Pour être juriste en droit du travail, je peux vous assurer que les jugement des Prud'hommes sont très pro-salariés : donc les arguments du style "c'est perdu d'avance, la justice est nulle", n'ont pas lieu à s'appliquer en droit du travail. D'ailleurs, les juges prud'homaux ne sont pas des magistrats, mais moitié salariés, moitié employeurs, donc ils connaissent très bien la pratique des rapports de travail et de subordination.
C'est pas mal la précision "les jugements des Prud'hommes sont très pro-salariés" sans contextualiser un peu. Je pourrais dire tout à fait le contraire. Peut être que si les jugements rendus sont si en faveur des salariés c'est juste que les prud'hommes sont saisis dans très peu de cas. Mon entourage grouille de gens qui voudraient les saisir mais qui baissent les bras, manque de moyens, de ressources d'envie. Mon compagnon (dans le milieu du journalisme aussi) qui risque très-fort le burn-out pro, une de mes meilleure amies qui bosse sans contrat de travail depuis six mois. Et dans des entreprises où il n'y a pas de back-up syndical (qui trouve les avocats et financent la lutte) c'est encore pire.
Et pour anticiper les arguments du style "oui mais elles auraient pu avoir peur d'aller aux Prud'hommes, au risque de se faire griller dans le monde du journalisme", Madmoizelle est certes un magasine connu, mais ce n'est pas Vogue non plus. De plus, c'est un magasine très spécialisé. Bref, je ne vois pas du tout en quoi aller aux Prud'hommes risquerait de griller ces personnes dans l'exercice de leur travail...
Un magazine féminin généraliste est un magazine spécialisé ? Vogue est un magazine spécialisé. Et à l'inverse de Vogue, les rédactrices de mad sont très exposées : elles sont aussi embauchées grâce à leur personnalité, sont encouragées à exister sur Internet à donner des anecdotes personnelles. Chez Vogue on se distancie de son travail et jamais au grand jamais on ne se met en avant. La seule chose de personnelle chez Vogue c'est son nom à la fin de l'article. Les répercussions ne sont pas les mêmes. Surtout quand on est jeune : on ne sait pas forcément ce que sont les prud'hommes et comment ça marche. Et quand on a 22 ans, pas forcément de gros diplôme et qu'on nous laisse une chance (ce qui est agréable au demeurant) on n'a pas grand chose à faire valoir devant un employeur que l'avis de son précédent employeur.
Ensuite, sur les accusations de harcèlement, pour avoir bossé dans le cadre de mon travail sur pas mal de cas... ce que j'ai pu lire dans les témoignages peuvent s'en approcher, mais je ne suis vraiment pas sure que des juges valideraient la qualification de harcèlement. Avoir un patron qui ne sait pas où mettre les limites entre employeur/ami, qui fait quelques bourdes, ça ne suffit pas, il faut qu'il y ait des éléments de fait précis (témoignages, écrits, mise à l'écart, insultes....).
Tu ne sais pas si les femmes qui citent des choses en ont où pas. Je pense que dans un respect d'anonymat elles n'ont pas voulu balancer les screens sur twitter. Tant-mieux parce que cette histoire ne concerne pas forcément le grand public.
Sur les accusations de brutalité dans la rupture des contrats de travail, elles peuvent être réparées dans le cadre d'une action contestant la procédure de licenciement (et cette action peut s'exercer dans les 2 ans suivant la rupture du contrat, via une procédure assez simple, donc les personnes concernées auraient en effet eu le loisir de le faire...).
Tout le monde sait ça c'est sûr. Surtout quand c'est notre premier emploi et qu'on a pas de structure syndicale. D'autant plus que quand on est dans la souffrance au travail. Je reprends l'exemple de mon ami qui est harcelé par son chef direct : il est juste démoralisé et malade. Pas du tout prêt à engager quoi que ce soit tant il est fatigué/démoralisé.
D'ailleurs, le délai le plus court pour aller en justice devant les Prud'hommes est de 2 ans, ce qui est quand même assez long et permet de bien préparer une défense. S'il y a bien une procédure en justice qui est relativement simple et peu couteuse, c'est bien la procédure prud'homale (en revanche, les délais sont longs).
Deux ans c'est énorme. Il faut avoir lu les propos de Sophie Tixier, une employée de l'émission TPMP : elle avait dénoncé publiquement les pratiques de Cyril Hanouna (pas payée etc). Ce qui lui avait coûté le fait d'être embauchée nulle part. Elle avait survécu grâce au RSA. Et les prud'hommes l'avaient déboutée ! Il avait fallu qu'elle fasse appel pour obtenir gain de cause et que TPMP soit condamné (à raison) et que leur plainte pour diffamation soit écartée.
Sur les accusations de fraude à la qualification de salarié, de fraude fiscale, je suis d'autant plus étonnée de voir que personne n'est allé en justice. Si ces accusations sont fondées, c'est très facile à prouver, car il y a des traces (déclaration d'embauche, bulletins de paie, etc...). Or à mon sens, s'il y avait effectivement de telles traces, l'affaire serait directement allée devant les Prud'hommes : en effet, là il n'y a même pas lieu à débat, la condamnation tombe direct.
Je reprends tout ce que j'ai dit : aller aux prud'hommes c'est pas aussi simple, bien au contraire. D'ailleurs je veux faire un point classiste mais de nombreuses études montrent que la majorité des gens qui vont aux prud'hommes (sans soutien d'un syndicat) sont des gens socialement favorisés.
Enfin, tout le monde est innocent jusqu'à preuve du contraire, et de simples "dires" ne sont pas de véritables preuves. C'est peut être le fait de travailler dans le domaine du droit qui me rend aussi sceptique, mais il me semble que si de telles accusations sont lancées, pour la plupart anonymement, sans preuves véritables, sur twitter, et non devant un tribunal, c'est qu'on peut douter fortement de leur véracité.
Je pense qu'il s'agit juste de témoignages avec un trop plein de rancœur que d'une véritable volonté de faire condamner. J'ai moi-même envie de mettre en lumière l'attitude atroce de certains de mes employeurs, tuteurs de stages qui médiatiquement se la jouent cool. Pourtant ce serait trop de prises de risques et trop de peur de faire face à l'incompréhension (parce que ce prendre des gros "c'est normal, faut faire des efforts pour faire un boulot que tu aimes" ça me donne juste envie de buter quelqu'un quand j'ai terminé à minuit quatre soirs par semaine). Donc oui, j'irai balancer anonymement via twitter.
Quoi qu'il en soit, je suis également très choquée de voir la violence avec laquelle certaines personnes interpellent les membres de l'équipe et les lectrices sur le forum. Je trouve ça dingue de voir certaines qui s'offusquent de l'emploi de tel ou tel terme mais qui ensuite vont littéralement "hurler" sur les autres, avec caps lock et j'en passe...
Madmoizelle est quand même un chouette magasine, et c'est également un magasine qui doit être protégé (même si je m'attend probablement à me faire taxer de fan hardore de Madmoizelle pour avoir dit ça, ahah) : si ces accusations sont fondées, que les personnes concernées aillent aux Prud'hommes. Et que les autres arrêtent de basher la rédaction et de leur demander des comptes aussi agressivement, par pitié... Si on veut que ce journal continue à exister, il faut le soutenir un minimum il me semble. Ce n'est pas à nous de leur taper dessus et de les interpeller sur la base de simples témoignages.
Je pense qu'il faut surtout adopter un principe de neutralité et arrêter de stigmatiser qui que ce soit : mettre en doute des témoignages de personnes en souffrance c'est dur aussi.
Je vois de plus en plus de personnes qui me racontent le management de l'horreur : mails tardifs, N+1 qui mettent la pression pour terminer des tâches, journées de soixante heures, pression constante etc. Je l'ai vécu et je m'inquiète vraiment de la démocratisation de telles pratiques (on m'a envoyé sur un article à 20 heures, j'ai terminé à minuit et je n'ai pas été payée ni pu rattraper mes heures. Je connais ce sentiment de ne plus avoir le droit d'exister en dehors du travail et ça ma mené à la dépression. Ca me brise le cœur qu'on puisse ne pas prendre ces ressentis en compte car 'une rédaction à l'air cool".
Je parle pas du cas madmoizelle parce que je ne connais pas ce qui s'y passe à l'intérieur et je n'ai eu aucun témoignage direct. Je voulais juste nuancer des propos avec ce que j'ai pu vivre de l'intérieur, dans d'autres entreprises et des témoignages concrets. Parce que le plan "les prud'hommes c'est simple" quand on est juriste dans ce domaine ça me fait rire jaune.
@Clemence Bodoc ; je pense que ce sera très instructif. Cela ne doit pas être une situation facile. Le passage psychologique du changement de poste doit être aussi une grosse étape.