@seapunk
Je pense que cette "supériorité" qui revient souvent est lié à plusieurs éléments, et notamment à cause de cette com grand public dont tu parles.
En tout premier lieu, le flou définitionel de l'intelligence.
Je sais qu'on peut avoir individuellement du mal à définir l'intelligence, mais cela ne change pas le fait que ça ait une définition, que c'est un concept qui existe et couvre une réalité.
L'intelligence, c'est la capacité à apprendre, comprendre et à s'adapter à des situations. Plus on arrive à faire ces actions de façon répétée et rapide, plus on est intelligent. Il me semble assez évident que certaines personnes sont bien plus capables que d'autres à mobiliser ce genre de processus intellectuels, avec parfois des domaines où ils sont plus à l'aise que d'autres.
En convenir ne devrait pas signifier que ces gens sont "supérieurs" aux autres en tout point. L'intelligence, ce n'est pas tout.
Cependant, beaucoup de gens pensent que si, c'est tout. À tort.
Cela est en plus appuyé par un choix assez mal-approprié de mots, comme "surdoué", qui donne justement une impression de supériorité "globale" alors qu'il n'en est rien, et par une représentation extrêmement fantasmé et idéalisé du surdoué dans les médias. On trouve ça aussi pour d'autres troubles psy, mais comme tu le dis, ça va souvent moins gêner les gens dans "leur" perception d'eux-mêmes et ça va s'accompagner d'une part visible de difficultés qui vont compenser (le bipolaire présenté comme surproductif en phase maniaque connaît aussi des phases dépressives ; les autistes présentés comme des êtres surproductifs sont aussi présentés comme des robots incapables d'empathie, etc. => On a une vision pas entièrement enviable du concept, qui donne l'impression qu'on "paie" sa surproductivité avec une infériorité ailleurs).
Car finalement, je pense qu'il y a trois niveaux de compréhension : l'intelligence selon la définition de beaucoup de gens et des médias (qui peut revenir à dire "bonnes notes, surtout en maths, = surdoué", ou "meilleur en tout point à tout ce que je suis"), l'intelligence selon la définition normale (que j'ai essayé de donner plus haut) et l'intelligence telle qu'on parvient à s'en rapprocher avec l'outil de mesure qu'est le test de QI (perfectible, ne couvrant peut-être pas tout ce qu'est l'intelligence, mais ayant tout de même le potentiel de donner des informations intéressantes et des pistes aux gens concernés).
En même temps, le fait que des gens definissent eux-mêmes l'intelligence selon de mauvais critères ne signifie pas que ça n'existe pas. Cela signifie qu'ils peuvent parfaitement se méprendre et qualifier d'intelligent ce qui ne l'est pas forcément, du moins pas pour les raisons qu'ils soulèvent.
Derrière l'intelligence, des gens vont projeter une meilleure ouverture d'esprit, une plus grande créativité, l'appartenance à un bord politique en particuliers, une totale immunité face aux biais cognitifs, un plus haut salaire que tout le monde, une omniscience qui ne passe même pas par un apprentissage préalable...
En un sens, les gens vont placer tout ce qui est valorisant voire inatteignable derrière ce terme, rendant improbable ou juste vulnérabilisant de se dire que des personnes pourraient y correspondre.
Alors que non, une personne intelligente n'est pas omnisciente, n'est pas plus ouverte d'esprit que les autres, n'est pas forcément de tel ou tel bord politique, n'est pas plus tolérante, n'est pas que ingénieur ou médecin ou tout ce qui donne un bon salaire, n'est pas plus créatif... N'est pas tout ce qui donne de la valeur dans notre inconscient collectif et individuel.
Un HP peut être au chômage, ne pas révolutionner le monde, ne pas gagner de prix Nobel, être hyper intolérant, ne rien connaître en physique quantique (comme la plupart des gens qui ne se renseignent pas sur le sujet, même si les petits surdoués des films semblent naître avec une connaissance omnisciente dans tous les domaines), etc.
Et c'est là le problème.
Le fait est qu'une personne qui vient nous voir en disant "je suis surdoué" va donc nous donner l'impression, non pas qu'elle "a une capacité avec un potentiel supérieur à celui de la majorité en ce qui consiste à apprendre, comprendre et à s'adapter à des situations", mais qu'elle est "un être supérieur en tout, à tous les niveaux, surtout ceux valorisés par la société et ceux inatteignables" ou qu'elle ne l'est pas mais pense l'être.
Forcément, si on part avec une mauvaise idée de ce que cela recouvre, on va rejeter ce principe diagnostic. Alors que peut-être que la personne qui vient avec son "je suis surdoué" ne parle que de son profil cognitif et ne se trouve absolument pas meilleur que la personne en face.
Autre point essentiel : il y a une différence entre un potentiel et un état de fait. Une personne dite HP a un potentiel qu'elle ne va pas systématiquement réaliser.
Pourquoi est-il plus facile de dire qu'une personne est meilleure que les autres en dessin, en chant, en danse, en tout autre capacité valorisante ?
Tout simplement car il est plus facile de limiter ces capacités-là et de ne pas les laisser déborder vers quelque chose de large et flou, qui donnerait à ces personnes une valeur supérieure à nous en tout.
On peut se dire "elle est meilleure en dessin, mais moi je m'en fiche de bien dessiner et je préfère me concentrer sur autre chose, dans lequel je suis présentement meilleur qu'elle". Alors que si on projette "tout" derrière l'intelligence, ça ne fonctionne plus : "elle est meilleure en "tout", mais moi je m'en fiche... hein, en fait non, je m'en fiche pas, car "tout", ça englobe tout ce que je peux faire à côté, je suis fichue ou cette personne ment !". Le quiproquo change tout.
La théorie des intelligences multiples, par exemple, séduit beaucoup car elle donne à l'intelligence beaucoup plus de possibilités, et donc elle inclut beaucoup plus de monde.
Pour moi, elle ne me satisfait pas clairement, car elle me donne l'impression qu'encore une fois, une capacité ne sera jugée valorisante que si on l'appellera intelligence. J'ai parfois encore l'impression qu'on préfère mettre tout le monde à égalité par ce biais, en effaçant l'intelligence, plutôt que valoriser d'autres types de talents.
Ce qui montre bien que ce terme a une telle image valorisante qu'on lui substitue tout plutôt que de juste considérer qu'on n'est pas tous capables des mêmes choses et qu'on a peut-être les moyens d'être meilleurs en quelque chose sans être "supérieurs" pour autant.