Hier soir je me suis retrouvée toute seule à table avec les mecs avec qui je mange habituellement - sauf que d'habitude, il y a d'autres amies. Et d'habitude, je suis encore un peu mal à l'aise avec eux. Et là, toute seule, c'était génial, on a eu des gros fou-rires, ils se sont moqué un peu de moi, je me sentais bien, c'était chouette.
Et du coup, ça m'a fait sentir encore plus à quel point mes amis d'hypokhâgne me manquent.
Quand je suis arrivé en prépa je n'avais pas eu d'amis mecs, j'ai fait toute ma scolarité avec des options de meuf donc dans des classes de meuf et j'étais super timide. Sauf que là, j'étais en internat-externé, donc je devais manger le soir à la cantine, donc avec les internes. J'en connaissais un qui m'avait parlé quelques jours avant la rentrée sur Facebook, mais sans plus.
Je me souviens parfaitement bien du premier soir, c'était une vraie scène de film. Je prends mon plateau, j'arrive dans la salle, et là: à gauche, les internes avec quelques personnes que je ne connaissais pas, à droite: une table vide. Je me suis dit "Bon maintenant CA SUFFIT, tu vas t'asseoir à cette table, tu sors un sourire et tu dis bonjour"; je me suis forcée comme jamais à changer de direction et je me suis assise là.
Au début j'étais un peu mal-à-l'aise mais ça c'est vite dissipé, et puis au fil du temps on a finit par manger nous 4 seulement, moi et eux.
Et moi qui n'avais jamais eu d'amis mecs, je me suis décroché une jolie brochette. C'était dingue, je n'avais qu'une envie dans la journée, c'était d'être le soir, de se retrouver seulement nous, à notre petite table, de les entendre raconter des bêtises, parler à demi-mots des filles qu'ils trouvaient jolies, m'épargner les blagues qu'ils jugeaient trop crues pour mes oreilles de fille, trouver tous les moyens possibles et imaginables pour essayer de m'envoyer remplir la cruche, avoir des fou-rires à n'en plus finir, faire le débrief du jour, parler de nos profs, des autres, des cours, avoir des discussions sur Platon et sur Dikkenek à 5 minutes d'intervalle, passer un repas à parler avec l'accent belge, les entendre me dire à chaque fois qu'ils me voyaient arriver avec un noeud dans les cheveux "mais Sophie, tu es une poupée !" avec des yeux pétillants, savoir ce qu'ils pensaient de la longueur de ma jupe en un seul regard, m'étouffer de rire plus de fois que je ne peux m'en souvenir. Toutes nos soirées ont été des moments heureux et mémorables, on avait notre banc sur les quais de Seine quelque part derrière Notre-Dame où on a probablement passé plus de temps que sur les chaises du CDI.
C'était une année tellement chouette. J'écrivais dans mon journal intime this is where I belong, j'avais pour la première fois de ma vie l'impression fantastique d'être drôle, jolie, et appréciée. Les quitter a été très dur, et j'étais persuadée que ce ne serait plus pareil.
Et puis j'avais tout faux. Je les vois une fois par semaine et c'est toujours aussi génial. J'arrive quand ils sortent de cours, je sais qu'ils sont heureux de me voir, ils font des têtes trop mignonnes en me disant bonjour, et je me sens toujours aussi bien. C'est vraiment les seuls avec qui je peux improviser une danse russe ou un Broadway show au milieu de la cour sans tenir compte des autres parce qu'il n'y a qu'eux qui comptent.
Chaque fois que je repars je suis un peu triste mais jamais complètement parce que ce sont vraiment des mecs extraordinaires, qu'ils remarquent tout, nouvelle coiffure, nouveau sac, ils me disent que je suis bien habillée aujourd'hui et ne manquent jamais d'ajouter que je suis une poupée. E sortant, j'ai immanquablement l'impression d'être une fille cool avec des amis tellement cools.
C'est tellement différent là où je suis cette année, heureusement que je les revois régulièrement. Et puis deux d'entre eux sont maintenant en couple avec des amies très proches, et ils sont formidables, évidents ensemble et je sais que ça tiendra longtemps, et tant mieux parce qu'ils le méritent.
Ils sont fantastiques, voilà.