Pourquoi le métier de prof inspire-t-il de moins en moins de monde ?

5 Avril 2016
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Je viens de passer le concours et franchement... c'est dur. On nous demande d'apprendre des trucs qui ne serviront jamais, juste pour trier ! j'ai des potes qui seraient des potes géniaux et qui ne peuvent pas passer des concours stupides ! et puis manque de profs... quand on reçoit 2 semaines avant les concours des incitations à abandonner pour devenir contractuels franchement !
 
28 Novembre 2012
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Personnellement, je vois deux problèmes bien distincts, mais qui en se conjuguant vont contribuer (et contribuent déjà) à rendre le métier peu attractif.

D'abord, à l'échelle individuelle :

- la fossé entre l'image que l'on se faisait du métier d'enseignant, et ce que l'on découvre une fois jeté dans le bain.
Entre le fantasme du professeur type Robin Williams dans "Le Cercle des poètes disparus" et la réalité, l'enthousiasme est vite tempéré dès l'année de stage, quand on n'est pas dégoûté au point de démissionner avant même la titularisation. On s'imagine prendre les élèves par la main et leur dévoiler le monde merveilleux de la culture et du savoir, comme si leur attention et leur ouverture d'esprit nous étaient forcément acquises. Mais dans la réalité, on est plus souvent confronté à des élèves sympas mais peu motivés, voire indifférents ou hostiles à tout ce qui leur est présenté comme de la culture.
Les premières années, j'ai été très déçue de cet écart entre mes attentes et la réalité. Je croyais que mes élèves seraient comme l'élève que j'avais été, c'est-à-dire spontanément curieux et ouverts... Ben non. Je me disais que c'était moi qui ne savais pas rendre mes cours intéressants, alors j'essayais des approches diverses, toujours (je le pense) bienveillantes ; ça fonctionnait avec certains, mais pas toujours. J'ai finalement compris que je n'y étais parfois pour rien et j'ai relativisé l'importance de mes cours et de mon rôle auprès de mes élèves : finalement, la trace que laissera l'école dans leur vie et dans leur formation intellectuelle est très aléatoire.

- le fait que certains passent le concours sans avoir vraiment pris en compte tout ce qu'implique le fait de devenir fonctionnaire de l'Education Nationale : oui, nationale veut bien dire ce que ça veut dire. Le système d'affectation fait que l'on peut se retrouver contraint de déménager à l'autre bout de la France, ou de devoir rester remplaçant des années, faute d'avoir suffisamment de points pour obtenir un poste fixe dans un établissement. Quand on débute dans un endroit inconnu, loin de sa famille, de ses proches, parfois même de son/sa conjoint(e) et de ses enfants, parce que l'autre n'a pas la possibilité de muter, c'est sûr qu'on le vit mal. On doit parfois aller bosser à une centaine de kilomètres de chez soi tous les jours, sur deux ou trois établissements à la fois, en étant remboursé des clopinettes par l'Educ.Nat, au point d'avoir parfois l'impression de dépenser plus qu'on ne gagne rien que pour pouvoir aller bosser... C'est un système absurde qui a beaucoup de défauts, mais ce n'est absolument pas un secret. On passe normalement le concours en connaissance de cause. Mais c'est sûr que c'est dissuasif.
Quand j'entends les commentaires de certains sur ces "feignasses de fonctionnaires", ça me fait bien rire.

- toutes les contraintes déjà citées précédemment, qui ne correspondent pas non plus à l'image idéalisée que l'on se fait du métier avant d'y entrer : la paperasse de plus en plus chronophage, les réunions qui se multiplient sur l'heure du repas ou le soir, souvent à la dernière minute, les heures invisibles passées à concevoir ses cours chez soi, à corriger ses copies, à lire pour renouveler ses cours et actualiser ses connaissances, etc.
Les rencontres avec des parents pas toujours bienveillants, une hiérarchie parfois hostile, etc.
L'image de l'iceberg, avec sa base profonde cachée dans les profondeurs me paraît bien correspondre.


Ensuite, à l'échelle politique et sociétale (et c'est là que pour moi se situe la source du problème) :

- un enchaînement de réformes vides de sens, qui se présentent comme des révolutions pédagogiques, mais qui cherchent surtout à trouver des économies à faire sur le dos de l'école.
Les années de Najat Vallaud-Belkacem me restent en travers de la gorge (petit clin d'oeil à certains articles publiés ici qui m'ont fait voir rouge) : J-M. Blanquer a annulé les mesures de la réforme précédente dès son arrivée, mais n'a redonné que trop peu de moyens aux établissements par rapport à ceux qui ont été perdus sous le ministère précédent. On a perdu des heures de cours, mais on a fait des économies. Top. Je me demande comment tout cet argent a été réutilisé... On n'en a pas vu les effets dans nos classes. Exemple typique : le fameux dispositif "devoirs faits" se fait dans la plupart des établissements sans moyens spécifiques : soit tu es bénévole pour encadrer les élèves, soit ça fait miraculeusement partie désormais de tes obligations. On peut imposer beaucoup de choses avec cette logique.

- une entreprise de destruction des services publics dont l'école va forcément faire les frais dans les prochaines années. On se dirige lentement mais sûrement vers une suppression du statut et de toutes les sécurités qu'il offrait, notamment la sécurité de l'emploi. L'idée est d'aller vers une "autonomie des établissements", ce qui dans les faits signifie que le recrutement se fera bientôt par les chefs d'établissements, comme dans le privé. C'est très grave, selon moi, parce que ça veut dire que les inégalités entre territoires et entre populations vont s'accentuer. Le système de mutation tel qu'il existe aujourd'hui est critiquable, mais c'est encore le seul moyen d'être sûr d'offrir à tous les élèves de France des enseignants formés de la même manière, qu'on soit dans le XVIe arrondissement ou dans la campagne profonde. Avec un recrutement comme dans le privé, chacun postulera où il le souhaitera, certaines zones seront peu attractives.
D'ailleurs, qui dit suppression du statut de fonctionnaire dit aussi suppression du concours, et donc recrutement de contractuels qu'on pourra jeter si leur enseignement ou leurs convictions ne conviennent pas. Comment s'assurer que l'adulte devant nos élèves a bien été formé ? Comment garder sa liberté pédagogique si notre maintien dans un établissement dépend de nos relations avec le chef de ce établissement ?
Les mesures prises actuellement et depuis quelques années vont droit vers ça, je ne comprends pas que l'on ne bouge pas plus. Pourtant, on a eu les exemples des cheminots, du personnel hospitalier, de la Poste...

Bref, le métier d'enseignant n'est plus cette vocation autrefois vue comme noble et essentielle pour la formation intellectuelle et citoyenne des individus. C'est un service, point. Il faut bien en avoir conscience avant de passer le concours (tant qu'il existe encore).
Mon message a l'air très négatif, mais je pense qu'il ne faut pas non plus se voiler la face. J'aime mon métier, je suis profondément attachée aux valeurs de l'école publique, à la notion de service public. Je crois que l'école a beaucoup à apporter à chaque élève, dans le sens où chacun y puisera ce dont il a besoin. Pour moi, le plus important aujourd'hui, c'est d'essayer d'amener mes élèves vers l'indépendance intellectuelle, afin qu'ils aient les outils culturels nécessaires pour comprendre le monde dans lequel ils vivent, et ne pas juste être des marionnettes. Si ça peut passer par quelques heures de Français et de Latin (ô combien menacé depuis ces dix dernières années), même si ça n'est presque rien du tout, j'estime que mon travail a encore une utilité. (Edit : même si souvent j'échoue à y parvenir.)

Mais ça va être de plus en plus difficile d'exercer ce métier, et ce sur tous les plans : matériel, intellectuel et humain.

Edit : Ma vision de mon métier et de ma "mission" a aussi beaucoup changé depuis que j'ai eu un enfant. J'ai pris de la distance, y compris syndicalement, parce que je prenais les réformes trop à cœur, et ça me bouffait de voir qu'on détruisait ma matière (les Lettres Classiques, ou plutôt les Humanités) pour faire des économies. Aucun boulot ne mérite qu'on y laisse sa santé, et je ne pense pas sacrifier mes élèves en disant cela. Je reste attachée à mes valeurs, je fais mon travail du mieux que je peux au quotidien, et je dis ce que je pense quand c'est nécessaire. Pour l'instant, le statut de fonctionnaire nous protège, et j'espère qu'on fera tout pour le garder. Ce n'est pas parce que c'est pire ailleurs qu'il faut souhaiter ce même pire pour nous-même comme s'il était normal que les conditions de travail aillent en se dégradant, pour tout le monde.


Désolée pour le pavé indigeste.
 
Dernière édition :
24 Février 2018
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Pourquoi je ne voudrais pas etre prof: (pour situer mon père est prof d informatique électronique en bac techno et ma mere etait prof d economie gestion)
- les conditions de travail:
Quand j etais en primaire on etait deux niveaux par classe et ça passait, 5 ans plus tard ma soeur y va ils sont 3 niveaux par classe et à la rentrée c 4 putains de niveaux par classe ! Et après c bizzare ils ont des difficultés au college !
- mon pere a eu son premier poste cette année a l age de 49 ans ! Avant il savait deux jours avant quelle matiere il allait enseigner, où et dans quelle classe
- ma mère a fait plusieurs depressions (et elle est pas totalement soignée) avant dd finalement se reconvertir. Elle n etait pas respectée par ses eleve et soutenue ni par ses collègues ni par l administration.
- les gens qui disent "tes parents sont profs c des feignasses"
voilà mon ressenti en bref
 
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Terrilville
Je vous admire tous. Franchement, pour tout ce que vous subissez, respect. J'ai failli en être.
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Sinon en Belgique c'est pas drôle non plus > pas de CAPES > t'es prof, puis c'est à toi de démarcher les écoles pour trouver une place. J'ai des potes, ça fait 10 ans qu'ils sont remplaçants / vacataires malgré un master au top, qu'ils font blindé de km et un micro salaire. Du coup le système ne fait pas plus rêver. :hesite:
 
28 Novembre 2012
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Effectivement, il faudrait aussi parler de la formation beaucoup trop théorique, très axée sur les sciences de l'éducation, la psychologie (parfois de comptoir), et pas du tout sur des questions basiques comme : comment construire un cours ? Comment réagir face à tel ou tel comportement ? Comment se tenir face à une classe, quand et comment punir, etc.
Personnellement, les 3/4 de mes cours suivis à l'IUFM ne m'ont servi à rien quand j'ai appris quelques jours avant ma première rentrée que j'allais avoir 5 classes de niveaux différents, sans tuteur. C'est donc ça, apprendre sur le tas ? ça passe ou ça casse, c'est certain, et ça relève en partie de la chance.
On nous culpabilise beaucoup en sous-entendant que lorsque ça se passe mal avec une classe, c'est forcément parce qu'on a commis une erreur, qu'on ne sait pas intéresser les élèves, qu'on ne sait pas désamorcer des conflits. Oui, parfois c'est vrai. Parfois non. Et quand tu ne trouves aucun soutien, que ce soit parmi ta hiérarchie ou parmi tes collègues, tu finis par te dire que tu es une sombre merde pas faite pour ce métier. Il serait intéressant de comptabiliser le nombre de burn-outs et de démissions, là où on essaie souvent de nous faire passer pour des feignasses qui ont beaucoup trop de vacances.
 
4 Juin 2016
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Quand j etais en primaire on etait deux niveaux par classe et ça passait, 5 ans plus tard ma soeur y va ils sont 3 niveaux par classe et à la rentrée c 4 putains de niveaux par classe ! Et après c bizzare ils ont des difficultés au college !

J'ai eu 4 niveaux l'année passée. Contrairement à ce qu'on peut penser, c'est plutôt enrichissant pour tout le monde, et c'est la dernière étape dans les milieux ruraux avant que l'école ferme et que les enfants n'aient à faire 15 kilomètres en bus (en primaire...)
Bon, dans ma classe ça fonctionnait parce que globalement tous les élèves étaient autonomes et avaient envie d'apprendre (ou presque). Et je n'avais pas de CP. Là, un CP-Ce1-Ce2 m'attend, et pas avec le même genre de public, je ne sais pas trop comment je vais gérer ça.

De toutes façons, même au sein d'un "simple" niveau, on est censé préparer des supports de travail différenciés pour 1- le groupe normal, 2- les élèves en avance 3- les élèves en difficultés 4- les élèves en situation de handicap ; à la fin, ça fait aussi 4 niveaux. Sauf que là il faut aussi jongler avec les programmes et volumes horaires différents au sein d'une même classe physique.
Je ris jaune quand on me dit "ah ouais, tu prépares une fois tes cours et tu t'en ressers toute ta vie. Euh ben, comment dire, déjà je n'ai pas les mêmes niveaux, et ensuite, je travaille avec des humains (et leurs parents) donc non, mes cours ne se ressemblent pas d'une année sur l'autre... entendons-nous, la fameuse leçon ("trace écrite" dans le jargon) peut être la même, mais le gros du travail, c'est tout le reste (situation découverte, situation de recherche, phases collectives et individuelles, entraînements, langage oral, évaluation...)

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26 Septembre 2012
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Surtout que le "apprendre sur le tas", ça veut dire que forcément ça se fait aux dépens des élèves, vu qu'on ne nous apprend pas des trucs essentiels. Et par contre, si on craque, on nous tombe dessus parce que, si on démissionne ou on s'arrête pour burn out, ben les élèves, ils ont plus de prof. Parce que la gestion des remplacements est pourrie, mais c'est notre faute hein.
Et par rapport aux affectations de dernière minute, je prends mon exemple. Je suis enseignante depuis neuf ans. J'ai un poste fixe depuis l'an dernier. Pour mon stage, j'ai appris la veille pour le lendemain où j'étais affectée, merveilleux pour trouver un logement. Puis j'ai été titularisée, je suis devenue tzr ( titulaire sur zone de remplacement). Et je peux vous dire que l'été dernier et cet été ont été les premiers de ma carrière où je n'ai pas stressé à l'idée d'être envoyée au diable vauvert et de ne pas pouvoir y aller, ou m'épuiser sur les routes, les quais et les arrêts de car, où je n'appelle pas le rectorat en début d'été puis attend façon compte à rebours le moment où je pourrai les rappeler, mais tout le monde n'est pas là le jour de la réouverture, donc des attentes de sonnerie dans le vide... Les fameuses vacances d'été deviennent vite un énorme moment de stress. Tout ça est anxiogène au possible.
 
24 Février 2018
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@Gattoune
Je suis heureuse d apprendre que ça peut bien se passer et c'est tout le malheur que je leur souhaite^^
Par contre ils seront quand même 25 eleves pour 4 niveaux ça me semble beaucoup...
Et au enseignants aussi, il y a actuellement des pancartes de protestations devant l ecole.
Je suis d accord sur le fait que c est bien de maintenir des ecoles de campagne mais j ai l impression qu il y a deux poids deux mesures entre la ville où il y a un niveau=une classe (apres j ai vu des reportages en zep où c pas joli joli parfois ) et la campagne où on se retrouve dans la même situation qu au temps du certificat d etudes...
 
  • Big up !
Réactions : LovelyLexy
4 Juin 2016
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Les miens étaient 22, et ça s'est bien passé. Ils ne sont plus que 18 cette année. Je regrette tellement de partir... (Effectivement, les jours avec 3/4 absents, on sentait que la classe était un peu plus gérable.)
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C'est effectivement deux poids deux mesures. Comme je le disais, j'ai eu beaucoup de chance cette année, je suis tombée dans un village super ouvert, et des parents (donc des enfants) intéressants/intéressés.
Les cp à 12 me font bien rigoler en ZEP parce que misère sociale et manque d'accès à la culture... Hé v'nez faire un tour en campagne qui vote FN au premier tour, et qui connait juste chasse, pêche et tradition. Le premier cinéma est à 30 bornes, le premier musée à 60... Mais là, ça va, on peut faire des classes à 4 niveaux à plus de 20, avec des cps noyés dedans. Ou alors dès que les effectifs réduisent en dessous de 20, on ferme des classes parce que ça coûte trop cher une classe avec si peu d'élèves ! Ceux là ils ont pas besoin de savoir lire, c'est rien que des bouseux...
 
26 Septembre 2012
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Sachant que les mut', même en étant marié.e et en ayant procréé, ça garantit rien: j'avais une collègue qui a démissionné car on lui refusait sa mutation pour se rapprocher de son mari; elle devait se taper l'autoroute et le péage tous les jours, donc, quand elle a eu un bébé, ses frais existants et la nourrice lui coûtaient plus chers que son salaire.
 
26 Avril 2016
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Somewhere in the Whedonverse
Le manque d'attractivité de la profession ne me surprend, hélas, pas du tout. J'ai enseigné en collège (je suis actuellement en dispo pour faire ma thèse) et même si je ne regrette pas cette expérience, je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'y retourner ensuite.

Un grand merci à @Meligood et @ElizaBennet qui ont déjà presque tout dit! C'est sûr qu'entre:
- les salaires vraiment injustes pour un recrutement à bac+5: si je compare avec les grilles d'autres métiers de fonctionnaires de catégorie A recrutés à bac+5, dès la première année, la différence est flagrante (2900 brut pour un ingénieur hospitalier, 3800 pour un commissaire de police, 1700 pour un prof...)
- l'horrible système de mutations qui fait que l'on peut être séparé de sa famille pour plusieurs années, sans recours possible si ce n'est la démission...
- le manque de formation! Ayant un master recherche et non un MEEF, je suis arrivée devant ma première classe après... deux jours de formation fin août. Oui oui.
- les responsabilités et le stress qu'elles engendrent (entre 25 et 30 mineurs entièrement sous votre responsabilité... pour moi c'était une source d'angoisse permanente!)
- le matériel vétuste (photocopieuses régulièrement en panne: j'ai souvent dû aller chez l'imprimeur à côté de chez moi et payer de ma poche mes polys... ou ma collègue d'arts plastiques à qui on refusait d'accorder le budget dont elle avait besoin pour son matériel, et qui achetait elle-même la peinture et la colle pour sa salle...)
- le travail de préparation et de correction, qui est colossal (surtout quand on débute): recherches et lectures constantes pour rester pertinent dans sa discipline et essayer de constamment varier les activités, préparation des polycopiés (exercices, grilles de correction, fiches de révision...), préparation d'activités différenciées pour les élèves dys-, corrections (souvent différenciées aussi...), préparation des travaux à faire en colles, etc. Mes semaines comptaient bien 40-45h. Je suppose que cela se réduit avec l'expérience, mais les débuts sont très prenants.
- les premières années qui se font quasi systématiquement dans des zones difficiles: durant ma courte carrière, je n'ai fait que des REP et des REP+. Cela dit, cela m'a appris beaucoup, et si je dois être réintégrée dans le secondaire après ma thèse, je demanderai une REP+ sans hésiter (dur, mais motivant et intéressant, avec des élèves agités mais dotés d'une vraie curiosité!)
- les réformes à venir qui vont progressivement détruire notre métier (j'ai lu récemment un article à ce propos qui m'a donné les larmes aux yeux...)
- le manque de respect qu'ont certaines familles pour l'école, la culture, le savoir sous toutes ses formes.
- la quasi-absence d'évolution dans le métier, le manque de reconnaissance des diplômes: si l'agreg permet certes de gagner un peu plus (mais en gardant exactement le même job), le doctorat, lui, n'apporte... rien. J'ai été obligée de demander une "disponibilité pour convenance personnelle" pour faire ma thèse, ce qui veut dire que pour l'EN, je pourrais aussi bien être en vacances. Pourtant, je deviens meilleure dans ma discipline, et j'enseigne toujours (en TD à la fac.) Mais rien de tout cela ne compte pour l'institution. J'ai perdu mon poste, mes points, et mon ancienneté. Je n'aurai aucun "avantage" au moment de ma réintégration, je serai même pénalisée et je reviendrai moins bien payée que les collègues qui ont passé le concours la même année que moi.

Et tout ça pour se faire mépriser par une grande partie de la société et passer pour des fainéants toujours en vacances. J'ai bossé plusieurs mois dans une administration avec des horaires de bureau classiques et des vacances bien moins généreuses, et franchement, je m'y sentais bien plus reposée et sereine qu'en étant prof avec de multiples vacances et "seulement" 18h devant élèves. Car être prof au quotidien, ce n'est pas du tout comme être au bureau, c'est être en représentation constante, dans un état de contrôle de soi, de concentration et d'attention extrêmement intense. C'est enchaîner 4h de cours d'affilée sans pouvoir s'asseoir 5 minutes ou aller aux toilettes (car pendant les récrés, on remplit le cahier texte numérique et on fait en urgence les photocopies...) C'est vivre dans le bruit, avoir presque tout le temps mal aux pieds ou mal à la tête. Flipper 100% du temps qu'un élève se fasse mal, ou fasse mal aux autres, savoir qu'on porte cette responsabilité et avoir des yeux partout pour éviter les problèmes. Devoir penser à tout, tout le temps. Se sentir très seul.e. L'année dernière, sans rire, quand je rentrais de mes cours et que je m'asseyais à mon bureau pour préparer la suite de ma séquence ou corriger, je m'endormais pendant au moins une heure tellement j'étais épuisée. Sans nos vacances si jalousées, je crois que j'aurais complètement craqué et que j'aurais fini en arrêt pour burn-out. En général, les petites vacances me permettaient de préparer l'architecture globale de mes séquences suivantes et de corriger les grosses évaluations, sans elles je n'aurais jamais pu être "à jour" dans mes préparations. Entre chaque vacances j'avais l'impression de me porter à bout de bras, de retenir mon souffle jusqu'aux prochaines. Je n'imagine même pas ce que peuvent vivre les professeurs des écoles, qui ont encore plus d'heures devant élèves et encore moins de soutien pour exercer (pas de vie scolaire, de surveillants...). Pour moi, ce sont des super-héros.ïnes!

Bon, cela dit, même après toutes ces récriminations, je ne doute pas qu'il s'agisse d'un très beau métier, qui peut être extrêmement enrichissant et satisfaisant! Mais ce n'est parce qu'un métier est intéressant qu'il ne mérite pas d'être exercé dans de meilleures conditions, de bénéficier d'une rémunération correspondant mieux aux efforts fournis, d'être mieux considéré. J'ai l'impression que le métier de prof est souvent victime des mêmes phénomènes que les métiers artistiques: comme c'est perçu comme un métier-passion, une vocation, on considère qu'il est acceptable d'avoir des conditions de travail déplorables et d'être mal rémunéré. Comme les auteurs non payés dans les salons, les illustrateurs à qui on demande de bosser "pour la visibilité", les musiciens auxquels on demande de jouer gratuitement au mariage d'un ami... Ce n'est pourtant pas parce qu'un métier est passionnant qu'il est facile!...
 

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