Je suis le tisseur des rêves, le créateur de révoltes, le semeur de réflexions, l'incarnateur de peurs, le faiseur de mondes. Un humain m'a rêvé, imaginer, créer, pour que d'autres être humain me voient, comprennent et apprennent. Je suis né de l'accouplement d'un songe et d'une main, d'une idée et d'une feuille, d'une pensée et d'une marée d'encre sombre, je suis né et mon père m'a laissé aux mains de ma mère de papier : terminer, tout était dit, tout était là ; les mots comme mon génome dans ce petit corps frêle, mon géniteur estimait avoir fait son devoir de créateur, il était temps pour moi de grandir à travers les pages, seul. J'ai jauni, corné, moisi, ma face est fripée et mon corps sent le vieux, l'odeur sucrée écoeurant des vieux laissés seul a eux même depuis trop longtemps.
Pourtant malgré ce portrait peu avantageux, ne sous-estimez pas ma puissance. Mon cœur gronde, la lune se lève, des vies entières se jouent en moi : je suis la maison, le monde, l'univers. Je suis témoin de guerres qui se déroulent dans mon ventre, de naissances et d'amour, de tristesse aussi, il faut dire que mon père ne m'a pas légué la meilleure partie de lui.
Pourquoi ? Pourquoi nous créés t-ils pleins de leur haine et de leur espoirs ? Pourquoi nos pères et nos mères nous donnent ce fardeau avant de nous envoyer courir le monde ? Je suis le tisseur de rêves, mais pas les miens. Ce pouvoir si puissant à première vue n'est qu'illusion : je ne suis qu'instrument de la penser de mon père, les gens ne voient que lui en moi. Je renoncerais à se pouvoir volontiers s'il m'en était accordé un autre, plus précieux à mes yeux : j'aimerais pouvoir rêver par moi-même. Pouvoir créer ma propre vie, crier mes propres désespoirs, mes propres peurs, mes propres doutes, mes propres envies. Avez-vous déjà été privés de ce pouvoir ? Avez-vous déjà du répéter ce qu'un autre vous a appris sans jamais mettre rien de vous dedans ?
J'aimerais distiller ma colère, ma rage, dans chaque caractère, dans chaque ligne, dans chaque mot, dans chaque titre. Zébrer mes pages d'une sanglante mutilation : regardez-moi ! Je suis la, j'existe ! Je ne dispose même pas de mon propre corps, ce droit fondamental m'est refusé !
Ho rage, Ho désespoir, ... Un de mes frères que j'ai un jour croiser au détour d'une bibliothèque avait cela d'écrit sur lui, j'ai trouvé cela tellement beau, j'aimerais qu'on l'écrive sur moi aussi ! Dans une encre bien noire sous mon épiderme, indélébile. Laissez la pointe aceré de ma langue griffer tendrement cette citation : ho rage, ho désespoir... Seuls compagnon de mes jours.
Tout ce pouvoir en moi reste inexploité, et je dors dans un lieu sombre. Mais méfiez-vous toujours un peu : si un jour les livres apprennent a parler de leur vrai voix, je ne suis pas sûr que vous aimeriez ce qu'ils ont a vous dire sur vous même.
Lettre trouvée dans la couverture du tome trois du Seigneur Des Anneaux,
le 20/03/1996,
Bibliothèque municipale de Trou-Paumé-En-Cambrousse,
Auteur : Inconnu.