J'apporte mon point de vue de prof de SVT qui fait faire des dissections (me tapez pas !).
Certain•e•s ont déjà avancé les arguments que je voulais apporter, mais je peux donner des précisions :
- sur l'argument "il y a suffisamment de logiciels et de schémas, et on apprendrait tout aussi bien" :
c'est un peu l'argument qui me fait bondir. Il y a de très belles vidéos qui m'éviteraient d'amener mes élèves en sortie, il y a de super "c'est pas sorcier" pour éviter qu'ils ne fassent des activités. Du coup on peut se retrouver avec des cours de SVT qui se déroulent devant des docs papier ou vidéos, et des élèves qui m'écoutent énoncer la leçon... En plus d'être totalement chiant, pardonnez moi du mot, cette approche n'apprend rien. Ma priorité n'est pas que les élèves retiennent que c'est l'intestin grêle qui absorbent les nutriments, ma priorité est qu'ils le découvrent pas eux mêmes, qu'ils soient autonomes face au savoir. S'ils utilisent un schéma, ils doivent faire confiance à l'auteur du schéma pour leur dire la vérité, et je leur apprends justement à critiquer les sources et à essayer au maximum de se rendre compte par soi-même des choses. Donc pour savoir si c'est bien le coeur qui envoie le sang dans l'organisme, le plus logique est de regarder comment est fait un vrai coeur (de poulet en général).
- sur l'argument "ca ne sert à rien si on ne se destine pas à un métier du médical"
Alors là deux choses : premièrement, à ce compte là, tout ce qu'on fait dans le secondaire ne sert à rien. Le but du collège est de développer une culture générale et des outils pour être autonome. Apprendre Pythagore ne sert pas dans tous les métiers, tout comme la civilisation mésopotamienne, le solfège ou le demi-fond. Toutes les activités qu'on fait faire aux élèves permettent de développer leurs compétences et leur enseigne un niveau de culture générale de base.
Du coup, j'estime que la constitution de l'intérieur d'un être vivant fait partie de la culture générale de base.
Deuxièmement, un élève ne peut pas savoir à quoi il se destine s'il ne fait rien... Comment un géographe sait qu'il aime ça s'il n'a jamais dessiné de carte au collège ? Une vocation ne se décide pas sur un coup de tête, elle est nourrie d'expériences.
- l'argument "ce ne devrait pas être obligatoire" :
Je suis totalement d'accord ! Je pratique régulièrement des dissections, et ces TP n'ont jamais été obligatoires pour mes élèves. Je prévoyais toujours une activité sur le livre au fond de la classe ou au CDI pour ceux qui ne se sentaient pas. Et j'insistais toujours, je préfère qu'illes ne le fassent pas plutôt que d'en traumatiser ! A ma connaissance, la grande majorité de mes collègues fait comme moi, et n'oblige pas.
Les élèves qui refusent sont assez rares, et certains finissent par venir jeter un oeil... Pour ceux qui dissèquent, j'insiste lourdement sur le respect de l'animal ou du morceau d'animal disséqué. Je punis sévèrement les mutilations "pour s'amuser" comme la coupe des oreilles ou de la queue. Le but est aussi d'aborder les problèmes éthiques liés à l'utilisation des animaux, que ce soit dans l'enseignement comme dans le médical ou la cosmétique. J'accepte que les élèves aient des avis différents, mais je leur demande d'argumenter.
Généralement, les élèves sont très soigné•e•s et se prennent pour des chirurgien•ne•s !
Je trouve qu'il y a une certaine hypocrisie dans le choix des animaux autorisés à la dissection. Pour vous donner un exemple, on a le droit de retirer les trachées d'un insecte de son vivant, parce que c'est un "invertébré" (ce terme n'est plus utilisé en sciences), alors qu'on a pas le droit de disséqué une souris qu'on vient de décongelé. Je ne fais pas faire cette manip, parce que moi même elle me met mal à l'aise, mais elle est autorisée. On prend moins en compte la vie d'un insecte parce qu'il nous ressemble moins. Ca va à l'encontre de ce qu'on enseigne, la notion d'humain parmi les animaux et non pas au dessus d'eux...
Il y a aussi eu beaucoup de fluctuations dans les autorisations de dissection... je me souviens qu'à une période, on n'avait le droit de disséquer les huîtres, que si elles avaient été cuites... Des huîtres... qu'on mange vivantes habituellement. Pour une manipulation qui consistait en gros à injecter un liquide coloré dans l'huître pour voir son cœur battre.
Bon je vais peut être finir ma longue tirade, vous devez commencer à vous sentir comme mes élèves à la fin du cours...