Le langage inclusif (TW): questions en tout genre.

(Je me demandais pourquoi on avait cité mon message sur l'autre sujet!) (J'ai lu cette discussion du coup - j'en ai un peu survolé des parties je m'en excuse - et je n'ai pas lu la discussion sur le sujet JNSP (ou enfin, sur l'autre sujet blabla); je voudrais répondre moi aussi. Je pose cette parenthèse au préalable pour indiquer d'où je viens.)

@Madthilde J'ai l'impression que, dans les bases de ton raisonnement, il y a l'idée (ou le prédicat? le "je pose ce point comme étant acquis, je ne le questionne pas" je ne sais pas exactement comment formuler ça) que:

- le langage est un outil, et qu'il est par essence neutre, pas politisé, sans effet sur la société et la psyché des gens (ou: leur façon de conceptualiser et de comprendre le monde) mais qu'il est possible de lui imprimer un changement politisé (comme, pour toi, le langage inclusif l'est); mais qu'avec le temps, s'il s'inscrit dans la langue et les moeurs, ce changement se tasse et le langage devient modifié, mais n'est plus politisé.



C'est quelque chose qui est faux, selon moi. Le langage est un outil, mais il n'est pas neutre par essence. Ce n'est pas neutre pour moi que, par exemple, ce soit le genre masculin qui fasse office de neutre et d'indéfini lorsque le français en a besoin, parce que le français n'a pas de genre grammatical neutre. Cela n'a pas l'air neutre non plus pour la majorité des intervenant-es sur ce sujet, qui ont répondu de façons très variées, et je pense que les réponses très émotionnelles que tu as reçues en sont aussi une preuve.

En fait, si toi tu dissocies sans trop de problèmes le genre grammatical et le genre réel (celui des gens), force est de constater que ce n'est pas le cas de l'écrasante majorité de la population, et que tout le monde ou presque voit bien le lien entre les deux. Force est de constater aussi que si le genre grammatical ne se résume pas au genre réel, il l'englobe dans le langage, dans le sens où le genre grammatical désigne et exprime le genre réel des gens. C'est entre autres pour ça que l'utilisation du masculin n'est pas neutre: exprimer le neutre ainsi, c'est signifier que le neutre fait partie du masculin. Et désigner par l'utilisation du masculin (même grammatical) les personnes de genre réel neutre (ou autre en fait, c'est-à-dire non-binaire) c'est englober leur genre dans le genre masculin. D'où les soulèvements émotionnels et les accusations de transphobie.

Tu vas peut-être me répondre que ce sont deux choses distinctes, qu'en utilisant le genre grammatical tu ne veux rien sous-entendre (ou exprimer) sur leur genre réel. Mais le fait est que les gens ne pensent pas comme des ordinateurs, et que l'association d'idées se fait; et que de toutes façons tu exprimes leur genre réel avec les codes de langage du genre masculin.

Il est donc impossible en l'état actuel des choses de dissocier les deux: le genre réel des personnes s'exprime à travers le genre grammatical du langage, et les gens quand tu leur parles ne font pas la dissociation comme toi - ta façon de t'exprimer ne fonctionne donc pas.

(Je pense aussi, très sincèrement, que c'est une fonction grammaticale du genre grammatical d'englober le genre réel. Je ne suis pas linguiste, mais j'en suis venue à cette conclusion en faisant le constat de ce que j'ai observé. La langue n'est pas uniquement là pour communiquer: elle existe aussi pour décrire le monde, et par là le construire, ou plus exactement le trier et l'ordonner d'une certaine façon. En exprimant le monde, on exprime aussi comment on le voit, on exprime aussi comment on le vit.)



Il est aussi faux de dire que le passage du temps tasse toute transformation et la dépolitise. Si l'on te cite à tout va les justifications d'il y a trois siècles sur pourquoi le masculin l'emporte sur le féminin, c'est que ce sont ces décisions qui ont créées cette règle, qu'elles n'ont jamais été remises en questions et que la règle n'a jamais été justifiée par autre chose, et que ces décisions choquent encore et toujours les gens qui les découvrent, même trois siècles plus tard.

Je trouve aussi ta comparaison avec la guerre à la fois fausse et révélatrice. (Je te cite, dis-moi si ça ne te va pas):

Trouves-tu justifiée l'invasion militaire d'un pays par un autre sous prétexte de s'approprier ses territoires ?
La réponse est bien entendu (enfin, la plupart du temps) : non, c'est immoral !
Bien.

Trouverais-tu acceptable qu'aujourd'hui, un pays parte en guerre contre un autre et en annexe une partie, sous prétexte qu'il y a cinq siècles, il avait perdu ces territoires lors d'une guerre précédente ?
Réponse attendue : non.

Donc le processus d'attaquer un autre pays pour annexer ses territoires est quelque-chose que nous n'acceptons pas. Pour autant, nous considérons les frontières actuelles (qui sont nées de ces multiples guerres et annexations dans le passé) comme acceptables et défendables. Des cultures nationales se sont développées dans ces frontières et considèrent souvent faire partie d'un même peuple, et le status quo est considéré comme souhaitable.

Je trouve que la guerre est injustifiable, qu'elle soit moderne ou qu'elle date d'il y a cinq siècles. Je ne trouve pas injustifiable que des frontières changent et se transforment; je considère même que pour beaucoup de cas c'est quelque chose de souhaitable, et que le status quo ne l'est pas.

Je vais parler de mon pays, les USA: les frontières actuelles englobent différentes cultures et différents peuples. Dans certaines zones géographiques (comme l'Oklahoma, ou Hawaii) ces peuples et cultures occupent le même lieux; dans d'autres (comme l'Arizona, ou Puerto Rico) non. Les USA écrasent tout mouvement d'indépendance de la part de ces peuples distincts. Il y a une injustice réelle; pourtant toutes ces frontières ont parfois plusieurs siècles d'existence. Je pense qu'il serait bon que tous ces peuples aient une reconnaissance et, s'iels le souhaitent, recomposent les frontières pour qu'elles reflètent des réalités géopolitiques plus adéquates; mais je ne pense pas qu'il serait bon que ça se fasse dans la violence et la guerre. Ou pour un autre exemple, un autre événement politique actuel: le mouvement d'indépendance du peuple kurde d'Iraq. Je ne considérerais pas du tout choquant que les différentes zones géographiques peuplées par les kurdes (qu'elles soient en Syrie, Turquie, Iran, ou Iraq) fassent sécession avec leur pays respectif pour former ensemble un même pays. Pour des tas de raisons géopolitiques ça ne risque pas d'arriver ainsi, mais voilà si ça se faisait je ne trouverais pas ça choquant du tout, au contraire. Par contre je serais très attristée d'apprendre que cela se fasse dans la guerre et la violence. Ou bref, pour toute situation: si des gens ne sont pas content-es du status quo, et souhaitent une sécession, ou une unification territoriale, ou l'annexion d'une partie d'un autre pays, et que tout le monde est d'accord, alors grand bien leur fasse. Je trouverais choquant que ça se fasse par la violence. Je ne trouverais pas du tout choquant que, par exemple, on fasse des référendums et qu'on prenne ensuite une décision politique en fonction des résultats.

Du coup, ton exemple est faussé, parce que tu y ajoutes l'élément de la guerre et de la violence, alors que ce n'est pas ça qui est important, mais le bien-fondé des frontières actuelles. Rejeter la guerre ne veut pas dire rejeter le changement de frontières. Tu pars peut-être aussi d'une expérience personnelle qui fausse ta vision des choses: je suppose que tu es française, ou à tout le moins européenne, une région du monde ou par la force des choses les frontières actuelles font consensus - et aussi une région du monde où il est facile de bouger d'une frontière à l'autre. (Il est d'ailleurs ridicule de considérer que le status quo actuel est désiré: les événements en Catalogne, entre autres, nous prouvent le contraire.)

Bref je ne m'étends pas plus là-dessus parce que ce n'est pas le sujet (trois paragraphes HS c'est déjà trop :lunette: ) Ce que je veux dire c'est que ton exemple est révélateur de ta position sur la langue. Tu penses que la langue est bien comme elle est, et n'a pas à être changée; tu la vois donc comme neutre et naturelle, comme un outil et pas comme une arme - c'est parce que, pour toi, le langage ne te fait pas de mal, pour toi, le langage (et la langue française) ne te pose aucun problème. Au point que tu sembles ne pas bien saisir comment ce sujet peut être émotionnel pour des gens, et dans leur grande majorité des gens trans: tu essayes de traiter toute cette question de façon très théorique, détachée, informaticienne si je peux dire ça comme ça, et tu ne comprends pas qu'on te renvoie des réponses émotionnelles voire violentes - auxquelles tu réponds en réfutant leur raisonnement, ce qui est un peu un coup d'épée dans l'eau, en fait, ce qui ne réponds pas au message.



Du coup, me viennent plusieurs réflexions:

Faut-il modifier l'outil qu'est la langue, et pourquoi? A cela, je dirais que toutes les personnes non-binaires que j'ai pu croiser dans ma vie m'ont dit oui, parce qu'iels sont mal à l'aise dans leur langue. Cela me semble une bonne raison: une langue qui ne permet pas d'exprimer adéquatement ce que l'on ressent et ce que l'on vit, une langue qui ne permet pas de désigner correctement quelque chose, est un outil mal adapté pour l'usage qu'on veut en faire, et la meilleure chose à faire est de changer son outil, plutôt que de changer la situation (la personne, l'usage) pour qu'elle se conforme à l'outil.

Est-ce politique? Oui. Il faut s'entendre sur le sens de politique: je l'utilise dans le sens d'organiser la société d'une certaine manière, et dans le sens d'exprimer la volonté d'organiser la société d'une certaine manière. A ce niveau-là, oui, je souhaite politiquement que les gens non-binaires soient à l'aise dans leur langue.

Est-ce que ça va résoudre tous les problèmes de sexisme et de transphobie? Non. Le langage influe sur la pensée, mais la pensée influe sur le langage aussi, et de toutes façons elle n'est pas dépendante du langage.

Et si ça prend pas? Bah, que ça prenne ou pas, c'est hors de mon pouvoir. Moi je peux juste faire du mieux possible pour que les gens non-binaires soient à l'aise.



Aussi, l'argument sur la beauté ou la laideur du langage inclusif me semble hors de propos. On s'en fout, et de toutes façons c'est subjectif. Je ne demande pas à ce que la langue soit belle, juste qu'elle soit utilisable pour les buts qui lui sont propres (à savoir, avec le langage inclusif, permettre aux personnes nonbis de vivre et d'exprimer correctement leur existence). A titre personnel, je trouve que la langue française, elle est moche; ça m'empêche pas d'être poétesse.



Bref voilà désolée pour l'immense pavé, et merci de m'avoir lue jusque-là si tu l'as fait. :)
 
28 Août 2013
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Bon, tout d'abord je te remercie d'avoir au moins fait un message dont le ton essaye d'être conciliant. C'est apprécié.
Merci pour le cookie, à moi de t'en donner un
Maintenant, perso j'arrête de "débattre" avec toi, vu que c'est impossible (tu demande des contre-arguments, on t'en donne puis tu les rejettes en disant que tu as déjà argumenter sur ce point donc forcement on tourne en rond)
 
@Madthilde du coup, je crois que je mets un peu le doigt sur ce qui me rend perplexe. Corrige-moi si je me trompe, mais:

- tu es d'accord pour dire que le genre grammatical englobe, décrit et exprime le genre réel, qu'il est l'expression par la langue et le langage du genre d'une personne, à travers notamment les pronoms;

- tu es d'accord pour dire que s'il y a une distinction entre un genre grammatical et un genre réel, distinction à faire pour des raisons techniques, dans les faits et le langage de tous les jours partagé par la majorité des gens, cette distinction n'est pas, et tout le monde est conscient-e du lien entre les deux genres, grammatical et réel;

- tu reconnais qu'il existe des gens qui ont une identité de genre non-binaire, qui est distincte du genre masculin, et qui n'a pas d'expression dans la langue française autre qu'à travers le genre grammatical masculin; tu es capable de constater que cela les peine et de comprendre et reconnaître leur position et leurs buts; tu es capable de constater que les personnes trans font des efforts très lourds pour être genrés correctement, en utilisant le genre grammatical pour affirmer leur genre réel, tu le constates toi-même:

. Pour tout dire, toutes elles que je connais c'est plutôt l'inverse, une volonté farouche d'être genrées (pour que leur genre soit reconnu je suppose).

Les femmes trans insistent pour être genrées au féminin, les hommes trans insistent pour être genrés au masculin ... et les gens trans non-binaires font de même beaucoup d'efforts pour être genré-es comme iels veulent. Ces gens trans non-binaires utilisent des pronoms, des terminaisons et des accords qui ne sont pas "officiellement" françaises, par la force des choses iels ont du construire de quoi être représenté-es dans le langage.

- tu sembles reconnaître aussi que parler de "francophobie" c'est quand même pas le même niveau que parler de non-binarité. Si tu ne comprends ni n'acceptes les emportements émotionnels des participant-es sur ce sujet, tu reconnais l'importance de genrer correctement les gens.

Et du coup je comprends mal ce qui te bloque vraiment dans le langage inclusif. C'est la façon de l'amener qui te semble trop brutale? C'est le langage en soi qui "fait moche"? Quelque part je trouve très étrange que tu t'arc-boutes sur le fait que le masculin grammatical englobe grammaticalement le neutre et l'indéfini en français, comme si tu avais découvert une super idée, comme si tu avais quelque chose de vraiment pertinent, alors que l'impression que ça donne c'est beaucoup plus "hé hé, regardez, j'ai trouvé une faille dans les règles, techniquement je mégenre personne vouzavévu" alors qu'on est conscient-es de cet état de fait grammatical, et que les gens non-binaires ne le trouvent pas satisfaisant, pas représentatif. Je trouve aussi étrange que tu t'arc-boutes à dire que c'est neutre car le langage est neutre et pas politique, alors que de toutes façons c'est aussi une position politique: face au changement apporté par le langage inclusif, tu te prononces contre, donc pour le status quo, pour des raisons qui te sont propres et qui semblent avoir plus à voir avec une idée de la langue française qu'avec le bien-être des gens non-binaires. Quoi qu'on en dise, ça reste une position politique, c'est-à-dire un avis sur comment la société, la communauté (et sa communication) doit fonctionner. Ce n'est pas neutre, parce qu'il n'y a pas de neutre possible. "Je ne me prononce pas" c'est quand même une prise de position - c'est la position qui dit que pour toi le status-quo te convient tout à fait et que tu ne veux pas faire quoi que ce soit pour celleux pour qui ça ne convient pas (et tu ne voudrais pas agir contre mais de fait tu le fais) - c'est pour ça qu'on note aussi la participation dans les élections et les votes, après tout.

Aussi :

Et sinon plus sérieusement AprilMayJune, bisous pour avoir su faire un message aussi poli et bien argumenté.

Ce n'était pas ton objectif du tout, mais je trouve ça un peu insultant. Sais-tu que je déconseille à toustes mes ami-es et mes contacts non-bis de venir lire ce sujet? Je suis intervenue par curiosité, parce que quelque chose me perplexifiait dans la discussion, et que je voulais en savoir plus, mais: pour toi comme pour moi, toute cette discussion est entièrement théorique. Dans l'absolu, la non-reconnaissance du langage inclusif n'affecte pas ma vie, ni la tienne; il n'est d'ailleurs pas reconnu dans la société générale, et ça ne gêne ni toi, ni moi. Ce n'est donc pas très étonnant que je puisse te faire un message poli et bien rangé. Je n'ai aucun investissement dans la question. C'est pas du tout la même chose que de si on discutait de si oui ou non les femmes trans sont des femmes par exemple: ici je n'ai pas besoin qu'on reconnaisse la validité de ma position, pour qu'ensuite on me genre correctement.

Je pense que ça c'est quelque chose qui t'échappe un peu. Ca peut te sembler tout théorique comme discussion, mais en fait y'a des gens non-binaires qui ont besoin qu'on reconnaisse la validité ou le bien-fondé du langage inclusif pour être genré-es correctement. Faire des pirouettes linguistiques et des longues périphrases pour savamment éviter d'utiliser tout néologisme sans jamais avoir à genrer une personne non-binaire, c'est comme faire des pirouettes linguistiques et des longues périphrases pour savamment éviter de me genrer au féminin sans avoir à me genrer au masculin: techniquement tu mégenres personne, mais tu ne dupe personne non plus.

Enfin, une dernière chose: je fais toujours des messages polis et argumentés. Mais (et là ça n'est pas ce que tu fais mais je vois la pente glissante) je n'aime pas qu'on m'utilise comme exemple pour indiquer aux autres comment se comporter. Si je suis toujours polie et argumentée, c'est juste parce que je ne sais pas faire autrement.

Là je ne suis pas fâchée, mais je ne regarde pas ta position dans cette discussion avec grande estime, je ne la considère pas comme étant vraiment digne de reconnaissance; je ne la vois pas comme un rappel que d'autres positions valables existent, je la vois beaucoup plus comme un exemple de ce qui se passe quand on essaye d'aborder de façon théorique et détachée des sujets qui ne peuvent pas l'être pour d'autres personnes. Je considère qu'il est beaucoup plus sain, et meilleur, d'utiliser franchement des néologismes pour genrer des gens non-binaires, parce que leur bien-être est infiniment plus important que des positions théoriques sur la langue française. Je considère que ça ne vaut jamais le coup de rendre des gens mal à l'aise pour ménager des postures théoriques, en fait.
 
Je voulais faire une dernière réponse avec des exemples pour illustrer mon propos. (Ce post est en partie une réponse à ce que dit @Madthilde alors je te mentionne; tu peux me répondre après si tu veux, mais je ne compte pas poster plus ensuite.)

La langue française genre les gens. Quand par exemple on dit "l'actrice principale de ce film" on a une information sur le genre de la personne jouant le rôle du personnage principal: on sait que c'est une femme. Ce n'est pas forcément une information utile dans le propos; la majeure partie du temps, quand on entend parler d'une actrice (ou d'une professeure, ou d'une maire, etc) on s'en fiche de son genre - mais l'information est transmise tout de même, de par la construction de la langue.

Il en est de même avec "l'acteur principal de ce film". Il y a une information transmise sur le genre de la personne: c'est un homme. Et, malheureusement, aussi utile ou inutile que soit cette information, elle est là.

Dire que grammaticalement, le neutre et l'indéfini sont exprimés par le masculin, si c'est techniquement vrai, ça passe volontairement à côté de ce problème: il est, en l'état actuel des choses, impossible de transmettre un genre neutre (ou autre, non-binaire) ou indéfini à travers la langue française. On a, au mieux, des phrases extrêmement lourdes ("la personne jouant le rôle du personnage principal") et attirant l'attention sur une information dont, en fait, on n'a parfois pas besoin dans le propos. On a, au pire, des phrases très floues qui laissent les gens penser que les personnes dont on parle sont des hommes.

Cela pose aussi un autre constat: en l'état actuel des choses, la langue française ne reconnaît pas qu'une personne d'un genre non-binaire, qu'une personne qui ne soit ni un homme ni une femme, puisse exister. Si on peut le faire comprendre à travers des formulations lourdes et des périphrases parasitant le propos, on ne peut pas le communiquer comme on communique le genre des personnes binaires. Le status quo n'est pas politiquement neutre. Il ne reconnaît pas les personnes non-binaires; et se positionne donc contre la reconnaissance de leur existence. (Il est aussi bon de noter qu'il est impossible de vraiment être neutre sur une telle question. Dire "peut-être" à une personne non-binaire qui dit "j'existe" ce n'est pas une position neutre qui ne se prononce pas sur la question.)

Il n'est dans ce cas pas très étonnant que les communautés non-binaires aient adopté des néologismes visant à faire apparaître leur existence au travers de la langue. (Du reste, il est intéressant de constater que si les mécanismes visant à atteindre ce but sont assez similaires, les expressions diffèrent et ne sont pas toujours les mêmes: il y a plein de moyens de signifier leur existence, on peut accoler les deux terminaisons (acteurice) on peut les indiquer avec un point ou un tiret (acteur.ice, acteur-ice) on peut même répéter le mot avec chaque terminaison (acteur-actrice) si l'effet est toujours le même, il n'y a pas de véritable consensus sur comment il faudrait faire. Chacun-e fait son truc dans son coin.) Il n'est pas non plus très étonnant que ces néologismes soient largement circonscrits aux communautés non-binaires (et de manière un peu plus large aux communautés reconnaissant leur existence comme un point non débatable) et soient donc assez rares dans le langage de la population francophone en général, puisque l'existence même des personnes non-binaires est peu connue et encore moins reconnue comme étant vraie. Cette évolution est organique au sein des communautés non-binaires, et plus ou moins violemment imposée en-dehors, un peu comme les manifestations et les demandes de reconnaissances le sont. (En le sens: ces demandes de reconnaissances sont rarement négociées, au moins sur la place publique, et ont plutôt tendance à être imposées, via des manifestations par exemple. Il y a aussi des introductions "moins violentes" qui consistent à présenter les genres non-binaires et à répondre aux questions que les gens peuvent se poser, quelles qu'elles soient. Au final l'installation du langage inclusif dans la langue est le miroir de l'installation de la reconnaissance des genres non-binaires au sein de la société.)

Ces néologismes ont pour but de reconnaître le genre des personnes non-binaires à travers des mécanismes identiques ou au moins similaires à ceux reconnaissant le genre des personnes binaires (les hommes et les femmes). C'est l'une des raisons qui fait que rejeter le langage inclusif (l'appellation générale qu'on donne à la somme de ces néologismes) provoque un tel tollé: c'est, au moins en partie, refuser aux non-binaires la possibilité de se genrer et de se faire genrer correctement.

Du reste j'ai du mal à voir cela comme un changement radical de la langue. La radicalité du changement est à la mesure de la radicalité du changement qu'impose l'acceptation de l'existence des genres et des gens non-binaires: accepter leur existence, c'est détruire une idée préconçue du genre (comme étant binaire, comme étant fondamentalement liée au corps, comme étant simple aussi). Mais il y a toujours eu des néologismes avec l'accompagnement de nouveaux concepts; ici si ces néologismes ne sont pas circonscrits au vocabulaire et tentent aussi de construire un genre neutre dans la langue, ce n'est pas tant parce que la nouveauté est d'une magnitude différente ou d'un ordre différent, mais parce que c'est ainsi que s'exprime au mieux le nouveau concept.

Il est notable aussi que les réticences sur l'ordre de comment ce langage est amené, ne sont pas des arguments contre ce langage. On peut s'offusquer qu'il soit imposé de manière violente et désirer qu'il soit amené de manière plus douce; cela ne dit rien sur la validité ou non de ces changements. Il ne faut pas confondre le moyen et le but. Il ne faut pas non plus confondre le processus et le fait établi: l'adoption de ce langage est la conséquence d'une réflexion, et pas le point de départ d'une acceptation d'une autre façon de penser - cela dit, il faut quand même préciser que refuser de genrer correctement des gens non-binaires est transphobe, que ce soit par un refus franc ou par des pirouettes visant à éviter de se retrouver dans une situation où il faut genrer une personne. En soi, bon, il faut aussi différencier maladresse et malveillance - mais bref c'est un autre sujet.

Je trouve un peu difficile à comprendre les équivalences du type "imposer ça c'est aussi mauvais que la société qui impose des choses" - oui et non; pour beaucoup de points, comme la reconnaissance des genres et des gens non-binaires, il n'y a pas de neutralité possible, pas de possibilité de ne pas se prononcer, et on ne peut se placer que pour ou contre. Du coup, oui, tout comme la société rejette les gens non-bis et les gens qui les reconnaissent, la communauté non-bi et les gens qui les reconnaissent ont un caractère assez excluant envers celles et ceux qui les rejettent. Mais on ne peut pas vivre avec une personne qui refuse de reconnaître son existence quand on est non-binaire... C'est un problème insoluble. Je dirais qu'il faut noter la différence entre le rejet d'un comportement et le rejet d'une identité, le rejet d'une personne à cause de ce qu'elle fait et/ou de ce qu'elle professe, et d'une personne à cause de ce qu'elle est.

(Du reste, il est aussi tout à fait possible de trouver le comportement de certaines personnes non-binaires critiquable. Personne n'est parfait-e.)

(En fait sur le dernier point que tu mentionnes @Madthilde et qui m'a posé le plus de mal - je suis en partie d'accord et en partie non, et j'ai pas envie de développer parce que j'ai peur de ne pas avoir les talents diplomatiques qu'il faut pour ne jeter personne sous le bus par maladresse - le fait est que ça n'a rien à voir avec la choucroute. C'est un argument, ou une remarque, sur la façon de communiquer et de discuter sur le forum, ça. Pas sur le langage inclusif (son fonctionnement, ses raisons et ses justifications) en soi.)
 
14 Octobre 2015
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Hey :hello:
J'espère que je ne vais pas tomber comme un cheveu sur la soupe au milieu de ce débat, j'en ai parcouru la majeure partie mais je n'ai pas vraiment trouvé de réponse aux questions que je me pose (ou j'ai du mal à la synthétiser peut être ?)
Pour moi, je distinguais jusqu'à maintenant (dans l'utilisation que j'en fais) l'écriture inclusive "générale", par exemple : "Chez madmoizelle, iels sont tant de personnes dans l'équipe" et le fait de respecter les pronoms et accords d'une personne (en utilisant la forme inclusive si je ne sais pas). La première étant une démarche"militante", la seconde juste le respect élémentaire à avoir dans un échange avec quelqu'un.e.
Parce que pour moi, celle.ux qui utilisent l'écriture inclusive ne vont pas automatiquement l'utiliser dans une optique de reconnaissance de chacun.e ni respecter les pronoms d'une personne,
j'ai vu des féministes l'utiliser et être en parallèle franchement transphobes et/ou ne reconaissant pas les personnes genderfluid, non binaires etc...
Est ce que je suis la seule à faire/ressentir cette distinction ? Au sens où je ne pars pas du principe qu'écriture inclusive=personne safe niveau questions de genre.
Parce que pour certain.e.s c'est juste une façon d'introduire un neutre entre masculin et féminin, comme une frontière. Pour moi, même en généralisant l'écriture inclusive, on sera pas sorti.e.s du sable pour éduquer à la pluralité du genre même au sein des mouvements féministes...
(Ne pas hésiter à me reprendre si besoin :happy:)
 
23 Mars 2016
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Ailleurs
@The Freak :
quand j'ai commencé à utiliser l'écriture inclusive, c'était essentiellement par soucis de voir les femmes représentées dans mes propos. Par exemple, je disais/écrivais "les sénateurices ont voté" et non "les sénateurs ont voté" pour exprimer explicitement la présences des sénatrices. J'étais dans une optique de "visibilisation" des femmes, mais pas des personnes non binaires. Donc oui, il peut tout à fait y avoir un usage du langage inclusif chez des personnes qui ne sont pas, ou que très partiellement sensibilisées aux problématiques de genre.
On pourrait alors craindre que l'écriture inclusive ne devienne un standard de graphie détaché des problématiques qui l'ont rendu nécessaire (i.e. reconnaissance des spécificités de genrage pour certaines personnes trans et personnes non binaires).
 
28 Août 2013
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@The Freak Je suis en train de me dire que j'ai dû mal m'exprimer dans mes posts parce que c'est exactement la distinction que je voulais expliquer :hesite:
@Gabelote Franchement dans les débats mainstreams (slate, TV5 monde...) sur l'écriture inclusive après la publication du manuel scolaire avec cette écriture, la problématique de se genré quand on n'est pas binaire passe totalement à la trappe, de même que dans les recommandation de la haute autorité pour l'égalité. Ce n'est qu'à moitié étonnant vu que les personnes qui y participent ne connaissent pas ou très mal l’existence de personnes non-binaires.
Après de mon long vécu et utilisation :vieux:, en fait, il y a convergence de la langue inclusive "feministe" qui cherche uniquement à faire réapparaitre le féminin dans le langage et le langage des personnes non-binaire cherchant à se genrer correctement dans notre langue binaire. Clairement les pronoms iel, celleux viennent du côté non-binaire et le point milieu vient du côté féministe où il a remplacé le / ou les parenthèses (utilisées dans les années 90 :vieux:)

Pour finir, EvedrydayFeminist a du entendre notre débat houleux :troll: et a publier un article sur comment les personnes non-binaires se genre dans des langues genrées. C'est assez intéressant car ça compare plusieurs langues plus ou moins genrées. L'article est en anglais, je n'ai pas le temps de le traduire maintenant mais si quelqu'un veut une traduction, dites-le. Je pourrais le faire après mercredi.
 
12 Janvier 2015
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Dijon
Je sors de mon sous-marin pour vous remercier de cette discussion, égoïstement c'est très instructif d'avoir ces points de vue, ces ressentis pour apprendre. Et, pour celleux qui le veulent suite à certaines échanges blessants : :hugs:

Autrement, j'ai pu lire (de la part de @Madthilde) que le langage n'était pas politique (je ne vais rien ajouter à ce qui a été répondu à ce sujet) mais aussi qu'il n'influençait pas la vision. Sur ce point, j'ai pu lire à plusieurs reprises, de plusieurs sources différentes (études scientifiques, compte-rendus d'observation sociologique) que c'était bien le cas. Malheureusement, je n'ai plus les dites-sources en tête, ce qui m'embête beaucoup : si quelqu'un en a, je trouverai intéressant de les lire parce que ça permettrait d'argumenter sur l'un des postulats de bases qui bloque l'acceptation de l'écriture inclusive.
L'un des seuls points qui m'avaient marqué, c'est l'exemple du langage inuit (je crois ?) qui a une quantité de mots incroyable pour désigner la neige (suivant son état, la période de l'année, etc) parce que c'est quelque chose de primordial dans leur vie à eux. Alors qu'en français, nous avons simplement le mot "neige".
(et définitivement, je devrais prendre des notes quand je lis quelque chose d'intéressant, pour mieux l'expliquer ensuite :rolleyes: )
 
L

La femme de Frank

Guest
Une question pour les défenseurs de l'écriture inclusive : quel est l'idéal à atteindre ? Que toute la langue soit renouvelée ainsi, que tout le monde l'applique ? À terme est-ce cela devrait concerner aussi la littérature, voire l'ensemble de ce qui est écrit publiquement ?
 
L

La femme de Frank

Guest
@Vagina Raptor D'accord, merci de ta réponse.
Cela dit, ce n'est pas forcément une évidence, j'ai lu des avis divergents. Du coup si d'autres ont envie de répondre aussi, en étayant un peu, je suis preneuse !
Par contre, j'entendais défenseurs au sens global, donc désignant tout le monde selon la règle de grammaire ("le masculin l'emporte sur le féminin") en vigueur. Alors je sais que vous vous positionnez contre cette règle, mais étant donné que l'écriture inclusive est un concept récent et adopté minoritairement pour l'instant, pourquoi corriger ceux qui ne l'utilisent pas dans ce genre de cas ? On ne part pas du même postulat, je considère aujourd'hui le masculin comme symboliquement neutre syntaxiquement, nous n'employons pas le même neutre, mon expression n'a rien de désobligeant pour autant. Je ne veux pas relancer le débat, j'ai déjà lu les moultes discussions, mais jusqu'à présent les règles de la langue française ne me paraissent pas assez dangereuses pour que je change ma façon d'écrire, donc personnellement je n'adopte pas cette écriture pour l'instant.
 

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