@Margay Parce que tu as choisi de décider de cette norme sur le critère de la douleur, de l'argent et le temps. Mais ça ne veut pas dire qu'une norme DOIT se construire selon ces trois points.
Mon exemple : me raser ne me fait pas spécialement mal (voire pas du tout, je dois être chanceuse, mais je trouve qu'on ne sent rien avec un rasoir), inclure une partie épilation dans mon budget ne me dérange pas, et c'est un temps (pas si important que ça, en plus) que j'apprécie passer à prendre soin de moi. Du coup, si je devais, suivant ma propre expérience, choisir une norme, ce ne serait pas nécessairement suivant les critères que tu définis, d'autres me sembleraient plus prioritaires pour répondre à m.
En ce sens, je ne veux pas dire "tes critères sont pourris" mais plutôt "pourquoi faudrait-il que ce soit ceux-là ?". L'épilation a son lot de bons côtés qui peuvent pencher un peu plus dans la balance pour certaines que les mauvais... ou pas, bien sûr. C'est pourquoi il me semble que discuter d'une norme demande énormément de réflexion et d'aller au-delà de ce qui nous dérange ou nous plaît individuellement dans le concept.
"Quitte à choisir une norme", mais pourquoi en choisir une ? Qu'est-ce que ça change ? Et pourquoi un petit groupe de femmes qui se revendiquent hors-normes auraient plus de légitimité à choisir une norme que toutes les autres ?
@Imago Une personne qui se coupe les pointes se mutile ? Une personne qui se coupe les ongles aussi ? Non, parce qu'un poil, ça repousse, tu enlèves l'excédant. Le processus se rapproche bien plus des actions que je cite dans mes questions que du fait de s'arracher une phalange (qui ne repoussera pas et qui aura un capital douleur quand même vachement supérieur, donc pas forcément comparable). Tu peux juger que c'est couper trop de choses chez toi (et c'est ton droit), mais venir me voir et me dire que je me mutile en enlevant ces parties de mon corps, alors même que cela n'est même pas réellement risqué pour ma santé, je trouve ça assez désagréable.
Pour aller (beaucoup) plus loin, n'est-ce pas une mutilation d'avorter ? Non, parce que, si on considère que ça fait partie du corps d'une femme, mais qu'elle peut se l'enlever quand bon lui semble, alors que ça devient tendancieux de s'enlever des poils... On ne devait pas mettre dans le même bateau toutes les formes de changements corporels volontaires à base de retraits d'un élément du corps. C'est injuste. De même qu'une femme peut se faire un piercing et un tatouage sans qu'on l'accuse de se torturer. De même qu'une femme peut aimer le BDSM dans certains contextes sexuels et ne pas se faire torturer. La différence, c'est le consentement, c'est la vision qu'on a de l'acte, et c'est les dommages réels qu'on s'inflige... Ce n'est pas juste "on enlève un truc, donc c'est une mutilation, donc c'est mal". C'est trop simpliste, réducteur, et ça limite juste à UN mode de pensée.
Après, si tu juges que toi, personnellement, tu te mutiles, c'est autre chose. Mais construire une norme sur ta seule perception, ça ne me semble pas cohérent. ^^
Je trouve que ce qui est beau avec l'être humain, c'est aussi sa capacité à faire des choses qui ne lui sont pas aussi vitales que seulement se nourrir. C'est un animal social. Plus que se nourrir, il a créé la cuisine, la gastronomie. Plus que se couvrir, il a créé les vêtements, les styles, la haute couture. Plus que noter des données, il a pris soin d'écrire, de romancer, d'imaginer. Alors, certes, il y a des produits pas toujours les plus sains dans les outils qui lui permettent de toujours aller plus loin dans son déploiement d'inventivité et de normes sociales. Mais est-ce que une potentielle dangerosité est un argument suffisant pour tout vider sans chercher avant tout à trouver des équivalents moins dangereux ? C'est un peu comme raser la forêt parce que des arbres sont contaminés : pourquoi ne pas se concentrer sur ces arbres en premier lieu ?
L'idée d'être beau au naturel n'est pas ôté parce que des gens se préfèrent avec des artifices, chacun a le droit de se sentir beau comme il veut. Si tu penses qu'on est plus beau quand on a des poils, c'est ton droit, et je ne vais pas t'en vouloir de me juger moins belle que toi parce que je m'épile. Pourquoi faudrait-il toujours être naturel, en fait ? C'est une vraie question que je te pose, on dirait que c'est la loi à respecter, vers laquelle nous devons tous forcément tendre, comme si porter des artifices te rendait automatiquement artificielle par la même occasion. Qu'est-ce qui fait que cela devrait forcément être la nouvelle norme, clairement ? J'ai l'impression que tu ne me parles que de ton avis, de ce qui fait que TU ne veux pas t'épiler, pas de ce qui fait que ça serait mieux si la société encourageait la non épilation. Les critères esthétiques que tu mets en avant (naturel) ont autant de valeur que ceux qui sont prônés par l'épilation : soit tu les prends en compte des deux côtés, soit tu dis qu'il ne faut pas se limiter à eux. Mais dire "réfléchis à ce qui fait que tu te trouves plus belles épilées avant d'en faire une norme" et ensuite annoncer que tu vas faire une norme parce qu'on est plus belles au naturel, ça n'a pas de sens.
Le handicap au quotidien que tu cites n'est encore une fois pas lié à l'épilation seule mais à la peur du regard des autres, à la pression que peuvent exercer les autres. Et si tu trouves que ça justifie d'inverser les normes, imagine ce que vivront en retour les femmes qui s'épilent dans une société où on leur demande d'être poilues : la même chose, à l'inverse. S'attaquer à inverser la norme ne répond donc pas au problème, il change juste les cibles en conservant une injustice. Si tu ne veux pas que je veuille t'oppresser avec mes jambes rasées, ne m'oppresse pas en retour comme si c'était "chacun son tour". Là, c'est un travail tout autre qu'il faut mener : pousser à accepter les différences, revaloriser les femmes poilues, combattre les discriminations... Pas transposer une oppression sur un autre groupe. ><
Je ne sais pas si une femme qui ne s'épile pas va forcément mieux employer son temps qu'une femme qui s'épile. Je pense que ce qui peut pousser une personne à s'éloigner de "préoccupations plus impactantes" va au-delà de ça, même si cela peut avoir une petite influence sur le long terme. Dans ce cas, chaque élément de loisirs ou de détente éloigne de préoccupations plus impactantes, mais doit-on forcément toujours être au taquet en toutes circonstances ? Si on fait le choix de répartir son quotidien et d'inclure des instants de détente - comme prendre soin de ses jambes et se les raser tranquillement après un bon bain -, est-ce moins noble ou acceptable ?
D'ailleurs, si tu vas sur cette étude :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf , dont on avait parlé sur l'ECM féministe, tu peux voir que les femmes et les hommes emploient dans l'ensemble un même type de temps pour ce qui est des "activités personnelles et de récupération" et les "activités de loisirs et de temps libres" cumulés. Donc si s'épiler demande du temps aux femmes (puisqu'il doit y en avoir une majorité qui s'épilent, je présume), peut-être pas assez pour réellement impacter leur emploi du temps et créer un biais avec les hommes sur ce plan, en général, sur ce plan.
Et en effet, le conditionnement est une méthode plutôt bonne pour renverser les normes. Mais est-ce qu'il faut forcément combattre un conditionnement par un autre ? Qu'est-ce qui fait que celui que tu remplaces vaut mieux que celui que tu avais ? N'es-tu pas toi-même conditionnée par d'autres formes d'influences pour vouloir conditionner les femmes de la même manière que toi ?
@Nastja J'espère bien qu'on arrivera jamais à ça, parce que ce serait vraiment tyrannique. Mais c'est vrai que lire qu'il faudrait privilégier la norme de la non épilation plutôt que celle de l'épilation, ça me fait un peu penser que ça pourrait, a posteriori, arriver (mais sans doute pas d'une façon aussi extrême). Parce que ça veut dire qu'on ne combat pas la bonne chose : au lieu de vouloir que chacune s'accepte telle qu'elle est, on veut oppresser le groupe qui se sent bien pour revaloriser l'autre. Je pense qu'on ne se rend pas compte de ce que cela veut dire pour le moment, mais ça ne me semble clairement pas être la bonne solution...
J'ai un peu peur qu'un renversement de normes rendent aussi la recherche du côté de l'épilation (pour celles qui veulent perséverer dans cette voie) très compliquée : plus personne n’investira dans ce domaine, les produits deviendront de moins en moins bons, de plus en plus agressifs (rasoirs de moins bonne qualité, peu de choix, etc.), et cela deviendra une nécessité d'arrêter... parce que oui, là, on risque de ne plus pouvoir suivre cette activité de façon saine et accompagnée.
Je sais que ça peut prendre du temps à arriver, mais ça pourrait, oui. Plutôt qu'interdire les produits, les raréfier me semble donc être une stratégie qui pourrait être employée. Mais c'est tout de même plus complexe que ça.
@Dame Verveine Et je suis d'accord avec ce sentiment général, il faut lutter dans son sens et pas dans celui d'un extrémisme pro-poil.