Mon copain est en cinquième année de médecine, moi en cinquième année de psycho, avec une spécialisation en psychologie sociale de la santé. Au quotidien, je travaille sur la relation médecin-patient, le consentement éclairé, les connaissances et croyances des patients, les pratiques des professionnels. Lui avale 700 pages de cours en deux semaines et ses examens sont des cas cliniques "Madame F, 46 ans, douleurs au thorax", "Monseur G, 67 ans, difficultés à respirer et maux de tête". Récemment un de ces profs a dit en cours que les chirurgiens faisaient pratiquer des touchers vaginaux aux étudiants de médecine au bloc. Lui ça l'a fait rire. Moi j'étais effondrée. Alors souvent, je dois lui expliquer, que les gens sont là, derrière les pages de cours, derrière les humiliations des chefs de service, derrière les sacrifices qu'il fait pour sauver des vies, derrière les 28 heures sans sommeil après une nuit de garde, derrière le réveil à 4h du matin pour la 6ème césarienne de la journée. Le patient, c'est le grand absent des cours de médecine. Je pense que petit à petit il comprend, quand je lui raconte ce que disent les patients il comprend. Il veut devenir un meilleur médecin, être à l'écoute, je lui explique juste comment. Les gens veulent être rassurés et écoutés, pas seulement remis sur pieds. Les gens deviennent une addition de symptômes à traiter, et c'est tellement triste. Je travaille avec des femmes atteintes de cancer, des femmes qui me disent "pour mon oncologue je ne suis pas une personne je suis une tumeur sur pattes qu'il faut soigner", "mon médecin m'a dit que je ne pouvais plus prendre la pilule, je ne sais pas quelle contraception j'ai le droit de prendre, ça fait 4 ans que mon mari et moi utilisons des préservatifs", "mon médecin ne m'a jamais parlé de mes enfants ou de mon mari, il ne m'a pas dit que j'aurais une baisse de libido, je ne suis pas une femme pour lui" et bien sûr le typique et horrible "mon gynéco m'a annoncé par téléphone "vous avez un cancer, vous savez où vous voulez être suivie?"".
Vraiment c'est horrible, mais il faut se rendre compte de la réalité. En dehors d'une micro UE en première année, les étudiants en médecine ne sont pas formés. Ils apprennent par coeur des milliers de pages pendant 6 ans, triment en stage en se faisant appeler "l'externe" ("je ne vais quand même pas apprendre ton prénom") et n'ont jamais de vrais conseils sur comment être un bon médecin qui sait mettre les autres en confiance. Alors il ne faut pas s'étonner si ça foire. Si les gens n'ont pas confiance. Si les médecins ne savent pas gérer.