Personnellement je suis vacataire (enfin maintenant on dit contractuelle) en histoire-géo pour des niveaux sixième à terminales de tous types (générale, techno ou pro) et je suis présentement en attente d'un appel de mon rectorat pour un poste pour la rentrée qui a lieu vendredi prochain...
Après une licence histoire parcours géographie mes profs de fac nous ont tous incités à partir non pas en Master MEEF pour préparer directement le concours mais en Master recherche voie soit disant "royale" pour ensuite passer CAPES et agrégation. Résultat, j'ai un master et foiré les deux concours lors de ma première tentative cette année.
Je ne regrette rien de mon parcours, j'ai adoré faire de la recherche en dépit de ma déception relative à mon directeur de recherche qui n'envisageait pas mon sujet de la même façon que moi (j'ai travaillé sur l'étude des matériaux dans les manuscrits de l'académie royale des sciences de bordeaux au XVIII°siècle, l'histoire des sciences étant totalement mon dada).
Cependant, l'agrégation est extrême difficile et le nombre de places restreint, pour le capes diminution de 20% environs pour les places disponibles et un nombre de candidats au concours toujours très élevé. Ce que je regrette aussi c'est que, d'après mes profs de préparation agrégation pour les oraux, je suis "tout à fait capable de tenir une classe et faire un cours de qualité" ainsi mon point fort n'est pas l'écrit ; hors je n'ai pas pu aller aux oraux "montrer ce que je sais faire" puisque ce sont les écrits que j'ai foiré.
Les écrits au CAPES d'histoire c'est :
- 6 sujets à l'étude (3 en histoire, 3 en géo)
- seulement 2 qui tombent (1/3 dans chaque matière)
- chaque épreuve dure 4 heures, le tout sur 2 jours.
Pour l'agrégation c'est encore une autre histoire (ahah jeu de mot nul) :
- 6 sujets à l'étude (4 en histoire, 2 en géo)
- 3 sujets d'histoire qui tombent et 1 en géo
- chaque épreuve écrite dure 7h, le tout sur 4 jours.
Cela fait non seulement énormément de travail en amont pour rien le jour où l'on est dans une classe (ce que j'ai pu tester en juin lors d'un remplacement) mais aussi beaucoup de frustration le jour des épreuves. L'avantage c'est qu'en dehors d'une question d'histoire et une question de géo, les sujets sont communs. Mais ce qu'on attend de l'aspirant n'est pas du tout la même chose bien entendu.
En outre la préparation qu'elle soit en MEEF ou pour l'agrégation est très limite avec des profs qui se sentent plus pisser (pas tous heureusement) et des résultats pour l'ESPE plus que moyens en réalité car remontés par les candidats sortant de la préparation agrégation. Il y a très peu de primo entrant en MEEF histoire géo qui ont leur CAPES du premier coup. Pour l'agreg' c'est encore pire.
En dehors de ces questions relatives à la formation qui, de fait, n'est pas particulièrement attractive, pour moi le salaire et la considération de la fonction sont deux freins majeurs à la volonté d'enseigner en France.
En effet à niveau égal (bac +5), un ingénieur gagne 2 à 3 fois le salaire d'un prof. Alors oui, le salaire d'un prof est calculé sur le temps de travail effectif (toutes les vacances ne sont en réalité pas des congés payés) étalé sur 12 mois ce qui fait baisser le salaire de base qu'ils toucheraient s'ils n'étaient payés que sur 10 ou 11 mois de travail lorsque l'on enlève ces fameuses vacances de soit disant 2 mois l'été. Sauf que, les établissements ferment mi/fin juillet et reprennent fin août. Il n'y a en tout et pour tout que 5 semaines de vacances effectives l'été et obligatoires puisque les établissements sont fermés. Alors oui un enseignant exerçant depuis plusieurs années peut peut être profiter des vacances en cours d'années mais un débutant ou simplement quelqu'un qui tient à continuer à faire évoluer son enseignement, lui, travaille pendant ces périodes et même l'été afin de pouvoir s'adapter à de nombreuses situations et fournir des cours de la meilleure qualité possible à ses élèves, ou tout simplement rester à jour dans ses connaissances.
Considérés comme des feignasses, des "tire au flanc" ou que sais-je encore, les enseignants doivent, si l'on combine l'ensemble des discours
- être bienveillants
- ne pas punir
- éduquer les enfants
- les instruires
- leur apprendre les bonnes manières de vivre en société sans trop les éveiller pour qu'ils n'aient pas l'idée de se rebeller par la suite
- ne pas fatiguer les élèves (voir les futurs reportages sur le poids des cartables toujours trop lourds... ça fait 30 ans que ça dure, ils font toujours le même poids, voire un peu moins mais ne soyons pas pénibles, et on a tous survécu à ce fameux sac à dos trop lourd qu'on portait sur une épaule et bien bas sur le dos parce que c'est plus cool).
- ne pas leur donner trop de devoirs (parce que bon les pauvres petits ils sont fatigués quand ils rentrent de l'école et puis bon les parents ont pas que ça à faire de surveiller les devoirs, corriger et aider leur marmaille hein).
- ne pas contrarier les enfants sur leurs croyances
- accepter qu'un parent qui ne connait rien à ta matière et n'a surtout pas ton niveau d'étude te fasse la leçon parce qu'il sait mieux que toi de toute façon parce que "vous les profs vous êtes cons et ignares"
Mais en dehors de ces inconvénients ou contre sens qui peuvent être déstabilisants (insérer sarcasme ici); il faut surtout accepter d'être vu comme un nuisible, pique assiette (comme la plupart des fonctionnaires) forcément ingrat (avec toutes ces vacances quand même et ce nombre d'heures de cours risible, tu vas quand même pas te plaindre de faire ton boulot, hein?), de se faire régulièrement rabaisser, insulter, moquer par une grande majorité de la société tout en étant rarement soutenu par sa hiérarchie. Le nombre de certifiés démissionnaires l'année de leur stage (donc avant même d'être titularisé) a explosé ces dernières années de même que le nombre d'enseignants titulaires en établissement ou remplaçants démissionnaires dans les 5 premières années d'exercice et, personnellement, je trouve ça plus alarmant que la diminution du nombre de candidats.
Qu'est-ce que ça peut faire qu'il y ait moins de candidats puisque dans tous les cas il y a de moins en moins de places? Le ratio de réussite en histoire au CAPES est le suivant : 1 candidat sur 4 est admissible et va donc aux oraux en moyenne. Pour ceux qui vont aux oraux on est sur un ratio de 1/2 qui est admis.
Le fait que les certifiés démissionnent avant d'être titularisés ou que d'autres le font dans leurs premières années d'exercice est forcément le signe que le système éducatif français va mal, que les classes surchargées sont de moins en moins gérables ou alors que les nouveaux profs ne sont pas suffisamment renseignés/préparés à leur métier ou les deux (probablement les deux en fait) ; c'est le signe pour moi d'une société déclinante qui ne fait pas les choix qui s'imposent pour son avenir et essaie tant bien que mal d'écoper l'eau d'un navire qui sombre sans que les élites dirigeantes ne daignent s'en préoccuper sous des prétextes toujours plus vacillants.
La débâcle de parcours sup cette année n'est pas la seule dans le système de l'orientation mais c'est celle dont on parle, quid des collégiens que l'on traîne d'une année sur l'autre sans les faire redoubler, que l'on force à accepter un enseignement professionnel dont ils n'ont que faire ou dont les parents insistent pour qu'ils passent en seconde générale alors que le niveau troisième n'est pas atteint, quid de ces élèves en difficulté que l'on laisse se noyer non pas par désintérêt de la part de nous autres enseignants mais par manque de moyen.
Une collègue prof de maths me disait l'autre jour "si je veux prendre deux minutes par élèves pour vérifier les exercices et leur expliquer individuellement ce qui va ou pas, je perds une heure de cours dans une classe de 30 élèves" en réalité elle perd plus que ça parce que si on passe 2 minutes par élèves dans une classe de 30 (classe considérée comme moyenne en terme de quantité d'élèves) on passe en réalité 60 minutes au total à vérifier les cahiers, sauf qu'une heure de cours ne dure pas 60 minutes, elle en fait au mieux... 50 sans compter le temps que les élèves s'installent qu'on fasse l'appel et les rappels si besoin de certaines choses relatives à l'organisation du cours (exercices à faire, contrôles à venir,...). On rajoute à ça que 2 minutes c'est court, très court, trop court pour prendre le temps avec un élève. Et on se rend compte qu'on ne peut faire son travail "qu'au mieux". C'est forcément décourageant quand on s'en rend compte.
Dans le même genre, on voit de façon récurrente depuis quelques années des diminutions d'horaires pour l'ensemble des matières mais particulièrement les humanités (lettres classiques/modernes, langues, histoire et géographie) avec des programmes qui eux ne changent pas en termes de quantité d'informations à donner pour les enseignants et à ingurgiter pour les élèves en particulier pour les lycées.
Je suis contractuelle, j'ai fait toutes mes études dans le but d'enseigner, je retente d'ailleurs les concours cette année, mais parfois je me dis que ce décalage entre les institutions et la réalités du terrain ne pourra jamais être comblé et qu'il fait beaucoup plus de mal que de bien, aux individus dans un premier temps qu'ils soient personnel administratif, enseignant ou élève mais aussi à la société et ça me rend malade que le "pays des Lumières" dont on est si fier soit à ce point gangrené et amputé de sa capacité d'érudition pour des raisons économiques à court terme qui ne fonctionnent pas et ne fonctionneront jamais. Je suis malade qu'un enseignant soit perçu comme un parasite social alors qu'il est là pour construire l'avenir, pour transmettre un savoir quel qu'il soit ; je suis malade que notre fierté historique se transforme en handicap sociétal, sclérosant notre vision de l'éducation et de l'instruction dans une perspective d'ubérisation de l'enfant et de son devenir.
Je comprends que le métier attire moins étant donné que tout est fait pour qu'il ne soit plus attractif. Que le gouvernement (quel qu'il soit par ailleurs) se plaigne de cet état de fait tout en proposant des solutions qui ne font que démunir un peu plus la fonction montre bien à quel point il ne s'agit là que d'une tentative pour se dédouaner de ses responsabilités quant à cet état de fait en rejetant la faute sur les étudiants et les jeunes. Le tout derrière un "nous ne comprenons pas pourquoi" bien hypocrite.
Désolée pour le pavé indigeste et écrit avec un peu d'agacement au point qu'il soit construit de façon pour le moins aléatoire.
P.S. :
@ElizaBennet, tu as tout dit de façon bien plus claire et exhaustive que moi, merci!!