Ensuite, sans vouloir avoir l'air d'attaquer qui que ce soit ou de refuser toute critique, je trouve que cet événement a quand même quelques mérites...
Cette veille est là pour confronter des points de vue et débattre donc bien entendu que ton opinion a sa place ici
je me retrouve trop souvent à mon goût face à des gens sur le net ou irl qui revendiquent haut et fort qu'une femme moins payée, c'est normal/légitime/de toutes façons il faut toutes les renvoyer à la maison faire gratuitement un travail estimé à 6000€ net par mois selon certaines études pour résoudre le problème du chômage. Même si certains calculs montrent une inégalité quasi résorbée à poste égal, j'ai l'impression que beaucoup trop de gens sont prêts à revenir en arrière.
La question c'est surtout combien de ces personnes sont en position d'influencer réellement le salaire d'une femme? C'est facile de déblatérer des torrents de misogynie mais à quel niveau cette misogynie est "active"?
Moi ce qui me pose problème, c'est que l'égalité salariale est globalement le PREMIER argument lancé par un grand nombre de féministes ou de sympathisants quand ils veulent prouver que les inégalités existent toujours ou qu'il y a encore du boulot à faire.
Je comprends bien pourquoi, c'est un argument simple, qui parle même à des gens conservateurs socialement (parce que généralement, l'argument économique les touche) et ça semble être une inégalité flagrante, brute, illégale. C'est peut-être un des rares droits reconnus par la loi qu'on peut prouver ne pas être acquis par les femmes. Or, beaucoup de gens qui contestent le fait que l'égalité n'est pas atteinte ont tendance à se baser sur les lois ou d'autres trucs simples à identifier comme le droit de vote, le droit à exercer tous les postes etc.
Mais du coup, l'égalité salariale devient un gimmick féministe. C'est un peu comme si c'était la seule chose "valable" et universellement acceptée comme une cause pour laquelle on doit encore combattre. Si tu parles des droits sexuels et reproductifs, tout de suite, les détracteurs contestent plus, les sympathisants sont moins convaincus. Les biais genrés, pareil... Bref, tout ce qui est moins net, soit parce que ça ne concerne pas vraiment les hommes à la base donc c'est pas tellement une question d'égalité mais de droits des femmes (l'avortement, la médecine gynécologique, la grossesse etc.), soit parce que ça ne se résume pas à quelques chiffres faciles à comprendre (l'accès des femmes à certaines professions, les inégalités hiérarchiques etc.), soit parce que le déséquilibre entre hommes et femmes semble encore naturel à beaucoup de monde (la sexualité, le partage des tâches domestiques), hé bien toutes ces causes, c'est invisibilisé ou c'est caricaturé.
Du coup, je pense qu'une grande partie des gens qui se disent prêts à revenir en arrière, c'est aussi parce qu'ils identifient l'inégalité salariale comme une cause féministe et qu'ils veulent s'opposer par principe au féminisme. En outre, beaucoup d'arguments pro-inégalité salariale ne peuvent être démontés si les causes plus "compliquées" ne bénéficient pas d'une publicité équivalente. En général, ça porte sur les congés maternité et les gardes d'enfant (les femmes seraient plus souvent absentes donc un salaire inférieur serait justifié), des préjugés essentialistes (les femmes n'auraient pas les mêmes qualités que les hommes, donc elles seraient moins productives/efficaces, les femmes seraient naturellement attirées par des professions mal payées) etc.
C'est pour ça qu'une action visant à dire "on n'est toujours pas payée également!", je suis pas sûre que ça fera réfléchir ceux qui estiment que cette inégalité salariale se justifie. Et donc je ne pense pas que leur avis soit très pertinent pour le coup.
Mais j'ai l'impression que pour ce problème-là la logique de communication et d'action à construire est très différente.
Moi je ne pense pas que la logique d'action et de communication devrait être différente. En fait, je pense tout simplement que la communication sur les salaires n'est pas adaptée.
Celle de l'inégalité salariale est trop masculine en fait. On n'essaye pas d'expliquer aux hommes l'inégalité vécue par les femmes, on utilise des situations qu'ils connaissent et uniquement ça pour leur parler d'inégalités. Les hommes savent ce que c'est que de recevoir un salaire inférieur à un collègue et de trouver ça injuste, ça peut leur arriver. En revanche, ils sont beaucoup moins nombreux à comprendre comment on peut te barrer la route de certaines formations et professions sur la base de préjugés, d'ambiance hostile, parce qu'on casse ta confiance depuis ton enfance ou pourquoi ta profession est dévalorisée (parce que les hommes dans les professions féminisées sont souvent accueillis à bras ouverts et donc, même dans un tel milieu, ils peuvent ignorer certains aspects de la question). Ils sont aussi beaucoup moins nombreux à réfléchir à la grossesse et à la maternité comme une question collective, sauf pour contrôler la reproduction et le corps des femmes, et réalisent donc peuvent donc plus facilement percevoir comme des injustices le fait que les femmes prétendent à un avancement de carrière et une augmentation salariale tout en étant absentes plusieurs mois de leur poste.
C'est pas forcément négatif de capitaliser sur des situations connues des hommes si c'est une manière d'accrocher leur attention et d'expliquer les mécanismes derrière. Sauf qu'en général on en reste là : "je suis moins payée que mon collègue, regarde, c'est pas juste". "Oh oui, c'est pas juste, t'as raison, heureusement qu'il y a des lois, les mentalités des patrons sexistes finiront par changer rassure-toi!"
Donc voilà, pour moi, cette question de l'inégalité salariale simplifie trop les revendications féministes et ne va pas très profondément. Du coup, je doute quand même du fait qu'on doive y consacrer autant d'énergie car je ne suis pas sûre de l'efficacité de ce genre de campagne. Ceci dit, je concède quand même qu'à force d'insister dessus, c'est devenu une évidence dans le discours officiel des grandes entreprises, et du coup aussi dans leurs programmes RH.
Mais je vois aussi trop souvent des entreprises prendre la question de l'égalité professionnelle de manière hyper littérale, du genre on doit donner strictement les mêmes chances aux hommes et aux femmes sans prendre en compte les biais genrés (non, le fait qu'il y ait zéro candidatures internes de femmes pour ce poste n'est pas un hasard, même si le poste était "ouvert à tous") parce que la question de l'égalité salariale a été trop dépouillée de sa réflexion sociologique et qu'elle laisse penser au public qu'on doit gérer les inégalités sous cet angle supposément neutre, mathématique.
Alors voilà, je ne suis pas contre le combat contre l'inégalité salariale du tout! Mais je pense qu'il occupe trop de place dans le discours féministe.
Après, je n'ai pas étudié comment s'était déroulé l'événement chez les Islandaises mais c'est aussi possible qu'il prenne un sens différent en raison de la culture, des enjeux, du contexte etc.