epostus;4254834 a dit :
Je ne viens pas souvent poster ici ( mais je vous lis en sous-marin
!) mais là j'ai un truc qui me taraude .
Je suis allée voir Frances Ha de Greta Gerwig, sur les bons conseils de SC , puisqu'en général la note de mes éclaireurs est assez fiable ( en l'occurence 7.2) . Et j'ai pas vraiment aimé. Enfin, c'était sympa, mignon, agréable, mais je me suis ennuyée au possible. Trop de "hipsters", le rythme trop lent ( pourtant je suis assez adepte de Woody Allen et compagnie) , du déjà vu et rien de vraiment bien intéressant.
C'était pas non plus nul, le jeu des acteurs était vraiment bon, quelques dialogues bien fichus . Mais je ne mettrais pas plus que 5/10 quoi ...
Donc j'aurais bien voulu avoir votre avis, en quelque sorte qu'avez vous trouvé (ou non !) à ce film ... et pourquoi est ce qu'il est autant loué par la critique ?
Je fais partie des fans absolus de Frances Ha. Pour moi, c'est le film de l'année, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, et ça ne gâche rien, il est bon techniquement. Pas sûre que le noir&blanc soit autre chose qu'un effet de mode, mais l'image est belle. Les lumières, les cadrages sont beaux, et surtout le rythme est très bien : assez intense, comme les émotions que traverse Frances.
La musique est chouette aussi, ça ne suffit pas à faire le film, mais ça contribue à le rendre vraiment cool.
Ensuite, le sujet est bon : on adhère ou pas (tous les goûts sont dans la nature) mais il faut reconnaître que rares sont les films qui traitent de cet âge étrange qui suit les études et précède la vie professionnelle, de la difficulté de passer à l'âge adulte, et de l'amitié, avec autant de finesse et de maturité que Frances Ha. L'article de Madmoizelle sur "Juliette" aurait dû être écrit à propos de "Frances Ha". C'est précisément un film sur les 25 ans, sur les galères, la prise de responsabilité, le refus de suivre une route toute établie et la difficulté à confronter ses rêves avec la réalité du quotidien.
Quand Frances dit à ses colocs "j'ai plein de trucs à faire aujourd'hui" et qu'on la retrouve 2h après en train de bouffer des bagels avec eux.
Quand elle ment à sa meilleure amie
Quand elle dit "les voyages c'est pas pour moi, je ne suis plus une étudiante" mais qu'elle a trop envie de voyager.
Quand elle retourne à son université et qu'elle a un peu honte, mais qu'en fait elle est contente d'être là et elle aimerait bien y retourner...
Quand elle n'arrive pas à travailler ses chorégraphies et qu'elle fait des jobs de merde à la place, pour payer son loyer...
Tout ça c'est des choses que moi et beaucoup de mes ami-e-s on a vécu. C'est la vie après les études pour pas mal de gens (coucou les étudiants en art !). Pour tous ceux qui ne trouvent pas le travail de leurs rêves et vont de CDD en CDD. Pour ceux qui le trouvent et finalement rêvent d'autre chose. Pour ceux qui n'ont pas envie de suivre les rails, mais ne trouvent pas vraiment leur chemin.
En plus de ça, le film aborde le sujet de l'amitié folle entre deux filles, et pour ça je le bénis. C'est un sujet trop peu (voire pas du tout traité) au cinéma et dans la littérature, et je trouve que ça manque dramatiquement. On a tendance à montrer des formes d'amour variées entre des hommes : la relation père-fils ("extrêmement fort et incroyablement près"), l'amitié très forte entre potes ou "bromance" (Ted et Marshall dans "How I met your mother") , la relation de maître à disciple (Luke Sywalker et Obi-Wan Kenobi), tandis que pour les femmes, on a le choix entre des copines qui se racontent leurs histoires de cul ("Desperate Housewives") ou des lesbiennes (et encore, il faut les chercher les films sur le sujet). Toutes les tonalités intermédiaires sur l'échelle entre l'amitié et l'amour sont inexistantes à Hollywood et même dans la littérature.
Quand Frances, un peu trop alcoolisée, décrit à une inconnue le type de relation parfaite qu'elle rêverait d'avoir, qui consisterait juste à croiser le regard de l'autre dans une pièce bondée et à savoir ce qu'il pense,
sans jalousie ni désir, et qu'ensuite elle expérimente cet exact regard avec son amie Sophie, le film nous dit quelque chose de très profond à propos de l'amour. Que l'amour, ce n'est pas forcément rencontrer quelqu'un, habiter avec lui-elle, faire des enfants et vieillir ensemble. Qu'il y a plein de formes d'amour. Et qu'on peut aimer plusieurs personnes (Sophie aime Frances, et elle aime Patch). Et qu'on peut trouver le bonheur auprès d'une personne sans forcément se l'approprier, ni vouloir coucher avec. Mais que c'est compliqué, bien sûr (comme le dit Frances à Sophie : "quand il te sera arrivé un truc drôle en sortant de la boulangerie, tu le raconteras à une seule personne et ce ne sera pas moi").
Bref, pour résumer un peu, parce que j'ai été bien trop longue : "Frances Ha" est un film qui parle de choses profondes, avec humour, avec finesse, et avec une intelligence rare.
C'est peut-être un film générationnel, mais je pense que tout le monde peut le comprendre. Par contre, c'est sûr que quand on a vécu tout ce que traverse Frances Ha, c'est d'autant plus touchant.