La marquise et sa mère travaillent à obtenir la cassation de l’arrêt d’Aix, mais l’affaire de Marseille l’a cette fois coupé de son milieu.
L'affaire des petites filles va le couper de sa famille.
« Nous sommes décidés, par mille raisons, à voir très peu de monde cet hiver… » écrit le marquis en novembre 1774. Il a recruté à
Lyon et à
Vienne c
omme domestiques cinq « très jeunes » filles et un jeune secrétaire ainsi que « trois autres filles d’âge et d’état à ne point être redemandées par leurs parents » auxquelles s’ajoute l’ancienne domesticité. Mais bientôt les parents déposent une plainte « pour enlèvement fait à leur insu et par séduction ». Une procédure criminelle est ouverte à Lyon. Le scandale est cette fois étouffé par la famille (toutes les pièces de la procédure ont disparu), mais l’affaire des petites filles nous est connue par les lettres conservées par le notaire Gaufridy (voir Correspondance), publiées en 1929 par Paul Bourdin.
« Les lettres du fonds Gaufridy ne disent pas tout, écrit ce dernier, mais elles montrent nettement ce que la prudence de la famille et les ordres du roi ont dérobé à la légende du marquis. Ce n’est pas dans les affaires trop célèbres de la Keller et de Marseille, mais dans les égarements domestiques de M. de Sade qu’il faut chercher la cause d’un emprisonnement qui va durer près de quatorze années et qui commence au moment même où l’on poursuit l’absolution judiciaire des anciens scandales. On verra par la suite avec quel soin madame de Montreuil s’est préoccupée de faire disparaître les traces de ces orgies.
L’affaire est grave car le marquis a de nouveau joué du canif. Une des enfants, la plus endommagée, est conduite en secret à Saumane chez l’abbé de Sade qui se montre très embarrassé de sa garde et, sur les propos de la petite victime, accuse nettement son neveu. Une autre fille, Marie Tussin, du hameau de Villeneuve-de-Marc, a été placée dans un couvent de Caderousse, d’où elle se sauvera quelques mois plus tard. Le marquis prépare une réfutation en règle de ce qu’a dit l’enfant confiée à l’abbé, mais elle n’est pas la seule à avoir parlé. Les fillettes d’ailleurs n’accusent point la marquise et parlent au contraire d’elle
« comme étant la première victime d’une fureur qu’on ne peut regarder que comme folie ». Leurs propos sont d’autant plus dangereux qu’elles portent, sur leurs corps et sur leurs bras, les preuves de leurs dires. Les priapées de la Coste ont peut-être inspiré les fantaisies littéraires des Cent vingt jours de Sodome, mais le canevas établi par le marquis passe de loin ces froides amplifications. C’est un sabbat mené à bave-bouche avec le concours de l’office. Gothon y a probablement chevauché le balai sans entrer dans la danse, mais Nanon y a pris une part dont elle va rester toute alourdie ; les petites ravaudeuses de la marquise y ont livré leur peau au jeu des boutonnières et le jeune secrétaire a dû y faire la partie de flûte. »