en cause à un mec allemand qui a écrit au XIXe siècle pour expliquer les comportements humains actuels dans le monde, c'est forcément se planter en beauté. Or c'est là que beaucoup de spécialistes ont du mal à faire preuve de souplesse.
Pourtant, parler obstinément de complexe d'OEdipe comme d'un concept rigide, intemporel et universel ça peut même être dangereux comme l'a démontré le documentaire
Le Mur sur les enfants autistes (on peut le trouver facilement sur Internet malgré son interdiction en France, par exemple
ici) où des psychanalystes considèrent que l'autisme du gosse vient du comportement toxique de la mère...
Pour moi, le problème de la psychanalyse est donc la difficulté de ses théoriciens et practiciens à sortir de leurs schémas sociétaux.
C'est sûr que quand t'as pas été confronté de manière prolongée à une autre vision de ton environnement, tu peux avoir du mal à envisager le monde autrement que selon les codes qui te sont familiers, même quand tu es un professionnel.
Exemple dans l'article comme le suivant :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/11/08/les-psychanalystes-doivent-ecouter-leurs-patients-et-non-dire-la-norme_1787904_3232.html
il est très intéressant parce qu'il montre très bien que la psychanalyse est une science humaine et qu'elle varie selon les milieux où elle s'exerce, que Freud a tenu un discours plus ouvert qu'on ne le croit etc.
Cependant, on sent que la psy, malgré tous ses efforts, a des sujets sur lesquels elle a du mal à envisager une conception alternative. On ne peut pas lui en vouloir, elle est humaine et forcément influencée par son milieu dans son analyse du monde. Il faudrait donc simplement que les psys soient conscients de ça, soient prêts à évoluer et se remettre en cause, et non qu'ils considèrent leurs théories comme solidement universelles!
Par exemple, dans cette citation :
Il est évident qu'un homme et une femme sont différents. Mais Freud a aussi beaucoup parlé de la bisexualité psychique - chaque être est masculin et féminin - en expliquant qu'il y avait une différence entre le masculin et le féminin biologiques, extérieurs, et le masculin et le féminin psychiques, qui sont d'un autre ordre.
La psy arrive à avoir une lecture universaliste du monde (les différences féminin/masculin ne sont pas nécessairement biologiquement programmées) tout en commençant par une phrase essentialiste (on est différents, ça ne se discute pas!).
Plus tard, elle explique :
"
Dans un couple où il y a deux hommes, je pense qu'il y a en effet un des deux qui peut représenter une part féminine, mais que la féminité et la masculinité ne se retrouvent pas forcément dans la femme biologique et l'homme biologique. Donc deux hommes peuvent apporter à un enfant cette variation-là. Ce n'est pas parce que ce sont deux hommes que toute différence s'efface. On ne peut pas tout relier au genre."
On sent que là encore, elle a un gros problème à se détacher de la conception binaire du monde entre féminin et masculin, même si elle est tout à fait consciente que ce n'est pas si simple puisqu'être un homme ne veut pas dire correspondre aux normes masculines.
Je pense que c'est comme ça pour beaucoup de spécialistes, s'ils n'ont pas eu une formation ethnologique par ailleurs, ils ont du mal à se détacher d'une conception occidentale du monde et ça s'entrechoque avec des théories plus ouvertes d'esprit.
Mais j'en parlais à un médecin de mon entourage fasciné par la psychanalyse et il m'expliquait que les professionnels de santé avait de plus en plus tendance à se tourner vers des psychologues-anthropologues, notamment pour tout ce qui concerne le traitement des populations d'origine étrangère, mais que ça évolue encore doucement et que ce n'est pas forcément un un réflexe.
On voit donc qu'il y a encore des réticences mais que les sciences de l'esprit évoluent vers plus de souplesse culturelle et plus de relativisme.
Enfin voilà, désolée de ne pas avoir trop de références et de donner surtout mon avis à moi mais si j'en retrouve je les posterai