Le souci est que, selon moi, un débat doit être rationnel. Si on débat uniquement en se basant sur l'émotion, on ne peut que difficilement faire preuve d'objectivité et toute opinion contraire est alors rejetée, quand bien même elle serait juste, au motif qu'elle serait blessante ou irrespectueuse de la souffrance d'autrui.
J'ai tout lu et n'avais pas grand chose à dire jusque là, mais je voulais réagir à ce bout de message parce que je ne suis pas d'accord, et que je trouve que les implications de cette idée sont un peu problématiques.
Déjà, pour moi l'idée qu'un débat doit être 100% dans le rationnel et opposer rationnel/émotionnel ou émotionnel/objectivité me dérange un petit peu. Nos émotions ne sortent pas de nulle part, elles servent à nous signaler qu'il y a des choses dans le contexte qui les déclenchent qui sont pertinentes/importantes, ce qui va ensuite nous pousser à réfléchir à ce qui a pu les déclencher. Il est tout à fait possible de sentir que quelque chose "ne va pas" dans un discours/une situation, parce qu'on ressent en conséquence de la colère/tristesse avant d'avoir réussi à identifier ce qu'on y trouve de problématique. Le fait que quelque chose nous blesse/blesse quelqu'un d'autre, est pour moi une indication importante qu'il y a quelque chose à creuser là-dedans. Pour moi il y a 100% une complémentarité entre l'émotionnel et le rationnel parce que les deux se nourrissent l'un de l'autre.
Et je trouve que l'idée "un débat doit être rationnel" est problématique, parce que c'est un peu le genre d'affirmation qui semble être de bon sens, mais qui est aussi la porte ouverte à un complet manque d'empathie. Genre, débattre c'est cool, mais pas en toutes circonstances, et être rationnel, c'est stylé, mais pas quand ça veut dire marcher sur les sentiments des gens.
On ne peut pas demander aux gens qui sont touchés par une problématique de ne pas s'exprimer dessus (ça serait en plus une grosse perte, parce qu'ils ont probablement beaucoup de choses à nous apprendre dessus), et on ne peut pas leur reprocher d'avoir des réactions viscérales face à certains propos ou certaines positions (et de nouveau, je pense qu'on peut apprendre beaucoup du fait que ces propos amènent ces réactions chez ces personnes). Ce qu'on peut faire, c'est essayer de read the room et ne pas vouloir à tout prix débattre quand ça va faire plus de mal que de bien, et aussi être prêt.e à accueillir les réactions qu'on va avoir en face et essayer de les comprendre. On s'en fout que ça nous paraisse pas rationnel ou objectif au premier abord, si ça se trouve la logique qu'on ne voit pas initialement dedans va émerger après. Et au delà de ça, qu'est-ce qui est plus important, faire entendre son opinion sur un sujet x, ou éviter de raviver des trucs douloureux dans les autres gens qui participent à la conversation ?
Pour illustrer ce que je veux dire: J'ai un ami que j'ai appris à beaucoup aimer, mais il rend ça TRÈS difficile, parce qu'il adore débattre, il pense que tout devrait être sujet à débat, et il est très "cartésien" comme il dit, donc il reste sur un plan très théorique avec des idées, des stats, des grands principes. Il est incapable de se rendre compte que des trucs qui pour lui sont complètement théoriques (homme blanc, cis, hétéro, éduqué, de classe sociale ++, etc.) sont extrêmement sensibles pour d'autres qui en ont subi les conséquences bien réelles. Pour lui tous les arguments peuvent être placés sur le même plan/peuvent avoir la même importance et il ne réalise pas du tout la grande violence de ce qu'il fait parfois quand il lance des débats. Pour donner un exemple: il ne voit pas le souci à tenter de discuter de la question de "mais finalement, est-ce que le consentement ce n'est pas l'absence d'un non" à une table où il n'y a que lui et des nanas qui ont toutes vécues des agressions sexuelles. Cool bruh que ça soit un sujet de discussion philo pour toi et qu'on puisse arguer que nani nana, et le mec si il n'y a pas de non, comment il peut savoir que c'est non, et quid de l'importance de l'intention et bla bla bla, mais en fait reviens dans le vrai monde et rends toi compte qu'une d'entre nous est à deux doigts de te mettre une tarte bien méritée.
Et lui il est capable après nous entendre nous énerver de dire que rolala, on met les choses sur un plan émotionnel et que lui il essaie juste d'avoir un débat rationnel. Bah mec franchement, tu fais juste du mal à des gens que t'aimes et est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ?
D'autant plus que (et ça rejoint mon premier point), nos réactions émotionnelles dans cette situation sont typiquement déclenchées par des défauts dans son argumentation, et qu'il se trouve qu'on a personnellement fait les frais du fait que ces erreurs sont ultra répandues. On peut tirer quelque chose de tout à fait rationnel de notre souffrance.
(je sais pas si ce que je dis est très clair, il est tard et je m'embrouille, désolée)