@Nove Sevenson III @MissMachine et
@Ewina Je voulais justement venir poster ces liens!
Pour l'article sur Peter Norman, je le trouve absolument indécent et révoltant. Ce qui met la puce à l'oreille c'est l'auteur qui dit dans les premières lignes de la version anglaise de l'article "Je n’ai jamais vraiment fait attention à cet autre homme, blanc,
comme moi, immobile sur la deuxième marche du podium". Cette phrase annonce la couleur : l'auteur en fait une affaire personnelle sans s'en rendre compte : il veut récupérer la première place sous les projecteurs habituellement donnée aux
blancs comme lui mais qui a été exceptionnellement donnée à des noirs. Et comme ça le perturbe quand même pas mal de voir un blanc laissé dans l'ombre, il le célèbre presque plus que les deux noirs.
Le fait que cet article ait été traduit en plusieurs langues, publiés sur plusieurs sites, qu'il ait fait le buzz comme un magnifique témoignage anti-racisme montre bien la mentalité des gens qui le partagent : ne laissons pas les noirs gérer leurs gestes politiques, prenons leur place même dans la lutte contre les discriminations.
Tout le reste de l'article est indécent.
La vérité, c’est que cet homme blanc sur la photo, celui qui ne lève pas le bras, est peut-être le plus grand héros de ce fameux soir d’été 1968.
Bien sûr que c'est le plus grand héros, c'est le blanc, donc il vaut 2 noirs puissance 1000. Non mais sérieusement??? Les hommes blancs, les vrais héros de la lutte contre l'appartheid?? Cette phrase est juste révoltante car Carlos et Smith ont payé cher leur geste politique, leur photo est un symbole de la lutte des noirs américains qui montre qu'ils ont arraché à la sueur de leur front les droits civiques qu'on leur devait, que ce n'est pas un gentil système blanc qui leur a tout donné. Et par cette phrase, l'auteur essaye d'enlever au geste des deux ahtlètes noirs tout leur poids politique et culturel pour le donner au blanc Norman alors même que l'article nous explique que son vrai acte ce jour-là a été d'être
un allié, rien de plus.
Norman, lui, était un blanc d’Australie. Oui, d’Australie : un pays qui avait à l’époque des lois d’apartheid extrêmement strictes, presque aussi strictes que celles qui avaient cours en Afrique du Sud. Le racisme et la ségrégation étaient extrêmement violents, non seulement contre les Noirs mais aussi contre les peuples aborigènes.
Je ne sais pas pourquoi l'auteur insiste lourdement là-dessus car certes, c'est vrai mais Norman n'a absolument pas fait avancer la prise de conscience en Australie. Cette photo n'a rien à voir avec les aborigènes ou l'Australie, personne ne l'a jamais interprétée ainsi. Donc la ségrégation en Australie, ça me parait tellement hors-sujet dans ce contexte que j'ai juste l'impression qu'il rajoute des infos pour faire mousser Norman.
Mais ils ont bien failli ne pas porter les fameux gants noirs, le symbole des Black Panthers, qui ont finalement fait toute la force de leur geste. C’est Norman qui a eu l’idée.
Ouf, heureusement que l'Homme blanc est là pour donner de bonnes idées aux noirs. Sans le blanc, jamais cette photo n'aurait eu d'impact et n'aurait marqué le monde. Finalement, avec cette histoire de gants, Norman a sauvé l'événement car bien sûr, le geste des sportifs n'aurait jamais suffi en lui-même.
Dans la
version anglaise, il y aussi ce passage (traduit par moi) :
Mais Norman fit quelque chose d'autre "Je crois en ce que vous croyez. En avez-vous un pour moi?" demanda-t-il en pointant du doigt le badge du Projet Olympique pour les Droits Humains épinglé sur la poitrine des deux autres. "De cette manière, je pourrai montrer mon soutien à votre cause". Smith admit qu'il avait été très surpris, ruminant pour lui-même "Qui est ce mec australien blanc? Il a gagné sa médaille d'argent, est-ce que la prendre ne lui suffit pas?" Smith répondit qu'il n'en avait pas, notamment parce qu'il ne voulait pas qu'on lui enlève son badge.
Il se trouvait un autre athlète américain blanc avec eux, Paul Hoffamn, un militant pour le Projet Olympique pour les Droits Humains. Après avoir tout entendu, il pensa "si un Australien blanc me demande un badge du Projet Olympique pour les Droits Humains, alors au nom de Dieu il en aura un!" Hoffman n'hésita pas "Je lui ai donné le seul que j'avais : le mien".
Pfff, que cet athlète noir Smith est égoïste en ne voulant pas se séparer de son seul badge militant pour le donner au gentil blanc qui veut pourtant défendre sa cause! Heureusement qu'un autre gentil blanc était là et que lui n'a pas été égoïste et capricieux et a bien voulu donné le seul badge qu'il avait!
On est d'accord que la scène décrite ici est ABSOLUMENT NORMALE. En gros, un allié blanc voudrait montrer son soutien aux militants noirs en portant le symbole de leur lutte. Le militant noir qui ne connait pas cet allié blanc est circonspect car il se demande si c'est un vrai allié. Il n'a qu'un seul badge, il en a besoin pour protester, donc il refuse logiquement de le donner au blanc qui n'est de toute façon qu'un allié et devrait passer en second. Un autre allié blanc intervient alors pour donner un badge au premier allié blanc et permettre ainsi de renforcer l'acte des militants noirs. Je pense que dans toute lutte ça devrait se passer comme ça : l'allié n'a pas à prendre au premier concerné pour montrer qu'il est un gentil soutien et ça devrait donc être avec les autres alliés qu'il se partage les ressources. Norman et Hoffman ont plutôt bien agi je trouve.
Sauf que l'article renverse complètement les choses et n'explique absolument pas que c'est normal que Smith ait refusé ou qu'il se soit méfié de Norman. On dirait qu'il a mis des bâtons dans les roues à ce gentil blanc qui ne voulait que l'aider tandis que l'autre blanc a été plus perspicace.
Avec le temps, Carlos et Smith ont été considérés comme de véritables héros ayant défendu la cause de l’égalité raciale envers et contre tous. En Californie, une statue a même été érigée en hommage à ces deux athlètes aux poings levés… Sauf que l'Australien ne figure pas sur cette statue. Gommé, supprimé de l’histoire et pourtant détesté de tous en son pays, voilà ce qu’il était devenu. Son absence semble être l’épitaphe d’un héros que personne n’avait remarqué, et que l’histoire n’aura malheureusement pas retenu.
Finalement c'est le blanc qui a le plus souffert de la discrimination raciale envers les noirs, n'est-ce pas! C'est lui qui a payé le prix le plus lourd, pris le plus de risques et puis tout cela c'était pour les honneurs et les idéaux d'ailleurs, pas une lutte pour la vie, les droits civiques et l'égalité, et lui n'en a retiré aucune gloire, ce qui n'est pas juste.
Le texte semble oublier que même si Carlos et Smith ont probablement apprécié avoir une statue à leur effigie et être finalement reconnu comme des héros, ils n'ont pas fait ça "pour la beauté du geste". Leur lutte était une lutte personnelle. C'étaient eux qui subissaient les discriminations, la ségrégation, leurs enfants qui en souffriraient s'ils ne faisaient rien, leur quotidien qui était affecté. Lever le poing, ce n'était pas jouer les héros ou se battre pour "ce qu'on croit juste" mais se battre pour ses propres droits. Ils voulaient que les choses changent, pas qu'on les acclame comme des héros nationaux, surtout qu'ils devaient bien se douter que ce ne serait pas le cas. Or l'auteur semble oublier que ce combat était un combat de la vie quotidienne et non une question d'héroïsme romantique et de lauriers.
Enfin bref, ya plein d'autres points qu'on pourrait soulever. C'est ok de parler de la position de Peter Norman, c'est même intéressant de savoir qu'il était là en soutien lui aussi et que l'Australie n'a pas non plus accepté son attitude. En revanche, le ton de l'article est très problématique parce qu'il présente à plusieurs reprises la présence imprévue de Norman comme le pic du militantisme de ce soir-là, comme le plus beau et le plus glorieux qu'on puisse faire. C'est une façon de voler aux noirs américains leur propre histoire de lutte et de militantisme pour la réattribuer à un blanc.
L'auteur s'est expliqué par la suite en disant qu'il ne voulait pas faire de compétition entre les trois athlètes mais... dans les faits c'est ce qu'il fait en le présentant comme "peut-être le plus grand héros"! D'autre part, cet article est en fait l'histoire d'un bon allié qui n'a a priori jamais cherché à voler la lumière pour lui et qui a été reconnu comme allié par les premiers concerné. Mais l'article ne semble pas vouloir se contenter de ce statut d'allié et veut le transformer en militant de premier plan. Or rien ne laisse vraiment penser dans ce qu'on lit (particulièrement dans la version anglaise) que Norman ait réellement été un militant. Il a voulu montrer qu'il s'opposait à l'injustice mais il ne semble pas avoir été du genre à mener personnellement des actions ou lever la voix publiquement par lui-même. Bref, c'est comme si le seul fait d'être un blanc lui donnait le droit d'être mis au même niveau que les vrais combattants pour les droits civiques.
Donc oui, on peut parler de lui, reconnaitre ce qu'il a subi en manifestant son soutien, mais n'oublions pas que les athlètes noirs étaient les vrais militants de ce jour-là et que les risques qu'ils prenaient allaient tout de même au-delà de voir leur carrière gâchée et de sombrer dans l'alcoolisme. Un Australien blanc qui disait "je soutiens ceux qui disent stop au racisme" ne risquait pas sa vie comme un Américain noir en plein appartheid disant "je refuse la suprématie blanche" et ça, l'article semble l'oublier.
Et finalement, cet article rejoint la news sur Othello qui va être joué en toute innocence par un acteur blanc... Un autre symbole de la place culturelle des noirs dans les pays occidentaux? On le passe à la trappe et on le blanchit!
Sérieusement, entre Carlos, Smith et Othello, on atteint des sommets d'indécence. Maintenant on va tourner des films avec Nelson Mandela transformé en président blanc Afrikaneer persécuté par ses pairs pour avoir voulu donné des droits aux noirs?