@Madthilde , notre conversation m’a tenue éveillée une partie de la nuit. J’en suis venue à deux conclusions :
- Nous n’avons pas du tout les mêmes prémisses à notre réflexion sur la langue et
- Tu ne maîtrise pas les us et coutumes propre au forum : on sait bien qu’on ne convainc pas une personne en un débat (même de 10 pages). Du coup, on ne réfute pas forcement arguments par arguments mais on expose plutôt une pensée. A l’autre de faire l’effort de comprendre d’où on part et où on va. On source également ce que l’on dit. On ne sort pas d’un chapeau nos arguments, soit ils reposent sur du vécu soit sur des sources, qu’on essaie d’adjoindre si nécessaire. Enfin quand un.e concerné.e et a fortiori quand plusieurs te disent* que ton propos est problématique/ X-phobe, il est de bon ton d’accepter la remarque parce que c’est probablement vrai. Ça ne veut pas dire tais-toi, mais ce que tu viens de dire n’a pas sa place ici car c’est blessant et participe à une oppression systémique.
*Oh le bel accord de proximité largement utilisé à l’oral bien que non « correct » selon l’Académie
Maintenant les deux prémisses à toute ma réflexion (qui repose en grand partie sur du vécu personnel donc déso mais pas déso, je n’en démordrais pas) :
- la langue modèle notre vision du monde, en cela, elle est politique
- la langue se modifie par les usages, il est donc possible de créer de nouveaux usages selon ses besoins. S’ils se rependent dans la langue, c’est qu’ils étaient nécessaires. De fait de nombreuses minorités développe des termes et des formes de langage propre (lexique militant, verlant…)
De fait de ces deux prémisses, quand je choisis d’utiliser un langage inclusif, je fais un choix pour mieux représenter le monde tel que je le perçois et ce langage me le permet.
Ceci posé (et accepte les le temps de mon argumentation). Passons à tes remarques sur le genre grammatical et les genres humains :
Alors pour répondre à cette question, je pense qu'il faut d'abord faire un détour par le langage lui-même. Le français est fortement genré (et pluriel, même si c'est un autre débat) - les objets ont un genre, les accords se font selon le genre (et le nombre), les pronoms sont genrés (et pluriels), etc. Il ne s'agit pas forcément de genre "humain" (le fait que les objets soient genré n'a biologiquement ou socialement aucun sens), mais plus d'un fonctionnement grammatical.
Oui genre grammaticaux et genres humains ne sont pas la même chose en français et c’est relativement arbitraire qu’une chaise soit féminin et non masculin. Comme on dit à ceux qui apprennent le français comme langue étrangère, il faut apprendre, ça ne se devine pas. Mais le langage inclusif ne s’intéressent pas aux cas des objets à part dans le cadre de l’accord de proximité.
À ce titre, je n'associe pas nécessairement le genre grammatical avec le genre biologique ou social ("un groupe" est masculin, "une foule" est féminin, alors que l'un ou l'autre peuvent être composé de n'importe-quelle combinaison de genres). De même, le nombre grammatical n'est pas forcément associé au nombre réel ("on" se conjugue au singulier, alors qu'il est par essence pluriel, les indénombrables sont associés au singulier alors qu'il n'ont, et bien, pas de nombre).
On a donc la dimension grammaticale, qui est proche mais pas identique à la dimension réelle.
Bon là on va commencer à ne plus être d’accord. Parce que tu mélange genres humains et groupement de personnes. Tout d’abord il faut différencier les moments où l’on parle de groupement d’humain, d’un humain « générique » et d’une personne en particulier :
- quand on parle d’un groupement d’humains soit on passe par un pluriel et alors la question du genre se pose, et la réponse du choix du genre n’a pas été toujours la même soit on repasse au singulier en désignant le groupe (groupe/foule/couple…) et on revient à une entité non-humaine mais composé d’humain.
- quand on parle d’un humain « générique », pour le coup le masculin ou le féminin peuvent faire office de neutre. Si je commence mos propos par « une personne », alors je peux continuer de parler de cet humain générique au féminin sans pour autant présupposer de son genre. Cela démontre qu’il n’y a pas de genre neutre en français seulement que les genres masculin ou féminin peuvent avoir une valeur de neutre selon le contexte
- quand on parle d’un humain en particulier, alors oui, il est d’usage d’utiliser le genre grammatical lié à son genre. Donc si une personne est un homme/se genre au masculin, on utilise le masculin pour parler d’elle (pronom, accord…). Si c’est une personne est une femme/se genre au féminin, on utilise le féminin. Il reste les personnes qui sont ni-homme, ni-femme et qui ont donc inventé un vocable (pronom, accord…) spécifique à leur (non)-genre**. La politesse et les normes sociales veulent donc que pour ces personnes, on utilise les pronoms et les accords choisi par ces personnes. De fait, ton refus est un traitement différent de ces personnes pour la simple raison de leur genre. Donc oui c’est transphobe (l’acte en lui-même ou ici le propos lui-même ce qui ne préjuge pas de ton intention de départ, ni fait de toi une vilaine transphobe).
**Il existe des personnes avec un genre qui n’est ni masculin, ni féminin, plusieurs genres ou pas de genre du tout. De plus, plusieurs formes de pronoms et d’accords existent selon les préférences de chacune de ces personnes.
Dans ce langage, le masculin est le genre "par défaut". Il ne représente pas uniquement le masculin lui-même, il représente aussi l'indéfini et le neutre. En ce sens, je considère qu'il représente déjà, GRAMMATICALEMENT PARLANT, l'ensemble des genres non-féminins (puisque, grammaticalement parlant encore une fois, seul le féminin se marque au final).
A part, quelques formes très particulières du type « il pleut », le côté neutre du masculin n’est pas si clair. Comme je l’ai dit juste au-dessus, quand il est question d’humain, le neutre peut être également de forme féminin (personne, foule…).
Après le masculin est-il non-marqué ? J’avoue que je ne suis pas linguiste donc je donne ici qu’un argument au pif. Mais dans la forme auteur/autrice, pour moi, eur et ice sont deux marques. De même dans les formes où on rajoute un simple e muet pour le féminin, pour le coup le féminin n’est pas vraiment marqué (puisque c’est indécelable à l’oral). De fait, cela contredit ton argument d’un masculin neutre car non-marqué.
De plus, la structure entière du français est genrée de manière historique - c'est à dire, ce n'est pas une création récente que l'ont peut juger avec les opinions actuelles. Par exemple, "le masculin l'emporte sur le féminin" était sexiste à l'époque où il a été introduit, aujourd'hui c'est juste un état de fait qui renforce l'aspect "neutre" du masculin. Au final, le langage est un outil servant à communiquer et décrire le monde. Le vocabulaire permet de désigner les concepts, la grammaire est un fonctionnement plus ou moins à part qui obéit à des règles arbitraires, souvent logiques, parfois complètement absurdes.
Je suis d’accord qu’il y a des règles arbitraires en français et de fait on ne peut juger de leur logique ou de leur absurdité. Après il faut voir comment on apprend ces règles et comment elles sont justifiées. Quand un enfant demande pourquoi genou prend un x au pluriel, on lui répond que c’est comme ça, qu’il y a toujours des exceptions aux règles et qu’il faut les apprendre (de même que les règles). Par contre quand une petite fille (parce que c’est souvent elles qui demandent) questionnent l’usage du masculin pluriel pour un groupe d’humains où il y a plusieurs genres et encore plus quand il n’y a qu’un homme au milieu de nombreuses femmes, la réponse est « le masculin l’emporte sur le féminn ». On revient donc aux explications de Béauzée et Bouhours qui sont (on est tou.te.s d’accord) des explications sexistes. Le fait qu’on les utilise encore aujourd’hui démontre que :
- la règle ne semble pas si « naturelle » ni si bien admise
- on conforte le sexisme d’une société où le masculin est mieux vu que le féminin par une règle de grammaire
Je vais finir sur deux points (complétement subjectifs) :
- le langage inclusif est-il une nouvelle grammaire ? ou un nouveau vocabulaire ?
- mon retour d’expérience après plusieurs années d’utilisation
Le langage inclusif le plus communément utilisé s’apparente plus à un changement de vocabulaire. Toutes les règles de grammaires restent les même, on ajoute simplement des pronoms neutres (iel, ille, celleeux, ellui…) et pour les accords, on accole les deux marques déjà existantes. Cela permet d’abord de pouvoir parler correctement des personnes non-binaires et/ou agenre en ayant un genre ni masculin ni féminin pour les humains et permet de genrer de façon différentes (et satisfaisante pour le locuteur) les groupe d’humains ou un humain générique. Ce qui fait que le gros du langage inclusif n’est uniquement utilisé pour les humains (d’où certaines incompréhension dans les discussions précédentes, le genre des objets ne changent pas et donc n’est pas appeler dans les argumentaires autour du langage inclusif).
Enfin petit retour d’expérience, j’utilise le langage inclusif dans deux situations différentes :
- pour genrer une personne non-binaire. Pour moi, c’est du respect de base pour la personne, je genre les personnes comme elles se genrent et comme elles le demandent. Comme je l’ai indiqué plus haut, il s’agit de respecter la norme sociale qu’on applique à toutes les personnes cis. Cela n’a donc rien à voir avec un choix personnel de ma part. Je respecte alors ses pronoms qui ne sont pas forcément iel et ses accords qui ne sont pas forcément avec les deux marques accolées séparées ou non par un point milieu (certain.e préfère l’alternance des marques par exemple). Bref je traite ses personnes comme tou.te.s les autres personnes.
- pour ne pas genrer un groupe d’humain. Pour un humain générique, j’ai tendance à utiliser l’épicène et le terme de personne (pour ensuite genrer au féminin neutre). Pour les groupes, le langage inclusif me permet de mettre en avant la diversité de genre du groupe. Ainsi je mets en avant les hommes par la marque du masculin, les femmes par la marque du féminin et les personnes non-binaire et agenre par le point milieu ou l’accolement des marques.
Bien sûr, je m’adapte également à mon interlocuteur, favorisant l’épicène si la personne n’est pas ouverte à ce type de langage d’autant plus si je suis à l’oral.
J’ai également vu les langages inclusifs évolués. Le plus marquant est sur la séparation des marques. Quand j’ai commencé, on finissait d’utiliser le tiret et le point médian était préconisé. Maintenant on utilise très largement le point milieu et on commence à accoler les marques dans les noms et les adjectifs si prêtant (et oui, on se demande parfois comment prononcer certaines marques). Pourquoi cette évolution ? Parce qu’il est plus simple de frapper un point milieu qu’un point médian avec les claviers actuels et les marques accolées sont plus lisible par les logicielles de lectures d’écrans pour les malvoyants, plus facile à lire pour les personnes peu habituées et facilement oralisable.
Qu’est-ce que ça a changé pour moi ? Dans ma façon de m’exprimer, perdre parfois un peu de temps à trouver la forme adaptée à la situation ou de sortir à l’oral des formes dont j’ai peu l’habitude (par exemple autrice l’an dernier). Mais ces difficultés sont temporaires et ne sont pas différente à celle que je rencontre avec l’expression « au temps pour moi » que j’ai tendance à orthographier « autant pour moi » (au passage les deux devraient être accepté). Par contre dans ma lecture et ma compréhension, ça a vraiment changé. Tout d’abord, je lis beaucoup plus rapidement ces formes, c’est vraiment juste une question d’habitude. Après je me rends compte que je neutralise beaucoup les textes qui utilise le masculin comme neutre pour parler d’humains. Parce que sinon, pour moi, le masculin n’est plus du tout neutre et est bien une marque de masculinité du genre de la personne.
Bref je pense avoir fait le tour. Je ne cherche pas à te convaincre mais à t'expliquer ma position et mon choix.
Je me réserve le choix de continuer à répondre sur ce sujet, vu l’état psychologique dans lequel les débats précédant m’ont mis.