Dans ma lancée "littérature du Pacifique", j'ai commencé
Sons for the Return Home de l'auteur samoan Albert Wendt. C'est un peu LA superstar de la littérature samoane et le livre a été un best-seller en Nouvelle-Zélande. Je précise pour celles qui l'ignorent que Samoa est une île du Pacifique, vers les Fidji et pas trop trop loin de Tahiti.
En gros, ça raconte l'histoire d'un jeune homme samoan dont les parents ont immigré en Nouvelle-Zélande quand il était petit (le roman a été publié dans les années 60/70). Victime de racisme et de discrimination de la part de la société blanche néo-zélandaise, il se tient volontairement à l'écart des blancs puisque de toute façon ses parents ont l'intention de rentrer à Samoa lorsque leurs deux fils auront fini leurs études.
Mais le héros rencontre une jeune fille blanche, issue d'une famille plutôt riche, dont le rêve est de devenir mannequin. Elle drague le mec au tractopelle et malgré ses réticences vis-à-vis des blancs, il finit par admettre qu'elle lui plait. Ils entament une relation et tombent sincèrement amoureux.
Le roman est super-facile à lire et j'ai accroché très rapidement. C'est une romance un peu gentillette mais plutôt plaisante au début. Les héros disent des choses pas forcément très profonde mais que j'imagine qu'un couple mixte des années 70 a dû croire, du genre "l'amour triomphera du racisme". A la fin de chaque chapitre, ils couchent ensemble et se disent qu'ils s'aiment. Bref, ça se lit. Et c'est entrecoupé de souvenirs d'enfance du héros ou de souvenirs du père à Samoa ou à son arrivée en Nouvelle-Zélande.
Je mets pas la suite en spoiler car ce n'est pas un livre vendu en France mais ne lisez pas si le livre vous tente
Un premier passage m'a un peu gênée mais je me suis dit "qui suis-je pour juger le héros, je ne suis pas un homme samoan immigré en Nouvelle-Zélande dans les années 70". En gros, sa petite amie (les personnages n'ont pas de prénom) est hyper enthousiaste pour découvrir sa culture et s'intéresser aux trucs qu'aime sa famille. Il l'invite donc à la messe samoane mais choisit volontairement de ne la prévenir sur rien du tout. Il ne lui dit pas comment s'habiller, il ne lui explique pas comment ça va se passer et ne la présente à personne. Résultat, elle se retrouve habillée bien trop sexy pour le contexte, tout le monde l'observe, des hommes inconnus l'entrainent pour danser et son mec l'ignore royalement en faisant exprès de parler samoan devant elle (langue qu'elle ne comprend pas) sans jamais la regarder. Il voit qu'elle est mal à l'aise mais persiste volontairement pour lui "donner une leçon".
A la fin de la session à l'église, la fille est au bord des larmes et lui demande pourquoi il l'a humiliée de cette manière. A ce moment, il commence à regretter son attitude mais il lui explique que c'était la seule façon pour elle de comprendre vraiment ce qu'il vit au quotidien en tant que non-blanc dans une société dominée par les blancs. Ainsi, elle a vu ce que c'était que d'être regardée comme une bête curieuse et de ne pas se sentir à sa place.
Franchement, j'ai trouvé sa leçon particulièrement douteuse. Ce n'est pas en humiliant sa petite amie parce qu'elle ne respecte pas les codes sociaux de sa communauté qu'elle va comprendre ce que c'est que d'appartenir à une minorité discriminée. D'ailleurs, j'ai l'impression qu'elle avait mieux compris plus tôt dans le roman quand elle ramène son mec à une soirée, qu'un blanc la drague avant de réaliser qu'elle sort avec un Samoan. Une fois qu'il a compris qu'elle est en couple avec un Polynésien, il la traite de salope et lui demande si c'est "ça" qu'elle aime d'un air dégoûté avec de partir. Je pense qu'en tant que femme, ça rend les choses bien plus palpable de sentir le sexisme multiplié par la circonstance "je sors avec un Polynésien" que d'être humiliée par son propre petit ami parce qu'on ne porte pas la bonne robe ou qu'on est la personne la plus blonde de l'assemblée.
Mais bref, comme je l'ai dit, c'est un roman des années 70, le premier à décrire l'expérience des Polynésiens immigrés en NZ, et j'ai pensé que le racisme était peut-être vu de manière plus simpliste qu'aujourd'hui. Après réflexion, la fille dit à son copain qu'il a eu raison de lui faire cette leçon et le remercie.
J'ai donc continué le roman sauf que là, je suis arrivée à un passage super perturbant. Je préviens, TW viol même si la scène n'est pas présentée comme telle.
En gros, l'héroïne a déjà couché avec plusieurs mecs (blancs) avant de rencontrer le héros. La première fois, il avait demandé avec combien, elle avait répondu et ça l'avait saoulé. Ils finissent par partir en road-trip ensemble mais se prennent la tête pour un ou deux trucs tout en continuant à coucher ensemble, se dire qu'ils s'aiment et se raconter des histoires sur Samoa et la Nouvelle-Zélande.
A un moment, la fille profite de l'absence du héros pour rendre visite à des amis de ses parents. Lorsqu'il découvre qu'elle est partie sans lui, il pète un câble et part en soirée avec des gens qu'il vient à peine de rencontrer. Il est persuadé qu'elle a trop honte de lui devant ces gens très chics et très blancs et du coup lui en veut beaucoup. Il rentre très tard et bourré, elle lui reproche de ne pas l'avoir informé et il laisse entendre qu'il s'est tapé une autre nana (ce qui est faux) pour lui apprendre à avoir honte de lui.
Elle est blessée et explique qu'elle n'avait pas honte de lui mais qu'elle devait voir les amis de ses parents qui ne sont pas ses amis à elle et que ce sont des gens racistes. Elle a pensé sur le coup que c'était mieux de le préserver en y allant sans lui. Elle lui fait des reproches sur la nana qu'il se serait tapée mais le mec embraye en lui rappelant qu'elle préfère les blancs vu qu'elle s'est tapée plein de mecs blancs avant lui.
Furieuse de le voir lui parler comme ça, elle le provoque un peu (mais sans méchanceté ou quoi, elle dit juste un truc du genre "OUI je me suis tapé d'autres mecs avant toi et j'ai aimé ça!"). Et là, le mec part en vrille, il FRAPPE sa copine. Et visiblement il la frappe fort puisqu'elle est décrite comme saignant de la lèvre et choquée. Il la frappe encore et l'auteur décrit le choc de sa tête contre le mur. Puis il décide de lui arracher ses vêtements (
) et la balance sur le lit pour coucher avec elle. L'auteur précise à chaque geste sexuel du héros qu'elle "le laisse faire".
Après qu'il ait fini son affaire, l'héroïne lui dit qu'elle l'aime et qu'elle ne voulait pas le blesser (
). Et le chapitre se finit comme les autres dans une effusion de sentiments niais entre les deux personnages, le héros s'excusant à son tour pour son attitude.
Alors je n'ai pas vraiment ressenti la scène comme un viol dans le sens où je suis à peu près sûre que l'héroïne était "relativement" consentante vu le reste du roman (d'après son attitude générale, je pense que la scène aurait été différente si cette fille n'avait pas voulu de cette relation sexuelle - mais on est d'accord que je me permets de présumer de son attitude et d'en tirer des conclusions parce que c'est un personnage de roman et non une vraie personne, dans la loi française je pense que ça pourrait clairement être assimilé à un viol).
Mais par contre, j'ai été méga-choquée que le héros frappe sa copine jusqu'au sang et la violente avant d'avoir des relations sexuelles "vénère" avec elle dans une ambiance "punition". Et qu'ensuite, la scène se termine comme n'importe quelle autre scène romantique.
J'ai été d'autant plus choquée qu'un des préjugés sur les hommes polynésiens c'est justement de dire qu'ils sont violents avec leur copine. C'est-à-dire qu'il y a un vrai phénomène de violence conjugales particulièrement important dans les communautés polynésiennes mais du coup ça devient un cliché raciste du genre "si une blanche sort avec un samoan/maori/tongan, elle va devenir une femme battue" sous-entendant que ça se passerait jamais comme ça avec un blanc. Ce préjugé existe encore aujourd'hui en 2016 alors en 1970, il devait être encore plus fort.
D'ailleurs, les deux amoureux en parlent au début du roman pour plaisanter. Ils rigolent du fait que les Polynésiens ont la réputation de battre leurs femmes et ça rend la scène d'autant plus étrange et perturbante, surtout en tenant compte du fait qu'elle a été écrite par un homme polynésien justement.
Enfin bref, du coup, j'ai totalement stoppé la lecture du roman. Cette scène m'a franchement dégoûtée de leur idylle. Après, peut-être que justement elle sera expliquée plus tard mais vu qu'on est seulement au milieu du roman, je doute que cette relation sexuelle sous la menace des coups soit vraiment traitée à sa juste place.