J'voue que moi aussi je suis assez effarée de lire cette relativisation de l'extrême-droite et j'ai l'impression qu'il y a quand même certains éléments de culture politique qui manquent à certains sympathisants de gauche, en particulier parmi les plus jeunes, et qui se sont retrouvés chez les pro-Mélenchon. Par exemple, je ne trouve pas que les militants très bien formés type NPA ou LO aient un discours aussi relax sur l'extrême-droite que certains votants de Mélenchon, alors même qu'ils sont farouchement opposés à Macron.
Je comprends qu'on puisse envisager le vote blanc. Je le disais sur un autre topic, c'était ce que je me disais que je ferais ces deux dernières années si cette configuration se produisait. Maintenant qu'elle est là, ça me parait évident que je ne le ferais pas. Et comme je le disais sur l'autre topic, ce qui m'a fait réaliser qu'en fait, il n'y avait même pas d'hésitation à avoir, c'est qu'une de mes très bonnes amies ukrainiennes m'a écrit dimanche matin en me disant d'aller voter Macron. Je pense qu'elle n'avait pas bien compris le fonctionnement des éléctions françaises, et tout ce qu'elle savait c'était qu'on allait probablement devoir choisir entre Le Pen et Macron, pas que Macron lui paraissait être le seul candidat viable. Cependant, quand j'ai réalisé que le seul message qu'elle m'a écrit personnellement depuis le début de la guerre c'était parce qu'elle avait peur de la montée de l'extrême-droite en Europe et essayait comme elle pouvait de l'en empêcher, j'ai réalisé qu'effectivement, ce n'est pas DU TOUT deux choix équivalents.
Bref, je comprends le cheminement car je l'ai eu, même si maintenant je vais voter Macron sans ambiguïté après m'être dit pendant des années "plus jamais, le barrage extrême-droite par les pompiers pyromanes, c'est fini!". Hé bah si malheureusement, je ne pense pas avoir vraiment le choix.
Par contre, je trouve le choix de voter carrément Le Pen pour des sympathisants de gauche assez ubuesque, mais j'ai commencé à parler de culture politique parce que j'ai remarqué certains discours chez des jeunes de gauche qui se revendiquent pourtant de courants "intersectionnels" qui sont en fait hyper contradictoires avec les valeurs que portent la gauche, et qui à mon avis expliquent qu'ils ne voient pas trop le souci à avoir Le Pen au pouvoir plus que Macron. Il y a une sorte d'historique qui manque dans le militantisme forgé sur les réseaux sociaux je trouve.
J'ai vu deux débats en ligne chez les jeunes de gauche qui m'ont particulièrement choqués :
- Le fait de réclamer qu'on retire le droit de vote à partir d'un certain âge. J'en ai parlé plusieurs fois sur le forum, mais je trouve ça assez inquiétant que des jeunes gens qui se veulent défenseurs des minorités opprimés réclament ce genre de mesures sous prétexte que les vieux ne voteraient pas assez progressistes et enlèveraient donc des droits aux autres. Bon, déjà, comme je l'ai expliqué ailleurs, c'est loin d'être la faute des vieux à qui ces personnes parlaient d'enlever le droit de vote (plus de 70 ans par exemple) si la droite a tant de voix, et encore moins leur faute si l'extrême-droite progresse car les plus de 70 ans votent beaucoup moins à l'extrême-droite que les moins de 35 ans.
J'ai carrément lu des messages énervés par la défaite de Mélenchon qui non contents de vouloir enlever le vote aux personnes âgés, faisaient des commentaires sur le fait d'aller "brûler des EHPAD" ou ce genre de joyeusetés. Pardon mais je doute que les pensionnaires des EHPAD soient allé faire la queue aux bureaux de vote en masse et sont donc surreprésentés face à l'abstentionnisme des jeunes.
Je comprends que ce sont des commentaires dits en l'air par frustration, mais ça dénotait vraiment une sorte de discours âgiste totalement banalisé et généralisé, qui est particulièrement problématique pour des personnes qui prétendent lutter contre les diverses dominations car les personnes en EHPAD sont généralement des personnes vulnérables, que ce soit par leur position sociale, économique, leur état de santé ou leurs multiples handicaps. Le fait de même trouver normal de montrer du doigt une catégorie vulnérable pour se défouler me parait hyper problématique.
- L'autre débat qui m'a aussi paru hyper étrange, c'est ceux qui parlaient de donner le droit de vote aux étrangers vivant en France... pour le retirer aux Français qui n'habitent pas en France. Vraiment, je n'arrivais pas très bien à comprendre comment des gens de gauche pouvaient trouver cette idée parfaitement de gauche et progressiste alors que c'est en fait juste un discours inversé du discours d'extrême-droite. Les arguments c'était du genre "oui mais les expatriés ne payent pas d'impôts et de cotisations en France donc pourquoi ils voteraient", ce qui en plus de ne pas forcément être vrai (on peut choisir de cotiser en France sans y habiter, notamment pour préparer sa retraite) me paraissait assez bizarre pour un discours de gauche : depuis quand les droits civiques sont supposés être conditionnés à l'argent que tu payes?
D'autres arguments tournaient dans le sens de "pourquoi ils décideraient pour un pays où ils n'habitent pas", ce qui me paraissait aller aussi totalement à l'opposé des principes de gauche : le choix du président, ce n'est pas juste important pour ce qu'il va faire dans le pays dans 2 ans, mais aussi pour ce que ses politiques structurelles, en particulier dans les domaines sociaux et économiques, vont avoir comme répercussion sur le pays dans 5, 10, 20 ans. Donc si un Français vit en Californie (parce que j'imagine que ce discours ciblait les "mauvais expatriés" qui vivent dans des régions qui ont une image de clinquant) depuis 6 ans, je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas le droit de voter pour l'orientation d'un pays dans lequel il va potentiellement retourner après 10 ans. La retraite, le système de santé, l'éducation de ses enfants, la prise en charge de ses parents âgés, la vie quotidienne dans 10 ans : ces décisions se prennent en partie aujourd'hui et ça concerne donc même l'expatrié qui reviendra dans seulement 10 ans.
Donc je trouvais ce débat très étrange, d'autant qu'il était présenté comme un truc légitime à dire quand on est à gauche, alors que la source des arguments (négliger le caractère structurelle des politiques, conditionner les droits civiques à des questions d'argent, considérer une population vulnérable comme une nuisance, etc.) me paraissait pas franchement à gauche.
Mais surtout, ce qui m'a frappée en lisant ces débats, c'est que j'ai l'impression que toutes les notions liées aux droits civiques et aux droits fondamentaux qui sont pourtant essentielles historiquement dans de nombreux mouvements de gauche sont totalement dilués dans ces nouveaux discours de gauche 2.0 qu'on voit sur les réseaux sociaux. Parler de retirer des droits à une population ainsi que sa légitimité à participer à la vie civique parce qu'on ne veut pas que son avis nous impacte, c'est quand même hyper problématique, mais le fait que ça paraisse séduisant et révolutionnaire dans un sens positif à de nombreux jeunes, j'imagine que ça explique en partie que le danger de Marine Le Pen et de l'extrême-droite sont particulièrement minorés. Tout ce qui est lié aux institutions, aux droits civiques et politiques, j'ai l'impression que c'est très mal maitrisé et mal compris par de nombreux militants de gauche d'aujourd'hui, que c'est donc considéré comme moins importants que d'autres sujets, alors que c'est en fait non seulement hyper symbolique mais à la source de nombreuses problématiques.
Bref, c'est un peu fouilli mais tout ça pour dire que j'ai l'impression que la disparition des partis classiques de gauche et le manque de vraie formation des militants LFI par le parti font que certaines notions ont été perdues de vue, ce qui contribue à normaliser le vote Le Pen aux yeux de certaines personnes qui s'identifient à gauche.