Ce qui me déplaît aussi beaucoup ici c'est l'incapacité de certaines personnes à sortir de leur propre situation individuelle.
Je m'estime moi-même comme étant très privilégiée (ce n'est pas un gros mot, c'est un fait). Mes parents sont le cliché parfait de la famille immigrée qui n'est partie de rien, mon père travaille depuis qu'il a 20 ans et est à présent un cadre très bien payé. Ils ont commencé par louer des logements très petits pour une famille de 5 et sont maintenant propriétaires de deux logements (dont le leur). Notre héritage, sans être complètement fou, sera supérieur à 100 000 euros par personne (même après impôt je pense).
Je ne dirai jamais que mes parents sont des parasites, ils ont travaillé dur toute leur vie, paye en proportion largement plus d'impôt que des ultra-riches, ont mis tous leurs enfants dans l'école publique, etc. et pourtant, je suis opposée au fait qu'ils aient acheté un deuxième logement, surtout que ce n'est pas pour élever leur niveau de vie au quotidien mais pour nous laisser un héritage plus important. Ils possèdent leur logement donc au pire des cas si quelqu'un squatte le leur, ils peuvent se débrouiller, ils ont plus de ressources que quelqu'un qui n'a aucun patrimoine.
Et même si évidemment je crache pas du tout sur l'héritage (c'est normal, j'ai aussi mes intérêts personnels qui sont en conflit avec mes convictions), et même s'il est entièrement le fruit du travail de mes parents, je suis pour qu'on taxe davantage la succession (voire qu'on remette en question sa pertinence). Je pense que dans notre société le droit à la propriété est largement trop sacralisé, et même si je ne suis pas pour abolir toute forme de propriété, j'estime que certains droits sont plus importants. Même si cela va à l'encontre de mes intérêts !
Et quand je dis "le fruit du travail de mes parents" je le pense, mais en même temps, sans les soins de santé gratuits, certaines aides sociales, l'école gratuite, etc. ils n'en seraient pas là aujourd'hui. Et surtout, j'estime que même sans héritage matériel, il y a déjà une inégalité profonde parce qu'ils m'ont transmis un certain capital culturel qui a pu être déterminant dans ma réussite à l'école.
Bref, tout ça pour dire, je ne suis pas sensible à votre story-telling parce que je pourrais faire exactement la même chose, la seule différence selon moi c'est que certaines personnes n'arrivent pas à prendre suffisamment de distance pour prioriser la lutte contre l'ultra-précarité et le mal-logement par rapport à la protection de certains privilèges (qu'ils soient durement acquis ou juste hérités). Et non, je ne pense pas qu'on puisse faire les deux à la fois, l'un se fait forcément (dans une certaine mesure) aux dépens de l'autre.