Je te quitte'. Je n'ai même pas pris la peine d'y mettre la moindre ponctuation. J'ai rédigé ce sms un matin de juillet, dans un bureau climatisé. Je n'ai pas réfléchi, j'ai appuyé sur la touche “envoyer” et puis j'ai ignoré tes quinze appels manqués. Une actrice venait de mourir et nous prévoyons un pique-nique dans un jardin Parisien.
Tu n’y as pas cru une seconde. D’ailleurs, comme à ton habitude, tu as continué d’aller dîner chez mes parents. “Elle fait un caprice”, leur as-tu expliqué, “elle est comme ça, trop excentrique”. Ma mère à sans doute balayé une poussière imaginaire, d’un revers de main, avant d’acquiescer silencieusement. Pour elle comme pour toi, tout était limpide. Tu gérais notre relation comme tu gérais tes listes de courses. Une routine.
Tu es né dans un mouroir poussiéreux. Une ville cuvette, où l’air est étouffant et où la pollution vous grignote les poumons. Tu n’as jamais rien connu d’autres, à l’exception de quelques voyages institutionnels. Sans vraiment avoir d’ambition, tu as accompli ce que l’on attendait de toi, validé quelques années de Droit, sans trop savoir pourquoi. A vingt ans, tu déjeunais chez tes parents chaque dimanche, te rendait au supermarché les lundis après-midi et le samedi c’était une mousse au bar. Tu aimais le foot, par tradition familiale je suppose, ou parce qu’il faut “bien aimer quelque-chose”.
Notre relation était calquée sur le même modèle. Ne jamais rien laisser au hasard, et surtout, mettre des mots sur les sentiments. Films, dîners et sexe, tout devait être conforme à la “norme”. Quelle norme ? Nous ne parlions pas projet, à quoi bon, tu savais comment cela allait se dérouler. J’ai rencontré tes parents, tu es venu passer un weekend chez les miens. Tu as insisté pour rencontrer mon groupe d’amis. Après une quinzaine de refus, j’ai fini par obtempérer. Nous sommes allés au restaurant puis tu as dormi chez moi deux soirs par semaine. Il fut temps de partir en vacances. Tout a commencé à se morceler. Pourquoi ne pas parler d’appartement ? Mes parents ont rencontré les tiens. On a bu du thé mariage frère dans de la vaisselle en porcelaine. Ils sont fini par s’entendre. C’est sans doutes les origines, eux qui sont issus des petites classes moyennes. J’avais le cœur sur la langue et j’ai bien cru que j’allais vomir.
J’ai commencé à te mépriser un peu avant que tout déraille. Je me suis forcée à continuer de faire semblant. Le fait de te voir me flanquait la nausée, je rêvais de te frapper dès que tu ouvrait la bouche. Je suis désolée. Ce n’est pas toi que je hais. Tu es seulement, à mes yeux, la personnification de ce que je veux fuir. Ton manque d’ambition, ta non culture. Le fait de ne pas vouloir vivre ses rêves. S’ancrer dans une vie sans saveur, refuser de se battre. Faire comme les autres, vivre de manière insipide. Tu moquais mes envies, tu ne croyais pas en mes rêves. “Je ne suis qu’une gamine sans aucune raison”. “Je te quitte”, ce n’est pas toi que j’ai quitté. C’est ma vie de petite fille de classe moyenne, mon quotidien morne, ma ville dortoir. J’ai quitté des études que je n’ai jamais aimées, un horizon trop étriqué. J’ai trouvé le courage de dire merde à tout cela, à vivre ma vie comme je l’entendais, au delà des barrières sociales.
Je vis seule dans un 20 être carré. Je ne dîne plus chez mes parents le dimanche. Je suis anonyme dans une ville tentaculaire. Mais plus que tout je suis libre, et plus que tout je suis moi. Tu ne me manque pas.