C'est intéressant parce qu'on a l'interprétation complètement opposé du dessin animé et du film! Pour moi, le conte ne raconte pas une histoire toxique, le film se défend mais le dessin animé est clairement une histoire de relation toxique avec "syndrome de Stockholm" ou en tout cas gros doutes sur les mécanismes psychologiques qui poussent Belle à tomber amoureuse de la Bête, même si ça ne me dérange absolument pas que des enfants modernes le regardent car c’est pas la pire histoire du tout, et c’est une ambiance quand même bien sympa!Perso, enfant, j'adorais la Belle et la Bête. Et je ne l'ai jamais vu comme "elle tombe amoureuse de son geolier".
Un jour, j'ai lu l'interprétation des contes de fées par la psychanalise et l'interprétation faite de ce conte a résonné super fort en moi : c'est un conte qui montre que pour une jeune fille qui n'est pas prête au mariage, un homme peut être effrayant, voir repoussant.
Dans le DA, Belle n'accepte aucun des comportements malpolis de la Bête. Elle lui tient tête, elle résiste, elle le met face à ses comportements inacceptables. Quand il lui sauve la vie, elle le soigne tout en l'engueulant. Ca n'est que dans un deuxième temps qu'elle le remercie de lui avoir sauvé la vie.
Et suite à ça, la Bete cherche à s'améliorer. Il cherche comment lui faire plaisir, être plus présentable. Il entre même en empathie avec d'autres créatures, comme les oiseaux.
Et c'est là que Belle s'attache à lui.
Alors que dans le film, je trouve la Bête bien plus malpolie. Quand elle montre sa bilbiothèque, elle le fait en râlant, pas du tout dans la perspective de faire plaisir. Quand Belle dit aimer "Roméo et Juliette", la Bête roule des yeux au ciel.
C'est bien plus un rustre que dans le DA ET Belle s'éprend de lui AVANT qu'il ne change
(sans parler de ces conneries de voyage dans le temps) (par contre je trouvais intéressant le changement de Gaston de héro du village à mec traumatisé par la guerre que les villageois n'aiment pas vraiment. On y perd en représentation de la force mauvaise que peut excercer la normativité, mais pourquoi pas)
Déjà, le passé de la Bête est explicitement mentionné dans les trois versions. Dans le conte, on nous dit que c'était un homme merveilleux et bon avant sa transformation. Dans le dessin animé, que c'était un homme cruel et mauvais. Dans le film, que c'était un enfant gentil qu'un père maltraitant a transformé en homme instable. Donc dès le début, on nous explique bien que de base, la Bête du dessin animé n'est pas quelqu'un de bien. Pour moi, ça fait du dessin animé non pas un récit sur l'évolution de Belle, comme dans le conte, mais un récit de rédemption pour la Bête, et de base je trouve que c'est un problème d’utiliser l’héroïne pour réformer un homme.
Pour moi aussi, le dessin animé montre réellement une Bête beaucoup plus toxique. D'abord, elle réagit ultra violemment quand elle découvre Maurice et le met au cachot direct, refusant à Belle de faire ses adieux et trouvant tout à fait normal de prendre Belle, qui n'a rien fait de mal, à la place de son père. Dans le film, il ne s'attaque à Maurice que lorsque celui-ci tente de prendre une rose, comme dans le conte (ce qui peut être assimilé à un vol). Jusque là, il le laissait vagabonder dans le château. Ensuite, il accepte que Belle lui fasse ses adieux mais refuse qu'elle prenne la place de son père (ce qui parait légitime vu qu'elle n'a rien fait de mal). C'est elle qui force les choses.
Pour ce qui est de la relation amoureuse qui s'ensuit, je trouve particulièrement problématique dans le dessin animé que Belle se retrouve à faire l'éducation de la Bête et à jouer ses infirmières. Quand j'ai vu le dessin animé enfant, je ne savais pas encore lire et une scène m'avait beaucoup frappée. Au tout début, Gaston critique le livre que lit Belle parce qu'il n'y a pas d'images. Je comprenais que c'était censé être une remarque grotesque et bête, qui montrait que Gaston n'était pas une bonne personne parce qu'en vrai, un bon livre n'a pas d'images. Sauf qu'en tant qu'enfant qui aimait beaucoup les livres avec des images, ça me pertubait beaucoup de réaliser que c'était une remarque de "méchant". En réalité, c'est un moment un peu classiste du dessin animé car on est censés se moquer de Gaston car il ne peut comprendre une histoire que s'il y a des images : il ne sait pas lire. Donc on est dans un univers où on nous dit que ne pas savoir lire pour un homme adulte c'est ridicule... et plus tard on réalise que la Bête ne sait pas lire et que Belle doit lui apprendre. Donc en gros, la Bête n'a vraiment rien pour elle : elle est violente, rustre, analphabète, etc., tout comme Gaston sauf qu'elle sait avoir des moments gentil entre deux accès de violence (Belle doit même lui apprendre à bien se tenir à table et ne pas faire peur aux animaux comme si c’était un gamin, ce qui pour moi est extrêmement problématique à imposer à une jeune femme qui ne sait pas si elle peut partir librement sans risquer la vie de son père et la sienne). Moi, je trouve ça personnellement très questionnable car on peut vraiment se demander s'il n'y a pas un phénomène psychologique dangereux à l'oeuvre qui pousse Belle à éprouver de l'affection pour un homme qui a commencé à lui parler mal et à la menacer et n'a absolument rien en commun avec elle.
Dans le film, la Bête est un érudit, donc effectivement la Belle commence à s'intéresser à la Bête avant qu'il ne change... mais c'est justement parce qu'en réalité, la Bête est l'homme dont elle a toujours rêvé, juste caché par une apparence monstrueuse. C'est plus proche de l'esprit du conte où la Bête est en réalité un prince très beau mais aussi très intelligent. Il doit faire semblant de ne pas l'être, mais c'est bien une personne à la hauteur de Belle dans tous ses aspects. Belle ne doit pas changer la Bête pour tomber amoureuse de lui, mais simplement découvrir quel homme merveilleux il est sans se fier aux apparences. Moi je trouve en tout cas bien moins problématique que Belle tombe amoureuse d'un homme laid et bizarre qui correspond à ses critères intellectuels que d'un homme qu'elle doit simplement réparer, instruire, éduquer et sauver en mode syndrome de l'infirmière.
Ayant dit ça, j’avoue que j’avais lu un article très intéressant sur la création des heroïnes Disney de la fin du 20e siècle et ça m’avait fait reconsidérer la supposée toxicité du modèle offert par la Belle du dessin animé, et c’est aussi pourquoi je trouve le blog Le cinéma est politique souvent très pompeux et à côté de la plaque. Pour leur temps, les heroines Disney furent des révolutionnaires, fruit d’une lutte de coulisse entre les femmes créatrices et les hommes du studio.

The Women Who Brought Disney Princesses Into The 21st Century
As <i>Moana</i> continues to conquer the box office, meet some of the women who paved the way for princesses who don’t need princes or ridiculously small waists.
Et pour revenir au sujet de ce topic, cet article explique bien qu’Ariel était la première princesse de cette nouvelle génération d’heroines modernes, et l’un des dessins animés qui a ouvert le débat sur la place des femmes dans le processus créatif du studio.
Pour le personnage de Gaston, j’ai aussi ressenti l’inverse. Pour moi, dans le dessin animé, c’est un bouffon grotesque qui n’est populaire que parce qu’il est entouré de gens encore plus stupides et mesquins que lui, ce qui rendait sa masculinité bien trop excessive et irréelle pour paraître franchement terrifiante, alors que dans le film, j’ai vraiment eu l’impression que les gens l’appréciaient réellement car c’est un véritable héros, et c’est aussi un homme pas vraiment méchant au début, ce qui en fait un modèle de masculinité toxique bien plus flippant car bien trop proche de ce que vivent les femmes harcelées par “des hommes bien” dans la vraie vie! Donc pour moi, on est encore plus dans la normativité que dans le dessin animé avec cette backstory.
Pour conclure, je ne sais plus qui disait que le conte ne parlait pas du tout de l’émancipation de l’héroïne, mais je ne partage pas cet avis. Les contes de fées paraissent souvent sexistes et datées mais ils ont cela de très intéressants que ceux qui ont pour personnage principal une heroine sont des mondes de femmes où les hommes sont des concepts interchangeables plus que de vrais personnages, ce qui les rend particulièrement précieux : l’héroïne, son antagoniste et une partie de ses alliés sont souvent des femmes et ce sont leurs désirs et luttes qui sont explorés (et même dans les contes avec héros masculin, les personnages féminins sont souvent bien plus riches et puissants qu’on ne le pense).
Bref, dans le conte de La Belle et la Bête, on raconte surtout l’histoire du développement personnel d’une jeune femme qui apprend quelles valeurs contribueront vraiment à son bonheur. Ce n’est pas exactement l’émancipation mais c’est clairement un récit initiatique. Surtout que le livre parle à peine de sentiments amoureux mais plutôt de compatibilité: le mariage final c’est plutôt une façon pour Belle de choisir la vie qui la comblera le plus (aux côtés d’un partenaire bon et loyal plutôt qu’un homme beau et charismatique mais peu fiable comme les époux de ses sœurs) qu’une façon de dire que les femmes rêvent de trouver l’amour absolu.