Aujourd'hui, j'ai mis un short de taille normale et des bottes à talons, avec un petit collant fin. Je me suis fait coincer et insulter par une nana genre racaille :
"Ouais vas-y, demain, tu viendras au lycée en culotte, sale pute ! T'as vu tes jambes, on dirait des jambons, sale folle ! Tu joues la belle, mais dans le fond t'es moche ! T'es moche ! T'es moche ! T'es moche ! T'ES MOCHE !"
Elle a répété ça pendant tout le temps que je remontais ma rue. MOCHE. Le mot résonne dans mes oreilles, comme un gong meurtrier. Ca m'écorche les tympans. Ca me fait mal. Je me sens comme blessée. Comme si elle avait pris un poignard et me l'avait lancé en plein visage. Je vous assure, les mots font aussi mal que les coups.
Je rentre chez moi. Je m'affale sur mon lit. Je pleure. Je me regarde dans le miroir. J'ai de la cellulite. Mes genoux sont moches et cabossés. Je suis grosse. Je suis MOCHE. MOCHE. MOCHE. "J'ai 19 ans et je suis une salope", je me répète en boucle. Et puis je repense à cette conversation Facebook ou une fille de ma classe parle de moi dans mon dos parce qu'elle estime que ma "jupe fait la même taille que mes talons *ricanement méprisant*".
J'ai honte de mon attitude. Demain, je mets un vieux jean moche et un col roulé. Je ne me sentirai pas belle dedans parce que je n'ai pas de hanches et des bourrelets mais au moins, ils me foutront la paix. Je ne suis pas une salope. Je suis encore vierge, je n'ai jamais eu de petit copain, et je ne veux pas que l'on me prenne pour ce que je ne suis pas.
Puis, je vais sur MadmoiZelle (ma petite bulle d'oxygène après une dure journée de labeur). Je lis des choses. Je découvre les concepts de Slut-Shaming et de culture du viol. Et là, tout doucement, la vérité fait son chemin : finalement, ce n'est peut-être pas moi la salope, c'est peut-être juste le monde dans lequel je vis qui est complètement crétin. Je n'ose pas encore me l'avouer franchement, car c'est tellement différent des principes que l'on m'a inculqués. Depuis toute petite, ma mère me répète : "Ta jupe est courte, demande à ton père si ça ne fait pas pute", "tu as mis trop de mascara, oh mon dieu, ça fait mauvais genre", "si tu es affriolante, les garçons t'embêteront, tu sais, et faudra pas venir pleurer après" . Mes vérités s'écroulent. Car je me rends compte que finalement, c'est vrai. En quoi le fait de vouloir être jolie est-il mal ? Prendre soin de son corps et le mettre en valeur n'est-il pas une forme de respect et d'amour envers soi-même ? D'ailleurs, n'existe-t-il pas un proverbe qui dit "Prends soin de ton corps, afin que ton âme ait envie de l'habiter" ?
Je me sens soudainement plus légère. Non, je ne suis pas une salope. Amusée, je vais me voir dans la glace. Mon short est large, tombe à mi-cuisses, et mes guêtres de laine blanche montent jusqu'à mes genoux. Un petit pull à manches longues bleu canard, sans décolleté ni fioritures, complète la tenue. Franchement, c'est pas comme si j'arrivais en cours en guêpière de cuir, menottes et fouet à la main ! C'est vraiment pas la mort du p'tit ch'val ! A l'heure ou les chanteuses se trémoussent sur des barres de fer en se tripotant l'entrejambe avec forces regards langoureux et langues sorties, je me dis que finalement, mon style, il est même plutôt gentillet. Bon, d'accord, il ne faut pas confondre la télé et la réalité, diront les sceptiques. A ceux-là, j'ai envie de dire qu'une nana, tant qu'elle n'est pas excessivement provocante (entre le short et le string-léopard-seins-nus y a un peu des limites quoi) devrait avoir le droit de s'habiller comme elle le souhaite ! Se sentir jolie et bien dans ses baskets n'est pas un crime, merde ! Et quand à ceux qui ne sont pas fichus de voir les nanas bien mises en valeur autrement que comme des objets sexuels, pensez que la jalousie est mauvaise conseillère ! Au lieu de baver sur les gens, demandez-vous pourquoi vous avez envie de le faire : peut-être vous sentez-vous frustrés quelque part... Dans ce cas-là, inspirez-vous de ces "femmes libérées", fredonnez-vous Cookie Dingler dans votre tête, (vous verrez, ça fiche la patate
), et,au lieu de les insulter, offrez-leur un sourire radieux et un joli compliment, en pensant à la chance qu'elles ont d'être libres de s'aimer et de s'habiller comme elles veulent! A bon entendeur ... !
Quant à toi, insulteuse inconnue du coin de ma rue, j'ai un petit message pas piqué des vers pour toi :
Ah ouais. Je suis une salope. Je suis moche. On se la joue insulteuse professionnelle, on hurle sa frustration haut et fort pour se faire croire qu'on est forte, espérant au passage les éclats de rire de 2-3 passants. Histoire de se sentir forte. Parce que, dans le fond, on n'en mène pas large, hein ? On se pose avec ses copines sur les bancs publics, le soir à 4 heures, avec un Coca-Cola à la main, et on bave sur les gens qui passent. Parce qu'on se fait chier dans la vie. A défaut d'en construire une, on sabote celle des autres pour se réconforter. Mais, dans le fond, ça t'apporte quoi ? T'as les neurones qui se multiplient quand tu les profères, ces insultes ? Ca te fait maigrir, ça te rend plus belle, ça fait augmenter ton tour de poitrine, ça te fait l'effet d'une séance d'UV ? Hein, ça t'apporte quoi ? Tu fais mal à une fille qui ne te connaît pas, qui ne t'a rien fait, comme ça, gratuitement, juste parce qu'elle n'est pas habillée comme toi ? Sérieux, t'as quel âge ? Dans le fond, tu ne vaux pas mieux que moi : je suis habillée comme une pute, et toi, tu te comportes comme la dernière des pétasses. Un point partout. Avant de critiquer, tu devrais aller te regarder dans une glace : certes, je ne suis pas magnifique, mais je suis sûre que toi non plus. Le mot "MOCHE" ne devrait pas franchir nos lèvres aussi facilement : il fait bien trop mal, et ce sont des jugements bien trop relatifs pour être balancés sur le tapis comme ça, sans raison.
J'espère pour toi que, dans ta vraie vie, tu es autre chose que cette harpie grossière et hurlante. J'espère que tu as un petit frère ou une petite soeur, et que tu le blindes de câlins après ton retour du lycée. J'espère que tu respectes tes amies, et que tu leur offres ton épaule quand elles en ressentent le besoin. Enfin, j'espère être la seule à avoir été traitée de salope par ta bouche. Non pas que je désire le privilège de l'exclusivité, loin de là
. Mais j'ose espérer que tu ne m'as lancé ce chapelet de poignards uniquement car tu avais passé une sale journée aujourd'hui. Le cas échéant, bah, la seule chose que je puis te conseiller, c'est une cure de Cookie Dingler
Voilà, voilà, je suis désolée, j'ai souvent tendance à monopoliser la parole ^^ Mais je voulais juste témoigner : parce que j'ai pris conscience à mes dépens que le slut-shaming, hélas, c'est une réalité bien plus courante qu'on ne pense. "Liberté, égalité, fraternité, mini-short en lamé", comme on devrait dire (selon moi, fashionista débraillée et un poil cinglée ^^) dans le beau "Pays des Droits de l'Homme"... et de la femme !