Ce sont des choses comme ça qui me révoltent. Je me suis inscrite, juste pour pouvoir répondre à cet article. Il y a beaucoup de trucs qui me révoltent. Notamment la réaction des gens. Mais elle me révolte d'autant plus que je la connais.
Il y a maintenant quelques années de ça, ma grande sœur a été victime d'un viol.
Vous avez peut-être travaillé en saison, dans un camping, et vous savez ce que c'est. On devient pote avec ses collègues, on va en soirée/on va sortir en ville... Parfois, on peut même inviter deux collègues à prendre un verre devant sa caravane parce que hey, on est potes non ?
On commence à boire un peu, et puis y a un petit quelque chose dans l'air, que certains trouvent agréables. Pas tous, mais bon, les autres s'amusent bien, alors on laisse couler.
Puis il commence à se faire tard, et on dit aux autres qu'on va se coucher, ils râlent un peu. On leur laisse la bouteille s'ils veulent, on va se coucher nous.
Puis y a le fameux "t'es une rabat-joie" qui fuse, parce que l’atmosphère est un peu brisée. On dit "reste, tu vas pas te coucher maintenant quand même !"
Ma sœur avait sommeil, a insisté. On lui a pris le poignet pour lui dire que "roooh, ça va hein, demain t'aura juste une gueule de bois, c'est pas si terrible non ?"
Puis ça a un peu dégénéré. Elle a dis non, ils ont insisté. Ma sœur fait un mètre soixante, et à l'époque, 65 kilos toute mouillée. C'était deux rugbymen. Vous voyez le tableau ? Elle a pas osé se défendra, parce qu'ils la maintenaient bien, et si elle se prenait un poing, c'était fini. Elle voulait pas aggraver son cas, avoir encore plus mal. Alors elle s'est laissée faire.
Le lendemain, elle a tout raconté à son copain de l'époque -parce que oui, elle avait un copain, et les gars savaient qu'elle était fidèle.
Bien sûr, il a voulu ramener des copains à lui mais il a fini par réfléchir, et appeler les flics.
Ca a d'abord été de longues recherches. Ils avaient utilisé des préservatifs donc pour prouver ça, il a fallu chercher les preuves dans le camping, voir où ils les avait jeter. Je vous laisse imaginer les premiers commentaires des touristes. "qu'est ce qui se passe ? Pourquoi y a la police ?'
"Pour rien" on leur a dit. "On", c'est le directeur du camping, qui voulait sauver sa réputation. C'était hors de question de remettre SON camping en cause. Tant pis si ma sœur entendait ça, ou si les collègues devaient relayer le mensonge.
Puis les interrogatoires. Vous êtes sûre qu'ils vous ont violée ? Vous aviez un peu bu... Vous n'avez pas de trace de coup, ni de défense sur le corps... (je rappelle quand même, 1m60, 65 kg contre deux rugbymen !) Peut-être que vous avez juste des remords après cette nuit ? Vous avez un copain....
L'examen vaginal, fait par un abruti, pas doux, qui l'a faite pleurer parce qu'elle n'arrivait pas à se détendre.
Puis il y a eu les rumeurs dans le village. Parce que dans un camping, tout fini par se savoir, et comme c'est un camping dans un petit village... On l'a faite passer pour une mauvaise fille Inviter deux garçons devant sa caravane, tssss... Pour boire en plus ! Pas étonnant que ça dégénère ! quelle conne ! On a compatis.... Pour les garçons Deux bons garçons comme ça, tu te rends compte. Ils vont avoir du mal à s'en remettre... C'étaient les meilleurs du club non ?
Finalement, le procès, parce qu'ils ont fini par voir qu'elle avait bien subie quelque chose. Et la défense des garçons "Enfin, quand on se fait violer, on se défend ! Pas un coup, pas un bleu, rien !" "Deux garçons si intelligents, qui ont toujours aidé dans leur petit village..." "pleins de bonnes intentions.." "piégés par une fille qui regrette une nuit" "fille qui sort avec un petit délinquant, connu des services de police..." (parce que oui, ma sœur étant irréprochable, il a fallu lui trouver des mauvais points. Donc elle sort avec un garçon qui a volé deux trois auto-radios dans sa jeunesse, ça fait d'elle une mauvaise fille !)
Ma sœur a du subir tout ça, entendre tout ça. Elle en était malade. Les sentences ? Un an pour chacun, dont un avec juste 6 mois fermes. Fallait pas non plus totalement détruire leur vie à ses deux braves gars.
Histoire terminée ? Non. Ma grande sœur en a fait des cauchemars, pendant des années. Comme c'était un petit village, que les rumeurs allaient trop vites, elle a déménagé, dans un autre village où personne ne la connaissait, parce qu'elle avait honte.
Honte de pas s'être défendue, de pas être arrivée avec le visage tuméfié ou des cicatrices à montrer pour se justifier, pour être une victime qui aurait eu besoin d'aide, et non la catin du village.
Non. Elle a eu peur. Elle ne s'est pas défendue, parce qu'elle savait ce qu'elle risquait, parce qu'elle avait peur d'avoir un corps sali jusqu'à la fin de ses jours. Mais elle ne pensait pas qu'elle risquait de pas être cru. Elle pensait pas, qu'en tant que victime, on lui dirait, poliment bien sûr, mais... "Mythooooooo !"
Je sais tous ces détails, parce qu'après la police qui l'a bien questionnée, les gens qui l'ont rejeté, les collègues qui lui ont tourné le dos, le médecin qui était un ****... Il était hors de question pour elle qu'elle aille voir un psy, qui était pour elle du même accabit que "les autres". Et c'est moi qui ai joué le rôle de confidente, qui ai pris ses cauchemars sur les épaules, et sur l'esprit aussi, pour la rassurer.
Je m'éparpille peut être un peu. Je parle d'un peu tout là. Du système, des gens qui trouvent ça normal/inversent les rôles, et des victimes par "dommages collatéraux". Je ne me plains pas. J'ai été heureuse de pouvoir l'aider à se remettre. Mais j'aurai aimé qu'elle puisse recevoir une vraie aide spécialisée, qu'elle ne se soit pas sentie piégée et rejetée pour avoir été une victime.
Voilà, c'est mon premier post. Un peu grand, désolée. Mais je tenais à dire que ces situations, ça va parfois très, très loin. On la retrouve sur les réseaux sociaux. Dans la vie de tous les jours. Chez la maman qui dit à sa fille "va pas boire avec des garçons, tu vas te faire violer". Chez les gens qui vont dire "elle a bu, c'est sa faute". chez certains qui vont remettre en question les événements. L'acharnement quand on vit dans une petite communauté. Les gens qui tournent le dos, au moment où tu as besoin d'aide. Tout ça.