@Clemence Bodoc bien sûr que l'Etat a autre chose de bien plus important à faire que de chercher à gommer la religion de l'espace public. Mais le fait est qu'aujourd'hui, l'Etat est un instrument du pouvoir politique utilisé à ces fins. Pourquoi ?
A mon sens, déjà parce qu'aujourd'hui, l'univers politique est phagocyté par les règles de l'univers économique, et obéit à la loi de l'offre et de la demande. Il y a une demande en France de la part de toute une partie de la population, surtout chez les athéistes (athées politiques) et/ou les personnes religiophobes, pour que soit mise en place une laïcité fermée. Pourquoi ? Pour toutes les raisons qui motivent la laïcité fermée (je ne vais pas revenir dessus). Par conséquent, il y a une demande, et dans un système qui institue le pouvoir par élection, il faut pour obtenir et conserver le pouvoir proposer une offre qui correspond à cette demande.
Oui, mais l'objection qu'on pourrait faire c'est : il y a plein d'autres choses que les gens veulent, du genre une augmentation du SMIC, plus de médecins dans les régions etc. Pourquoi, pour conserver le pouvoir, le gouvernement ne fait-il pas des mesures populaires comme celle-là ? Là, trois choses :
- les personnes qui pâtissent le plus de cette absence de réformes populaires sont les personnes les plus défavorisées ; or, les personnes défavorisées n'ont pas d'influence et ne se considèrent pas comme influentes : elles ne votent pas, elles n'ont pas de pouvoir, et personne ne les prend vraiment en compte (voire elles servent de bouc émissaires comme dans l'affaire de suppression de la cantine pour les enfants de chômeurs). Les autres classes sociales s'en sortiront quand même, plus difficilement, mais quand même ; donc, cette absence de réformes populaire passe correctement (la révolution n'arrive que lorsque la politique menée gêne gravement les classes moyennes et bourgeoises ; si elle ne gêne que les classes pauvres il ne se passe rien).
- L'excuse de la dette marche relativement bien pour ne pas faire des réformes coûteuses, ou qui semblent immédiatement coûteuses aux yeux des clients que sont les élécteurs et qui vont payer ces réformes. Une réforme qui renforce la sécurité par exemple, au détriment des libertés, passe par exemple mieux, parce que les gens relient moins directement cette action à une dépense que par exemple la mise en place de nouvelles aides sociales. C'est le cas avec une politique athéiste, qui en soit ne coûte pas grand-chose, ou n'a l'air de pas coûter grand-chose au contribuable qu'il faut satisfaire.
- Le détournement d'attention fonctionne aussi pas mal. On voit ça par exemple avec l'affaire des médailles de Chevaliers d'Honneur attribuées à des auteur-e-s de bande-dessinée : on crée un événement pour détourner l'attention des problèmes de fond, qui sont toujours présent mais qui passent plus inaperçus. (Je vais faire une métaphore gore ici, mais c'est comme pour faire cuire une grenouille : plongez la dans l'eau bouillante, elle saute, mettez la dans l'eau froide et faites bouillir doucement, elle reste. C'est exactement comme ça que ca fonctionne).
Pour moi, l'athéisme politique tel qu'il est, présente tous ces avantages :
- il coûte relativement peu cher à pratiquer (il suffit de dire des trucs contre la pratique d'une religion dans l'espace public et vous êtes populaire, c'est plutôt facile comme technique) et à mettre en place (du moins, aux yeux du contribuable). L'absence de coût correspond à une certaine demande ,
- il a l'avantage de produire un certain spectacle qui détourne des problèmes chiants comme la pauvreté des pauvres ou les transports qui polluent (c'est quand même plus rigolo de voir Boutin s'engueuler avec Valls), spectacle qui répond à une certaine demande ;
- l'athéisme politique en tant que visant surtout les musulmans répond à une logique de bouc émissaire (René dans
La violence et le sacré en parle mieux que moi). C'est à dire qu'il produit l'unité en remplaçant une logique du tous contre tous par une logique du tous contre un, qui apaise les tensions internes à une société. Ici, le bouc émissaire, qui est la religion et particulièrement la religion musulmane (cette dernière étant la plus "visible"), permet de purger la société de ses autres tensions (sociales, économiques, culturelles). Or, cette réunion du tout social dans cet acte de violence est quelque chose qui est au fond désiré par chacun (ça se voit dans les manifestations par exemple, l'union de tous dans la protestation contre un ordre, protestation qui est une forme de violence défouloir).
(après je pense aussi qu'on entre dans des logiques de remplacement d'un ordre de pouvoir par un autre qui induit des violences des athées contre les non-athées, ces derniers étant vus comme les tenants d'un ancien monde et d'un ancien ordre qu'on cherche inconsciemment à purger lorsqu'on se trouve soit-même dans une position de domination. Aujourd'hui on est dans une phase de remplacement de la domination* des chrétiens/catoliques par une domination athée, ce qui explique sans doute cette volonté d'expulser l'expression de ce qui rappelle les anciens dominants).
*je parle ici de domination au sens social bien sûr, comme on peut parler de l'homme comme dominant social par rapport à la femme par exemple.