Je ne savais pas trop si j'allais répondre à tout ça, parce que j'ai été clairement dépassée par ce que le post a suscité. Pour le dire très clairement : je ne pensais pas que mon article soit polémique. Mais je suis naïve et, forcément, quand je parle photo, ça prête a priori moins à débat
Désolée, ça va être long, prenez des pop-corns et du paracétamol.
Je ne pensais pas que ça serait polémique, d'abord, parce que pour moi l'expression utilisée par l'inconnu du métro est relativement neuve. Je l'ai entendue plusieurs fois, mais pour moi elle ne fait pas partie du vocabulaire courant (à la différence, effectivement, de "ça me tue", "je vais me pendre", "c'est de l'esclavage" et compagnie).
J'ai l'impression que ça fait une grosse différence : il s'agit d'un usage nouveau et, franchement, je ne le trouve pas nécessaire (la langue française est assez riche de plein de choses pour pouvoir s'en passer. Et pourtant, j'aime bien les évolutions du langage, parce que j'aime bien les mots d'une manière générale).
C'est pour ça, aussi, que je ne crois pas qu'il s'agisse de limiter la liberté d'expression, comme je l'ai lu ici ou là : on peut exprimer exactement la même idée, avec des mots moins excluants et moins blessants.
Si une nouvelle insulte homophobe apparaissait, si "femme voilée" ou "musulmane" devenait une nouvelle injure pour "connasse" ou "coincée", si ce mec avait dit "Je passe de 20h à 40h de boulot, je me sens Bataclané", je me serais insurgée de la même manière.
Pourquoi ? Parce que ces mots renvoient d'un côté à des traumatismes, de l'autre à des oppressions bien réelles dans la société. Des questions non résolues, des choses en travaux, des problèmes encore frais. C'est suffisamment difficile comme ça, pourquoi venir polluer le langage d'expressions qui véhiculent des idées nauséabondes ?
On me reproche mon "politiquement correct". Ça m'embête que cette expression vienne recouvrir une demande de respect et d'empathie avec des victimes. Et je maintiens que je trouve ça indécent de refuser de réviser son langage (surtout quand il s'agit d'une habitude aussi fraîche, cf ci-dessus) par simple confort de "je dis ce que je veux", quand ce "ce que je veux" fait souffrir potentiellement 16% des femmes et 5% des hommes.
Parce que non, ce n'est pas comparable avec "c'est de l'esclavage" ou "je vais me pendre" qui, Dieu merci, sont susceptibles de toucher une plus petite partie de la population. Même si, effectivement, je vais éviter ces usages face à quelqu'un dont l'histoire fera trop écho avec ces mots-là. C'est tout l'avantage d'avoir des synonymes dans son vocabulaire. Et si ça fait écho et que je ne le savais pas, je vais m'excuser. Et je me sentirai bien nulle.
Je dis pas que je suis parfaite vis-à-vis de tout ça, ça m'arrive aussi de lâcher un "qu'ils aillent se faire enculer", tout en sachant que c'est homophobe et que ça véhicule un pré-supposé avec lequel je ne suis pas en accord (on pourra en parler une autre fois, des insultes qui sous-entendent si souvent qu'être pénétré•e est une humiliation)... Et que ça pourra potentiellement blesser 10% de la population (à la louche, en considérant qu'un•e individu•e sur 10 n'est pas strictement hétéro). Ben j'essaie d'apprendre à ne plus le dire.
(Lire à ce sujet le super post de Jack Parker.)
Ce qui m'amène aussi au fameux argument "du coup on n'a plus le droit de dire ”ça me tue” ?". Premièrement, on parle là d'une expression super ancienne et super ancrée dans le vocabulaire, qui a vraiment déformé le signifiant de base jusqu'à s'en émanciper. Ensuite, on parle de la mort qui, comme plusieurs personnes l'ont dit ici, est une question absolument universelle. A priori, on va tou•te•s y passer. Si c'est pas le cas, je veux bien la recette. Ou pas. Enfin bref.
L'idée de dé-sacraliser un objet, de le trivialiser pour mieux l'appréhender, je la trouve super saine en soi. Quand il s'agit de quelque chose d'inéluctable, ou de "terminé", pour mieux s'en guérir ou y faire face sereinement. Ce qui n'est pas le cas du viol : il s'agit, encore et toujours d'un problème de société (donc non, ce n'est pas "terminé"), d'une menace latente mais aléatoire, qu'on pourrait empêcher en travaillant tous ensemble (donc, ce n'est pas inéluctable non plus, pas comme la mort).
Si une personne survivante d'un viol utilise le mot "viol" de façon détournée, comme une expression, c'est son chemin, ça la regarde, et je peux le comprendre. Certain•e•s m'ont dit que cet inconnu du métro était peut-être dans cette démarche. C'est vrai, je n'en sais rien. S'il y a ici des survivant•e•s qui utilisent le mot "viol" pour parler de petits désagréments du quotidien (de choses triviales, pas d'un cambriolage ou d'une véritable violence, par exemple), je serais curieuse de lire leurs témoignages.
L'humour peut effectivement faire partie d'un processus de guérison. Pour la petite histoire, j'ai fait mon mémoire sur le traumatisme collectif, et la manière de se réparer à travers le théâtre et la photographie. Dans mon corpus, il y avait beaucoup d'œuvres teintées d'humour noir. Ça a même été conceptualisé sous le nom de schadenfreude : le "rire de l'échafaud".
Sauf que ce chemin-là, celui du rire, est celui des concerné•e•s. C'est à illes seul•e•s de décider si illes veulent l'emprunter, si cela leur fait du bien. La société n'a pas à leur donner d'injonction à trivialiser leur traumatisme pour mieux l'appréhender.
@Ok-san compare mon rapport au mot viol à Voldemort, qui trouve sa puissance dans le fait qu'on ne peut pas prononcer son nom. C'est une façon de déformer mes propos qui ne me plaît pas. Je pense qu'il y a une grosse différence entre "ne pas vider un mot de son sens" et "ne pas oser le prononcer".
Je crois qu'il faut parler des traumatismes, quand les victimes se sentent de le faire, et ne pas les invisibiliser. En revanche, je crois que détourner à ce point un mot aussi fort de son contexte, c'est justement invisibiliser la réalité qu'il recouvre.
En revanche, pour les personnes qui me disent que "viol" ne recouvre pas seulement l'agression sexuelle, je pense quand même que c'es l'acception principale, même s'il y a d'autres usages. Ça serait intéressant de faire un micro trottoir en demandant aux gens la signification du mot viol... Et de voir combien pensent en premier à autre chose qu'à l'agression sexuelle. En revanche, vu sous cet angle, je comprends que l'expression de l'inconnu du métro soit bien moins choquante.
Ensuite, je suis d'accord qu'on passe beaucoup de temps à mettre en garde les petites filles contre les viols potentiels, en leur disant que ça sera le PIRE truc qui puisse leur arriver... Ce n'est pas sain, de menacer quelqu'un d'un truc éventuel (sur lequel iel n'a à peu près aucune prise) en lui disant que ce sera la pire chose qui pourra lui arriver. Ça serait bien, d'abord, de dire que la reconstruction est une voie possible. Que non, on n'est pas fini•e, qu'on va y arriver, qu'on va être fort•e. Qu'on l'est déjà.
Et évidemment, d'apprendre aux violeur•se•s à ne pas violer. Mais personne ne veut voir en l'autre un•e violeur•se potentiel•le.
Contrairement à @Le Morse de Pingu je ne crois pas que les violeur•se•s soient des monstres : ce sont des monsieur et madame tout le monde, on ne devinera pas sur leur visage ce dont ielles sont capables. Et parfois, même elleux ne sont pas conscient•e•s de ce qu'ielles ont fait.
Enfin, je terminerai ce post sur la question des "injonctions" et de la "censure" qu'on me reproche.
En fait, vous savez quoi ? Vous faites ce que vous voulez. J'ai écrit cette lettre ouverte avec les tripes, pas avec un petit air sévère et une moue de désapprobation. Ce n'est pas un pamphlet de féministe parfaite, c'est une demande, d'humain•e à humain•e. J'ai écrit cette lettre ouverte, parce que dans le calme d'une rame presque vide, alors que je ne m'y attendais pas et que je laissais doucement la fatigue m'envahir, cette phrase m'a fait mal, elle m'a blessée.
Si j'y apparais condescendante selon certain•e•s, c'est peut-être parce que je ne voulais pas être agressive, et que j'étais triste. La voie un peu douce, un peu molle, un peu implorante, visiblement, semble condescendante. Bon.
Je ne censure personne, je ne vais pas aller vérifier ce que vous faites, ni multiplier les injonctions à faire attention : vous faites ce que vous voulez, je le redis. L'idée, c'était surtout de soulever une réflexion sur le sujet. Pas seulement dans la sphère publique, face à tout le monde en fait, dans le privé aussi. Pas pour être "politiquement correct", mais pour (comme l'a dit je ne sais plus qui, pardon) le "vivre-ensemble". Pour l'empathie, le tact, le soin apporté aux autres. À ces 16 et 5% parfois invisibles.
Et pour les survivant•e•s que ces mots ne touchent pas : félicitations pour votre solidité. Vraiment. Mais ça n'empêche pas de protéger les plus vulnérables.
P.S : Un autre jour, d'une autre façon, je vous raconterai aussi que j'adore l'humour noir et le second degré et que ça n'empêche rien. Un autre jour.
Désolée, ça va être long, prenez des pop-corns et du paracétamol.
Je ne pensais pas que ça serait polémique, d'abord, parce que pour moi l'expression utilisée par l'inconnu du métro est relativement neuve. Je l'ai entendue plusieurs fois, mais pour moi elle ne fait pas partie du vocabulaire courant (à la différence, effectivement, de "ça me tue", "je vais me pendre", "c'est de l'esclavage" et compagnie).
J'ai l'impression que ça fait une grosse différence : il s'agit d'un usage nouveau et, franchement, je ne le trouve pas nécessaire (la langue française est assez riche de plein de choses pour pouvoir s'en passer. Et pourtant, j'aime bien les évolutions du langage, parce que j'aime bien les mots d'une manière générale).
C'est pour ça, aussi, que je ne crois pas qu'il s'agisse de limiter la liberté d'expression, comme je l'ai lu ici ou là : on peut exprimer exactement la même idée, avec des mots moins excluants et moins blessants.
Si une nouvelle insulte homophobe apparaissait, si "femme voilée" ou "musulmane" devenait une nouvelle injure pour "connasse" ou "coincée", si ce mec avait dit "Je passe de 20h à 40h de boulot, je me sens Bataclané", je me serais insurgée de la même manière.
Pourquoi ? Parce que ces mots renvoient d'un côté à des traumatismes, de l'autre à des oppressions bien réelles dans la société. Des questions non résolues, des choses en travaux, des problèmes encore frais. C'est suffisamment difficile comme ça, pourquoi venir polluer le langage d'expressions qui véhiculent des idées nauséabondes ?
On me reproche mon "politiquement correct". Ça m'embête que cette expression vienne recouvrir une demande de respect et d'empathie avec des victimes. Et je maintiens que je trouve ça indécent de refuser de réviser son langage (surtout quand il s'agit d'une habitude aussi fraîche, cf ci-dessus) par simple confort de "je dis ce que je veux", quand ce "ce que je veux" fait souffrir potentiellement 16% des femmes et 5% des hommes.
Parce que non, ce n'est pas comparable avec "c'est de l'esclavage" ou "je vais me pendre" qui, Dieu merci, sont susceptibles de toucher une plus petite partie de la population. Même si, effectivement, je vais éviter ces usages face à quelqu'un dont l'histoire fera trop écho avec ces mots-là. C'est tout l'avantage d'avoir des synonymes dans son vocabulaire. Et si ça fait écho et que je ne le savais pas, je vais m'excuser. Et je me sentirai bien nulle.
Je dis pas que je suis parfaite vis-à-vis de tout ça, ça m'arrive aussi de lâcher un "qu'ils aillent se faire enculer", tout en sachant que c'est homophobe et que ça véhicule un pré-supposé avec lequel je ne suis pas en accord (on pourra en parler une autre fois, des insultes qui sous-entendent si souvent qu'être pénétré•e est une humiliation)... Et que ça pourra potentiellement blesser 10% de la population (à la louche, en considérant qu'un•e individu•e sur 10 n'est pas strictement hétéro). Ben j'essaie d'apprendre à ne plus le dire.
(Lire à ce sujet le super post de Jack Parker.)
Ce qui m'amène aussi au fameux argument "du coup on n'a plus le droit de dire ”ça me tue” ?". Premièrement, on parle là d'une expression super ancienne et super ancrée dans le vocabulaire, qui a vraiment déformé le signifiant de base jusqu'à s'en émanciper. Ensuite, on parle de la mort qui, comme plusieurs personnes l'ont dit ici, est une question absolument universelle. A priori, on va tou•te•s y passer. Si c'est pas le cas, je veux bien la recette. Ou pas. Enfin bref.
L'idée de dé-sacraliser un objet, de le trivialiser pour mieux l'appréhender, je la trouve super saine en soi. Quand il s'agit de quelque chose d'inéluctable, ou de "terminé", pour mieux s'en guérir ou y faire face sereinement. Ce qui n'est pas le cas du viol : il s'agit, encore et toujours d'un problème de société (donc non, ce n'est pas "terminé"), d'une menace latente mais aléatoire, qu'on pourrait empêcher en travaillant tous ensemble (donc, ce n'est pas inéluctable non plus, pas comme la mort).
Si une personne survivante d'un viol utilise le mot "viol" de façon détournée, comme une expression, c'est son chemin, ça la regarde, et je peux le comprendre. Certain•e•s m'ont dit que cet inconnu du métro était peut-être dans cette démarche. C'est vrai, je n'en sais rien. S'il y a ici des survivant•e•s qui utilisent le mot "viol" pour parler de petits désagréments du quotidien (de choses triviales, pas d'un cambriolage ou d'une véritable violence, par exemple), je serais curieuse de lire leurs témoignages.
L'humour peut effectivement faire partie d'un processus de guérison. Pour la petite histoire, j'ai fait mon mémoire sur le traumatisme collectif, et la manière de se réparer à travers le théâtre et la photographie. Dans mon corpus, il y avait beaucoup d'œuvres teintées d'humour noir. Ça a même été conceptualisé sous le nom de schadenfreude : le "rire de l'échafaud".
Sauf que ce chemin-là, celui du rire, est celui des concerné•e•s. C'est à illes seul•e•s de décider si illes veulent l'emprunter, si cela leur fait du bien. La société n'a pas à leur donner d'injonction à trivialiser leur traumatisme pour mieux l'appréhender.
@Ok-san compare mon rapport au mot viol à Voldemort, qui trouve sa puissance dans le fait qu'on ne peut pas prononcer son nom. C'est une façon de déformer mes propos qui ne me plaît pas. Je pense qu'il y a une grosse différence entre "ne pas vider un mot de son sens" et "ne pas oser le prononcer".
Je crois qu'il faut parler des traumatismes, quand les victimes se sentent de le faire, et ne pas les invisibiliser. En revanche, je crois que détourner à ce point un mot aussi fort de son contexte, c'est justement invisibiliser la réalité qu'il recouvre.
En revanche, pour les personnes qui me disent que "viol" ne recouvre pas seulement l'agression sexuelle, je pense quand même que c'es l'acception principale, même s'il y a d'autres usages. Ça serait intéressant de faire un micro trottoir en demandant aux gens la signification du mot viol... Et de voir combien pensent en premier à autre chose qu'à l'agression sexuelle. En revanche, vu sous cet angle, je comprends que l'expression de l'inconnu du métro soit bien moins choquante.
Ensuite, je suis d'accord qu'on passe beaucoup de temps à mettre en garde les petites filles contre les viols potentiels, en leur disant que ça sera le PIRE truc qui puisse leur arriver... Ce n'est pas sain, de menacer quelqu'un d'un truc éventuel (sur lequel iel n'a à peu près aucune prise) en lui disant que ce sera la pire chose qui pourra lui arriver. Ça serait bien, d'abord, de dire que la reconstruction est une voie possible. Que non, on n'est pas fini•e, qu'on va y arriver, qu'on va être fort•e. Qu'on l'est déjà.
Et évidemment, d'apprendre aux violeur•se•s à ne pas violer. Mais personne ne veut voir en l'autre un•e violeur•se potentiel•le.
Contrairement à @Le Morse de Pingu je ne crois pas que les violeur•se•s soient des monstres : ce sont des monsieur et madame tout le monde, on ne devinera pas sur leur visage ce dont ielles sont capables. Et parfois, même elleux ne sont pas conscient•e•s de ce qu'ielles ont fait.
Enfin, je terminerai ce post sur la question des "injonctions" et de la "censure" qu'on me reproche.
En fait, vous savez quoi ? Vous faites ce que vous voulez. J'ai écrit cette lettre ouverte avec les tripes, pas avec un petit air sévère et une moue de désapprobation. Ce n'est pas un pamphlet de féministe parfaite, c'est une demande, d'humain•e à humain•e. J'ai écrit cette lettre ouverte, parce que dans le calme d'une rame presque vide, alors que je ne m'y attendais pas et que je laissais doucement la fatigue m'envahir, cette phrase m'a fait mal, elle m'a blessée.
Si j'y apparais condescendante selon certain•e•s, c'est peut-être parce que je ne voulais pas être agressive, et que j'étais triste. La voie un peu douce, un peu molle, un peu implorante, visiblement, semble condescendante. Bon.
Je ne censure personne, je ne vais pas aller vérifier ce que vous faites, ni multiplier les injonctions à faire attention : vous faites ce que vous voulez, je le redis. L'idée, c'était surtout de soulever une réflexion sur le sujet. Pas seulement dans la sphère publique, face à tout le monde en fait, dans le privé aussi. Pas pour être "politiquement correct", mais pour (comme l'a dit je ne sais plus qui, pardon) le "vivre-ensemble". Pour l'empathie, le tact, le soin apporté aux autres. À ces 16 et 5% parfois invisibles.
Et pour les survivant•e•s que ces mots ne touchent pas : félicitations pour votre solidité. Vraiment. Mais ça n'empêche pas de protéger les plus vulnérables.
P.S : Un autre jour, d'une autre façon, je vous raconterai aussi que j'adore l'humour noir et le second degré et que ça n'empêche rien. Un autre jour.
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