kaeloolagrenouille;4620555 a dit :Bonjour,
Je me présente, j'ai 22 ans, je vis en Angleterre et voici mon premier vrai post sur le topic.
J'ai quelques notions de gender studies - j'ai notamment vu le sujet à l'uni - le milieu de la santé et le genre. C'était assez hallucinant de voir que seul 1% de l'argent consacré sur la recherche sur la contraception était consacré à la contraception masculine! Et entre autre que les médicaments sont souvent testé cliniquement sur des hommes parce qu'on considère que les changements hormonaux des femmes du aux cycles menstruels peuvent perturber les essais cliniques - ils sont considérés comme des facteurs qui peuvent entraver la démarche scientifique pour tester l'efficacité/tolérance d'un médicament. D'ailleurs pendant longtemps, on ne s'intéressait qu'aux symptômes chez les sujets masculins pour établir le tableau clinique d'une maladie alors qu'ils peuvent différer selon le sexe biologique. Par exemple, les symptômes d'une crise cardiaque ne sont pas les mêmes chez les hommes/femmes. (Mais depuis une vingtaine d'années les choses changent dans ce domaine, notamment par la création d'organismes qui effectuent un travail de rééquilibrage dans le domaine)
Sinon je suis au pair et je m'occupe de deux petits garçons. C'est intéressant de voir que déjà à leur jeune âge ils ont déjà des idées préconçues: exemple: le grand dit parfois à son frère de ne pas se comporter comme une fille. A chaque fois je le reprends en lui disant qu'être une fille n'est pas une insulte.
Ca fait quelques années que je suis sensible aux questions d'inégalité entre hommes et femmes. J'avoue qu'aujourd'hui je suis un peu contre le terme féminisme. Je suis consciente que le mouvement féministe nous a apporté beaucoup dans la lutte des droits pour les femmes mais j'ai tendance à trouver dommage cette guerre des genres. Je ne considérerais jamais les hommes comme des ennemis, je considère plus notre société comme le problème ainsi que la pression qu'exerce la société sur nos comportements. Pour moi ce qui est important c'est l'égalité des genres. Ce qui passe par une éducation qui montre aux garçons et aux filles qu'ils n'ont pas de cases particulières à occuper, avec une attention spécifique à la culture du viol. Je suis consciente moi-même d'être encore très empreinte de cette manière de voir les choses.
Par rapport au terme féminisme, si je le remet aussi en question c'est parce que certaines féministes ont tendances à dire que les comportements genrés imposés par notre société patriarcale ne sont que profitables aux hommes. Pourtant si on observe les statistiques, les hommes vivent en moyenne moins longtemps que les femmes, notamment à cause de leur genre (pas seulement leur sexe biologique) - en gros à cause de leur genre, ils ont plus de comportement à risques, prennent moins soin de leur santé et sont bien moins au courant des conseils médicaux à suivre. Ce n'est qu'un petit exemple mais pour moi significatif. Le sexisme de notre société profite à une organisation sociale, à un tout, mais pas forcément à ses sujets (femmes ou hommes). De plus, même si les hommes bénéficient d'une meilleure rémunérations pour les hommes, pas victimes du harcèlement de rue etc, je pense que c'est rabaissant de ne pas vouloir prendre en compte le mal-être psychologique et la pression à avoir un comportement digne de ce nom (être un homme viril) dont souffre les hommes (à égalité avec les femmes). Je considère qu'une bonne paie ne va pas forcément effacer/compenser un mal être perso face aux attentes que les autres (= la société) a par rapport au comportement genré à adopter pour être accepté..
Bref je suis plus pour un mouvement qui engloberait plus les hommes dans la démarche, et ça passerait déjà par le titre pour commencer.. Je pense que c'est mon côté bisounours poney licorne mais j'ai le sentiment que de mener les chose seulement par la confrontation et en critiquant LES hommes (comme s'ils représentaient une unité, alors que les féministes elles-mêmes n'aiment pas être perçue comme une unité) que les choses vont réellement progresser. Je crois que ça freine juste l'évolution des choses en débats stériles de rester sur la thématique hommes vs femmes. Je pense que la déconstruction de ces comportements passe par une prise de conscience collective que le changement peut être favorable pour tous.
Salut et bienvenue sur le topic !
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Alors. Il y a plein de choses dans ton post, je vais essayer de répondre au maximum.
On va commencer par le terme "la guerre des genres". En fait, tu n'entendras jamais cette expression utilisé par une féministe - en tout cas, aucune que je connaisse et jamais autrement que pour s'en moquer. Le féminisme n'a pas pour but de dresser les femmes contre les hommes. En fait, si guerre il y a, ce serait plutôt une guerre existant depuis bien avant le féminisme, une guerre de la société entière contre le genre féminin... et les féministes tenteraient plutôt de le défendre.
Il est vraiment crucial de saisir la nuance entre "les hommes" en tant qu'individus et "les hommes" en tant que classe sociale, en tant que construction. Bien sûr, ce n'est pas évident parce que les individus hommes appartiennent à la classe, donc dès qu'on parle des hommes en tant que classe sociale, certain-e-s crient à la généralisation, aux stéréotypes, et disent que "les féministes n'aiment pas les généralisations sur les femmes, alors pourquoi en faire sur les hommes, c'est aussi mal, c'est du sexisme aussi". En fait, un truc que j'ai appris en lisant pas mal sur le féminisme, l'anti-racisme, etc, et qu'on ne nous apprend jamais, c'est ceci : les généralisations ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. C'est leur nature et leur utilisation qui peut poser problème.
Prenons une généralisation : "les femmes sont très soucieuses de leur apparence". Imaginons plusieurs utilisations de cette généralisation :
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[li]une réunion au boulot, on attend la dernière personne invitée qui se trouve être une femme, et une personne présente, qui ne connaît pas particulièrement cette femme dit : "haha, elle doit être en train de retoucher son maquillage !" Tout le monde rigole sauf une femme présente à la table qui se voit rétorquer "ouais, enfin c'est bien connu que les femmes sont très soucieuses de leur apparence, tu ne peux pas dire le contraire ?"[/li]
[li]une fille sort de chez elle en jogging et les cheveux en vrac pour acheter du pain. Son coloc lui sort : "tu vas pas sortir comme ça ? Une vraie femme se soucie de son apparence !"[/li]
[li]pendant un TP de chimie, une fille est en binôme avec un mec qui fait tout à sa place. Elle lui fait remarquer qu'elle aimerait bien faire sa part, et il lui répond "mais c'est pour pas que tu te taches, je sais que vous les filles, vous êtes tellement soucieuses de votre apparence !"[/li]
[li]une féministe part du constat que les femmes sont très soucieuses de leur apparence et s'interroge sur les causes, les mécanismes et les conséquences de ce culte de la beauté féminine (et elle écrit un bouquin qu'elle titre Beauté Fatale, par exemple).[/li]
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Bon, ben soyons claires : le dernier cas ne mettra personne en rogne (enfin si... les masculinistes ?).
Parce que, oui, les femmes, généralement, sont plus soucieuses de leur apparence que les hommes. Cependant, le problème c'est quand cette généralité est utilisé pour railler les femmes, les présenter comme stupides, justifier leur harcèlement, policer le comportement d'individus en les contraignant à rentrer dans un moule, ou prétendre qu'on peut en tirer des conclusions sur une femme à cause du comportement général des autres femmes.
Donc, oui, les féministes utilisent des généralisations sur les hommes et sur les femmes. Sur les hommes et sur les femmes en tant que classes sociales, en tant que groupe. Et quand ces généralisations mettent en avant un comportement négatif associé aux hommes (que ce soit parler davantage que les femmes et leur couper la parole dans des discussions mixtes ou le viol), des hommes (et parfois aussi des femmes) pensent que c'est la preuve que les féministes haïssent les hommes en tant qu'individus, quand elles ne font qu'énoncer des généralités qui sont des vérités ; des vérités qui nécessitent d'être dites pour qu'on puisse réfléchir dessus et les combattre. Et ce combat se résume rarement à "donc il faut tuer tous les hommes", mais plutôt à "il faut déconstruire la virilité". Quand on met ça en regard de ce que les misogynes peuvent sortir - genre, "les femmes aiment se faire belles mais du coup après faut pas s'étonner qu'elles se fassent violer", de quel côté peut-on parler de guerre ?
"Par rapport au terme féminisme, si je le remet aussi en question c'est parce que certaines féministes ont tendances à dire que les comportements genrés imposés par notre société patriarcale ne sont que profitables aux hommes." : en fait, tourné comme ça, oui, les comportements genrés sont ultra majoritairement profitables qu'aux hommes. Car ce n'est pas du tout contredit par ce que tu dis ensuite : le fait que les hommes aient une espérance de vie moindre à cause des risques qu'ils prennent, est-ce que c'est "profitable" aux femmes ? Un effet négatif pour un genre n'équivaut pas à un effet positif pour l'autre (les femmes ne sont pas ravies de voir les hommes mourir d'accidents de voiture - ça les ferait chier plutôt qu'autre chose en fait !) Cependant, un effet positif pour un genre peut entraîner un effet négatif pour le même genre - exemple, le fait que les hommes soient encouragés à être dans la compétition et à se mettre en avant est globalement positif pour les hommes, cela leur permet d'acquérir une plus grande confiance en eux que les femmes qui sont encouragées à rester en retrait MAIS s'ils n'arrivent pas à se conformer au comportement attendu d'eux, alors ils peuvent se sentir exclus, déprimés, etc.
En fait, les stéréotypes de genre sont globalement profitables aux hommes qui s'y conforment. Les femmes, qu'elles se conforment à fond aux stéréotypes de féminité ou s'en détournent complètement, vont rencontrer des difficultés dans les deux cas - si tu t'habilles de façon très féminine, on va te dire que tu es aguicheuse et qu'il ne faut pas s'étonner si les hommes te harcèlent / si tu t'habilles de façon très peu féminine, on va te traiter de lesbienne (un petit coup d'homophobie au passage), te dire de façon condescendante que tu devrais faire un effort, se moquer de toi, etc.
C'est pourquoi j'ai un petit coup de fatigue dès qu'on nous dit qu'il faut mettre davantage en avant les effets négatifs du sexisme sur les hommes pour les encourager à devenir féministes. On peut en parler, il faut en parler, mais ça ne doit pas devenir une priorité. Parce que le féminisme est une lutte contre une forme d'OPPRESSION. Ouais, je sais, ce mot fait super peur. Le dire en public, c'est s'attirer des moqueries immédiates : "ohlàlà, "oppression", tout de suite les grands mots, faut se calmer, hein, tu te sens oppressée, toi, au quotidien ?!" Ben oui, je me sens oppressée au quotidien. Moins que celles et ceux qui subissent les effets de différentes oppressions, mais je ressens bien que je n'ai pas les privilèges masculins. Bien sûr, ça prend du temps et du travail d'en prendre conscience, car cette oppression est rendue invisible, normale, acceptable.
Et donc, aller dire qu'il faut insister un maximum sur les effets négatifs du sexisme sur les hommes, comment dire... Imaginez deux groupes de personnes, certains membres du groupe 1 sont en train de tabasser certains membres du groupe 2, et les autres du groupe 1 soit rigolent, soit encouragent, soit s'en foutent et ne disent rien, soit font semblant de rien voir, soit essayent de les dissuader (mais ces derniers sont très très en minorité). Les membres du groupe 2 qui ne se font pas tabasser, sont soit terrifiés, soit regardent ailleurs et font comme si rien ne se passait, soit discutent du fait que ceux qui sont en train de se faire tabasser l'avaient peut-être cherché, soit essayent d'empêcher le passage à tabac et d'avertir les autres qui regardent ailleurs (mais ces derniers sont en minorité). Et donc là, imaginez qu'un spectateur aille voir le groupe 1 et leur dise "attendez, il faut arrêter tout de suite !! Ceux qui sont en train de tabasser le groupe 2 vont se faire mal aux poings à force de cogner ! Ils peuvent aussi se faire mal au dos en se baissant pour les cogner à terre, et puis avez-vous pensé aux effets psychologiques que ça peut entraîner de tabasser quelqu'un ?" Ben, c'est chouette d'essayer de faire quelque chose, mais le cœur du problème, ce n'est pas ça, c'est que le groupe 2 est en train de se faire tabasser.
Pour finir, quand tu parles de débats "stériles"... En fait, il serait bon de se demander pourquoi certains débats demeurent stériles. Peut-être parce qu'on n'écoute pas ce que certain-e-s apportent au débat ?
Sur le fait que le terme "féminisme" soit excluant, je laisse la parole à Crêpe Georgette qui a écrit ce billet : Pourquoi le mot humanisme ne peut remplacer le mot féminisme.
Pour aller plus loin (parce que là, j'essaye de te résumer en un post le résultat de deux ans de lectures...), si le sujet t'intéresse, je te conseille de faire des recherches sur la notion de privilège dans un contexte d'oppression (et le mieux est de ne pas se limiter au privilège masculin, mais aussi de se renseigner sur le privilège de façon générale, et prendre conscience de ceux que nous pouvons détenir : privilège blanc, privilège hétéro, privilège cisgenre, etc). Voici pour commencer deux liens sur le privilège masculin : un de Crêpe Georgette (eh oui, encore elle - qu'y puis-je si elle explique tout super bien ?) et un d'un homme féministe, Denis Colombi.
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Source : feministdisney
Traduction :
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EDIT : j'ajouterais qu'ici, on n'est pas fermées à la critique du féminisme. Car oui, il y a plein de critiques valides à faire. Notamment sur le manque d'intersectionnalité du féminisme mainstream. Mais je n'ai plus trop le temps d'en parler maintenant - si tu veux te renseigner sur la question, le sujet est vaste et passionnant ! Par exemple, sur la pertinence de l'emploi du mot féminisme, les critiques les plus intéressantes que j'ai entendues viennent de femmes noires - dont Mrs Dreydful dans cet article, et les femmes noires américaines qui ont créé le womanism...
AAAH trop de choses à raconter et pas assez de temps !! Il est 10h11 et j'ai pas encore pris mon petit déjeuner !!
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