Le manque d'attractivité de la profession ne me surprend, hélas, pas du tout. J'ai enseigné en collège (je suis actuellement en dispo pour faire ma thèse) et même si je ne regrette pas cette expérience, je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'y retourner ensuite.
Un grand merci à
@Meligood et
@ElizaBennet qui ont déjà presque tout dit! C'est sûr qu'entre:
- les salaires vraiment injustes pour un recrutement à bac+5: si je compare avec les grilles d'autres métiers de fonctionnaires de catégorie A recrutés à bac+5, dès la première année, la différence est flagrante (2900 brut pour un ingénieur hospitalier, 3800 pour un commissaire de police, 1700 pour un prof...)
- l'horrible système de mutations qui fait que l'on peut être séparé de sa famille pour plusieurs années, sans recours possible si ce n'est la démission...
- le manque de formation! Ayant un master recherche et non un MEEF, je suis arrivée devant ma première classe après... deux jours de formation fin août. Oui oui.
- les responsabilités et le stress qu'elles engendrent (entre 25 et 30 mineurs entièrement sous votre responsabilité... pour moi c'était une source d'angoisse permanente!)
- le matériel vétuste (photocopieuses régulièrement en panne: j'ai souvent dû aller chez l'imprimeur à côté de chez moi et payer de ma poche mes polys... ou ma collègue d'arts plastiques à qui on refusait d'accorder le budget dont elle avait besoin pour son matériel, et qui achetait elle-même la peinture et la colle pour sa salle...)
- le travail de préparation et de correction, qui est colossal (surtout quand on débute): recherches et lectures constantes pour rester pertinent dans sa discipline et essayer de constamment varier les activités, préparation des polycopiés (exercices, grilles de correction, fiches de révision...), préparation d'activités différenciées pour les élèves dys-, corrections (souvent différenciées aussi...), préparation des travaux à faire en colles, etc. Mes semaines comptaient bien 40-45h. Je suppose que cela se réduit avec l'expérience, mais les débuts sont très prenants.
- les premières années qui se font quasi systématiquement dans des zones difficiles: durant ma courte carrière, je n'ai fait que des REP et des REP+. Cela dit, cela m'a appris beaucoup, et si je dois être réintégrée dans le secondaire après ma thèse, je demanderai une REP+ sans hésiter (dur, mais motivant et intéressant, avec des élèves agités mais dotés d'une vraie curiosité!)
- les réformes à venir qui vont progressivement détruire notre métier (j'ai lu récemment un article à ce propos qui m'a donné les larmes aux yeux...)
- le manque de respect qu'ont certaines familles pour l'école, la culture, le savoir sous toutes ses formes.
- la quasi-absence d'évolution dans le métier, le manque de reconnaissance des diplômes: si l'agreg permet certes de gagner un peu plus (mais en gardant exactement le même job), le doctorat, lui, n'apporte... rien. J'ai été obligée de demander une "disponibilité pour convenance personnelle" pour faire ma thèse, ce qui veut dire que pour l'EN, je pourrais aussi bien être en vacances. Pourtant, je deviens meilleure dans ma discipline, et j'enseigne toujours (en TD à la fac.) Mais rien de tout cela ne compte pour l'institution. J'ai perdu mon poste, mes points, et mon ancienneté. Je n'aurai aucun "avantage" au moment de ma réintégration, je serai même pénalisée et je reviendrai moins bien payée que les collègues qui ont passé le concours la même année que moi.
Et tout ça pour se faire mépriser par une grande partie de la société et passer pour des fainéants toujours en vacances. J'ai bossé plusieurs mois dans une administration avec des horaires de bureau classiques et des vacances bien moins généreuses, et franchement, je m'y sentais bien plus reposée et sereine qu'en étant prof avec de multiples vacances et "seulement" 18h devant élèves. Car être prof au quotidien, ce n'est pas du tout comme être au bureau, c'est être en représentation constante, dans un état de contrôle de soi, de concentration et d'attention extrêmement intense. C'est enchaîner 4h de cours d'affilée sans pouvoir s'asseoir 5 minutes ou aller aux toilettes (car pendant les récrés, on remplit le cahier texte numérique et on fait en urgence les photocopies...) C'est vivre dans le bruit, avoir presque tout le temps mal aux pieds ou mal à la tête. Flipper 100% du temps qu'un élève se fasse mal, ou fasse mal aux autres, savoir qu'on porte cette responsabilité et avoir des yeux partout pour éviter les problèmes. Devoir penser à tout, tout le temps. Se sentir très seul.e. L'année dernière, sans rire, quand je rentrais de mes cours et que je m'asseyais à mon bureau pour préparer la suite de ma séquence ou corriger, je m'endormais pendant au moins une heure tellement j'étais épuisée. Sans nos vacances si jalousées, je crois que j'aurais complètement craqué et que j'aurais fini en arrêt pour burn-out. En général, les petites vacances me permettaient de préparer l'architecture globale de mes séquences suivantes et de corriger les grosses évaluations, sans elles je n'aurais jamais pu être "à jour" dans mes préparations. Entre chaque vacances j'avais l'impression de me porter à bout de bras, de retenir mon souffle jusqu'aux prochaines. Je n'imagine même pas ce que peuvent vivre les professeurs des écoles, qui ont encore plus d'heures devant élèves et encore moins de soutien pour exercer (pas de vie scolaire, de surveillants...). Pour moi, ce sont des super-héros.ïnes!
Bon, cela dit, même après toutes ces récriminations, je ne doute pas qu'il s'agisse d'un très beau métier, qui peut être extrêmement enrichissant et satisfaisant! Mais ce n'est parce qu'un métier est intéressant qu'il ne mérite pas d'être exercé dans de meilleures conditions, de bénéficier d'une rémunération correspondant mieux aux efforts fournis, d'être mieux considéré. J'ai l'impression que le métier de prof est souvent victime des mêmes phénomènes que les métiers artistiques: comme c'est perçu comme un métier-passion, une vocation, on considère qu'il est acceptable d'avoir des conditions de travail déplorables et d'être mal rémunéré. Comme les auteurs non payés dans les salons, les illustrateurs à qui on demande de bosser "pour la visibilité", les musiciens auxquels on demande de jouer gratuitement au mariage d'un ami... Ce n'est pourtant pas parce qu'un métier est passionnant qu'il est facile!...