Je trouve malheureux le positionnement de l'article qui met le verdict du procès au lieu du traitement médiatique dont il a fait l'objet dos à dos avec le mouvement #metoo. C'est, à mon sens, se tirer une balle dans le pieds.
D'une part parce que le mouvement #metoo dénonce des violences sexistes exercées, dans leur grande majorité, par des hommes cis sur des femmes cis ou cis-passing. Il dénonce la difficulté à voir sa parole crue notamment sur des ressorts sexistes. Le mouvement appelle à considérer que la parole de la victime est parfois difficilement audible à cause de biais patriarcaux. Il appelle à la déconstruction de ces biais, à la déconstruction de la culture du viol et des mythes de genre. Il dénonce la violence avec laquelle une victime de violences sexistes est traitée, même lorsqu'elle ose parler.
Le mouvement #metoo demande à chacun.e de faire pas en arrière quant à ses biais sexistes pour pouvoir lire une situation qui est persistante et, au titre du patriarcat, souvent le fruit d'un mythe social masculiniste et misogyne que des hommes cis exercent sur les femmes.
Le phénomène lié à ce procès qui s'inscrit en défaut de ce mouvement c'est le traitement médiatique de la position d'Amber Heard. Elle dénonce des violences sexistes : elle n'est pas crue, considérée comme vénale, menteuse... c'est-à-dire qu'avant même de se questionner sur la véracité de ses propos on lui applique l'ensemble des comportements que le mouvement #metoo dénonce.
Le verdict, lui, ne s'inscrit pas en opposition à #metoo. Une personne se dit victime de violences domestiques. Et sa parole est rejetée de facto, sans imaginer une seconde qu'elle soit crédible - et se avant même que le verdict ne tombe - alors même que ce rejet repose lui-même consciemment ou pas, sur des biais sexistes. Qu'on les mobilise consciemment ou pas, on appuie sur le schéma patriarcal du mythe masculiniste qui empêche certains hommes victimes de dénoncer les violences dont ils se déclarent victimes.
La culpabilité de l'un ou de l'autre n'a pas d'impact sur le mouvement #metoo. Ce que l'on fait de ce verdict, si :
- on l'utilise pour appuyer une démonstration fallacieuse selon laquelle les femmes mentiraient de manière systématique ce qui a pour conséquence de minorer le message de #metoo : ne décrédibilisez pas par défaut le discours des femmes qui dénoncent des violences conjugales et/ou domestiques sexistes dont elles se disent victimes ;
- on l'utilise en induisant que si Johnny Depp n'a pas été reconnu coupable de violences domestiques et/ou conjugales (ce qui n'est pas exactement le cœur de ce procès mais c'est une instrumentalisation du verdict qu'on retrouve même dans ce papier) c'est parce que l'on n'a pas encore réussi dans la lutte contre le patriaracat, ce qui invisibilise les violences faites aux hommes ce qui, en tant que telles est un phénomène statistiquement bien moins systémiques que les violences subies par les femmes, donc je comprends la levée de boucliers, mais en utilisant les mêmes ressorts de silenciation que ceux contre lesquels on se bat habituellement. Et ça, pour moi, c'est aussi un recul vis-à-vis des avancées du discours développé par le mouvement #metoo.
Donc non seulement je trouve la formulation du titre un peu clickbait et ne reflétant pas justement l'indispensable profondeur de réflexion qu'a pu apporté le mouvement #metoo sur la déconstruction sexiste. Mais en plus, le papier - et d'autres de grands médias ayant traité l'affaire, entendons-nous - pourrait aussi faire partie de la question :
le verdict de l'affaire JD/AH sonne-t-il le glas du mouvement #metoo à cause de l'instrumentalisation médiatique dont il fait l'objet ?
On peut être parfaitement féministe et ne pas déplorer le verdict pour ces raisons qui sont, elles aussi, basées sur la défense du mouvement #metoo et des avancées qu'il a permises et encouragées.
Et je dirais même que le discours et la réflexion féministe nous amène à considérer que la nuance nécessaire au traitement de ce verdict nous a été inculquée par le mouvement. Parce qu'on nous a appris, en tant que société (ou on se bat encore pour ça), à écouter celleux qui se disent victimes, à comprendre ce que la silenciation a de violent pour une personne se disant victime, à analyser les biais amenant à cette silenciation (parmi lesquels les stéréotypes de genre).