Je pense que le soucis, c'est que justement, à l'époque, elle a été traitée comme si elle était coupable de ce qui se passait, et non comme la victime.
Du coup, à chaque fois que Polanski reparaît dans les médias, et que donc on parle de ce qu'il a fait, elle revit à la fois le viol et aussi la violence qu'elle a subi après coup.
(...)
En plus, je pense que malheureusement, à force d'entendre remis en question son ressenti, elle a intégré qu'elle était en partie responsable de ce qui arrivait, elle se sent donc aussi responsable de ce qui lui arrive à lui ("si je n'avais pas parlé, rien de tout ça ne serait arrivé"). Alors que bien sûr, elle n'y est pour rien, le seul et unique responsable de tout ça, c'est lui.
Je pense que c'est un peu plus compliqué que ça quand même et qu'il faut faire attention quand on parle d'elle.
J'ai lu pas mal de ses interventions et elle n'insiste pas tellement sur le fait qu'elle a été trainée dans la boue ou qu'on ne la croyait pas que sur le fait qu'on la dépossède complètement de son histoire et qu'elle a l'impression que son viol est instrumentalisé. D'ailleurs, elle n'est pas particulièrement enthouasiste face au "soutien" féministe (je l'ai même lu être très négative concernant les féministes qui brandissent son nom) car au final, les féministes la dépossèdent AUSSI de son histoire en expliquant à sa place ce qu'elle ressentirait au plus profond d'elle-même et comment elle doit très certainement vivre ceci ou cela.
Je trouve sa position assez intéressante et malheureusement trop négligée par les féministes (peut-être parce que justement, c'est pas facile à gérer d'un point de vue militant une victime qui dit "si je devais choisir entre le viol et le procès aujourd'hui, je choisirais le viol"), mais ce qui est vraiment intéressant c'est qu'elle essaye à sa manière de lutter contre l'image de la victime éternelle, brisée à vie, contre l'idée que les femmes qui ont vécu un viol sont forcément marquées au fer par la pire chose au monde qu'elles ne pourront jamais oublier, contre l'idée que s'il n'y a pas de rancoeur et de traumatisme, c'est que ce n'était pas un viol et contre l'idée qu'un violeur est forcément un monstre sadique (elle pense que Polanski ne lui voulait pas de mal, mais que ça n'annule pas pour autant le fait que c'était un viol). Elle ne veut pas que ce viol qui est arrivé il y a très très longtemps la définisse, elle ne veut pas que ce viol soit un traumatisme indélébile dont elle n'a pas le droit de sortir parce que socialement, une femme violée n'est plus que ça et elle ne veut pas que pour l'éternité, son nom soit associé à Polanski.
Mais comme au fil du temps, elle s'est rendue compte que personne ne la laissait être autre chose que "la victime de Polanski sûrement très traumatisée", elle a pris les choses en main et a décidé de faire la paix avec Polanski. Personne ne lui accorde le droit de passer à autre chose, alors elle a décidé de ne plus tenir compte de l'opinion de la société sur comment devrait réagir une victime de viol et de faire ce qu'il faut pour sa propre évolution (le pardon absolu et l'abandon de toute rancoeur peut être extrêmement régénérateur pour une personne qui a fait le chemin pour, et a priori, c'est son cas).
Je n'ai pas l'impression que ça la dérange vraiment que Polanski soit médiatisé ou ait du succès (elle a twitté "félicitations" récemment pour J'accuse par exemple), mais plutôt que ça la dérange qu'on parle d'elle et de son viol chaque fois qu'il sort un film, ce qui peut se comprendre mais n'a pas tellement l'air d'avoir été entendu par les critiques de Polanski. Ce que je trouve intéressant aussi, c'est qu'elle reste extrêmement clair sur le fait que c'était un viol, elle ne veut juste pas être vue comme une femme brisée et elle s'appuie le moins possible sur les personnes extérieures pour sa reconstruction personnelle.
Donc voilà, je pense qu'il faut faire attention quand même quand on parle de son cas à elle à ne pas sans cesse la ramener à la souffrance qu'elle aurait vécu et à ne pas supposer à sa place ce qu'elle a ressenti en se basant sur ce qu'on pense du viol, et d'ailleurs, je pense même que dans son cas à ELLE, c'est mieux de ne pas trop trop utiliser son nom à tout bout de champ parce que vous imaginez bien que c'est pas la joie d'avoir son nom accolé à celui de son violeur en permanence, même si on a fait la paix.
Elle souhaiterait l'arrêt des poursuites contre Polasnki parce que ça ne lui apporterait strictement rien à titre personnel (elle a fait la démarche de réparation, elle a déjà géré son traumatisme et en fin de compte, Polanski est déjà symboliquement reconnu comme un violeur, lui-même lui a envoyé une lettre où il disait que tout était sa faute, donc elle estime qu'il n'y a vraiment aucun intérêt pour elle qu'il soit jugé en plus) et qu'au contraire, le fait que ces poursuites existent toujours prolongent son association avec Polanski et son image de victime, ce qu'elle ne veut plus. Il faut aussi savoir qu'à la base, les poursuites contre Polanski n'étaient absolument pas son souhait, c'est une décision qu'a pris sa mère (tout à fait normal de la part d'une mère), elle était loin d'être enthousiaste à l'idée de le faire, donc effectivement si le fait de demander justice n'a jamais vraiment fait partie de son processus de reconstruction, ça n'a pas énormément de pertinence qu'on réclame justice en son nom. A l'inverse, s'il n'y avait plus de poursuites, on ne brandirait plus autant son nom et on ne parlerait plus autant à sa place.
(Pour se faire une idée assez claire de la position de Geimer, je conseille entre autres cet interview aux anglophones :
https://quillette.com/2018/01/31/nobodys-victim-interview-samantha-geimer/ )
Honnêtement, s'il n'y avait qu'elle, je trouverais ça justifié qu'on abandonne les poursuites contre Polanski à ce titre. Par contre, le gars a quand même fui la justice pendant des décennies, donc pour moi, ça devrait être ça les nouvelles charges contre lui, parce que sinon, c'est un peu trop facile de se barrer d'un pays et de faire fortune ailleurs parce qu'on est accusé de viol en attendant que ça se tasse. Et 'l'emballement médiatique" me parait justifié aussi sur le fait que la France a tranquillement protégé Polanski pendant des décennies alors qu'il avait reconnu avoir couché avec une mineure et fui la justice pour ça, je veux dire ça craint quand même énormément que des grandes personnalités le défendent becs et ongles comme ça, d'autant plus post Me Too. Donc moi, je trouve normal qu'on continue à parler de l'affaire à ce point, par contre, on ne devrait pas le faire au nom de Samantha Geimer.
Et puis maintenant qu'il n'y a pas qu'elle à s'être déclarée, ça justifie aussi qu'on continue à parler de Polanski comme d'un potentiel criminel et du fait que c'est un violeur, mais dans ce cas, Geimer n'est pas particulièrement LA victime dont il faut brandir le nom sans cesse.