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Guest
Je viens de lire cette interview de Pauline Rossi, nominée au prix du Meilleur Jeune Économiste français 2023 :
Extraits :
Fascinant !
Économie du développement et démographie : les cas extrêmes de l’Afrique et de la Chine – Conversation avec Pauline
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oeconomicus.fr
Extraits :
[interviewer] L’un des résultats majeurs de vos recherches sur la démographie africaine souligne que les politiques axées sur le contrôle des grossesses n’ont pas d’impact sur la transition démographique, alors qu’assurer la sécurité financière des femmes est un facteur de transition démographique.
[économiste] Les politiques familiales en Afrique sont fortement axées sur l’accès à la contraception, avec l’hypothèse que certaines naissances ne sont pas désirées et que si les femmes avaient accès à la contraception, elles auraient moins d’enfants. Cette hypothèse est largement intériorisée par de nombreux acteurs du développement, sans être réellement remise en question. Cependant, lorsque l’on examine la littérature scientifique, il y a peu de preuves démontrant un effet significatif de l’accès à la contraception sur la fécondité. Nous avons réalisé une étude contrôlée randomisée (RCT) au Burkina Faso où pendant trois ans, nous avons fourni gratuitement des contraceptifs aux femmes dans les centres de santé locaux et cela n’a eu aucun effet significatif sur la fécondité trois ans plus tard. En prenant en compte l’incertitude inherente aux etudes statistiques, nous pouvons conclure que le taux de natalite baisse au maximum de 5%, ce qui représente une moyenne de 5.7 enfants par femme au lieu de 6 a l’heure actuelle, soit un impact faible. La plupart des RCT se concentrent sur l’augmentation de l’utilisation de la contraception lorsqu’elle est rendue accessible, mais ne mesurent pas réellement l’impact sur le nombre total d’enfants.
Les économistes partent du principe que les individus ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font, qu’ils évaluent les coûts et les bénéfices, puis prennent les meilleures décisions pour eux-mêmes. Les coûts peuvent inclure des aspects sociaux, comme la volonté de ne pas se démarquer des autres. Il y a donc une dimension de coûts et de bénéfices, qui ne se limite pas seulement aux aspects financiers. Dans nos travaux, nous partons des préférences exprimées par les femmes : dans de nombreux pays africains, elles disent vouloir en moyenne cinq à six enfants. Nous essayons ensuite de comprendre pourquoi elles souhaitent avoir cinq à six enfants.Cela nous conduit à revisiter des idées assez anciennes, qui mettent en évidence le besoin d’une assurance familiale dans les sociétés où il n’y a pas de protection sociale, et où la famille est le seul soutien en cas de maladie, de vieillesse, etc. De plus, la littérature évoque la nécessité d’avoir des enfants pour travailler dans les champs ou pour assurer les tâches domestiques qui ne sont pas automatisées comme dans les pays riches. Pour l’instant, je me suis principalement intéressée à la dimension assurantielle et j’ai réalisé plusieurs études sur les situations où les individus ont peu d’assurance formelle et où ils ont davantage d’enfants. Par exemple, j’ai étudié l’extension du système de retraite en Namibie, qui a permis de réduire la fécondité d’environ un enfant par femme, une baisse bien plus significative que la baisse de 5% précédemment évoquée.
Vous avez expliqué le cas africain, pourriez-vous préciser la spécificité de la Chine, ainsi que vos recherches sur ce pays ?
En Chine, des politiques très restrictives ont conduit à un taux de fécondité d’environ un enfant par femme. Dans l’esprit des dirigeants, il y avait cette idée que la levée de ces politiques restrictives pourrait entraîner une hausse des taux de fécondité, peut-être jusqu’à deux. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit. En 2016, la politique de l’enfant unique a été abolie, et l’année dernière, le gouvernement a même autorisé les familles à avoir jusqu’à trois enfants. Malgré cela, les taux de fécondité continuent de diminuer d’année en année. 2022 est l’une des premières années depuis la grande famine où il y a eu plus de décès que de naissances. La Chine étant un pays assez fermé à l’immigration, cela entraîne une diminution de sa population. Cette trajectoire n’est pas totalement inédite, car le Japon et la Corée du Sud connaissent des situations similaires avec des taux de fécondité entre 1 et 1.3 enfant par femme, et avec très peu d’immigration.
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La politique de l’enfant unique a donc bloqué le pays dans une trappe à taux de fécondité très faible, avec un enracinement très fort de cette politique devenue norme ?
Avec ma co-auteure chinoise Yun Xiao, nous avons étudié comment la transition s’est produite, notamment dans les années 70, lorsque le système de quotas pour deux enfants a été mis en place. Certains groupes, notamment des minorités ethniques, étaient exemptés de cette politique, et nous souhaitions voir si ces groupes avaient réduit leur fécondité, même s’ils n’étaient pas obligés de le faire. Nous avons effectivement constaté qu’il existait une dynamique d’imitation, notamment pour les groupes culturellement proches de la majorité ethnique Han et pour ceux en concurrence avec cette majorité pour des postes qualifiés.
Cette constatation est intéressante car elle permet de comprendre pourquoi, lorsque les quotas sont levés, les gens ne modifient pas leur comportement: un nouvel équilibre s’est mis en place. Si tout le monde fait la même chose, et qu’un groupe bouge sous l’effet d’une contrainte, les autres imitent. Mais une fois la contrainte levée, personne ne bouge, car un nouvel équilibre s’est formé. Ainsi, nous observons à la fois des phénomènes d’imitation des normes sociales, où les gens ont désormais un enfant parce que tout le monde en a un.
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Fascinant !