Elevages : Une catastrophe écologique
Catastrophe ! Le monde mange de plus en plus de viande. L'élevage industriel
émet des fleuves de polluants, fait disparaître des millions d'hectares de
biodiversité, abrite des virus mortels et, surtout, accélère dangereusement
la fièvre terrestre.
Frédéric Lewino
Pour sauver la planète, mangeons moins de viande ! L'élevage industriel qui
se développe, surtout en Asie, entraîne un coût écologique de plus en plus
insupportable. Ce qui amène plusieurs institutions, dont la Fao, à pousser
un cri d'alarme.
On oublie que, pour fabriquer un poulet, un boeuf ou un mouton,
il faut
dépenser beaucoup d'énergie en chauffage, nourriture, transport, découpe de
la viande, chaîne du froid... D'où un rejet important de gaz à effet de
serre. Auxquels il faut ajouter le méthane émis par les ruminants. Pour le
compte de l'Ademe, l'expert Jean-Marc Jancovici a chiffré la part du régime
carnivore dans la fièvre terrestre. Stupéfiant !
Le kilo de viande de veau
équivaut à un trajet automobile de 220 kilomètres ! L'agneau de lait : 180
kilomètres ! Le boeuf : 70 kilomètres ! Le porc : 30 kilomètres ! Et encore
Jancovici n'a-t-il pas comptabilisé les apports carbonés de l'emballage, du
déplacement du consommateur et de la cuisson. A titre de comparaison, la
production de 1 kilo de blé ou de pommes de terre équivaut tout juste à un
créneau en voiture.
Pour ne rien arranger, le cheptel mondial augmente au moins aussi vite que
le parc automobile. Selon le plus récent décompte de la FAO, la planète
abrite désormais 17 milliards de poulets, 1,8 milliard de moutons et de
chèvres, 1,4 milliard de bovins, 1 milliard de cochons et 1 milliard de
canards. Auxquels il faut ajouter les nombreuses autres espèces consommées :
dindes, chameaux, poissons, chiens... Le monde devient, en effet, de plus en
plus carnivore. Depuis les années 50, la consommation mondiale de viande a
quintuplé. Et même si elle stagne en Occident depuis une vingtaine d'années,
elle s'envole dorénavant dans tous les pays émergents. Les Chinois et les
Indiens ne se contentent plus de leur bol de riz ou de lentilles. Entre 1991
et 2002, les Chinois ont quadruplé leur régime carné et les Indiens l'ont
doublé. Selon la Fao, en 2030, le tiers-monde consommera près des deux tiers
de la viande mondiale. Il ne fait que suivre notre exemple avec un siècle de
retard.
Mais les méfaits écologiques des élevages intensifs ne s'arrêtent pas à la
fièvre planétaire. Le mal est plus profond. A commencer par
l'artificialisation de la nature. Voilà longtemps que les animaux ne sont
plus nourris avec de l'herbe ou des déchets.
L'élevage industriel réclame
des quantités astronomiques d'aliments qui monopolisent 29 % de la surface
terrestre sous forme de pâturage et de cultures fourragères. Ainsi, le soja
est cultivé à 90 % pour assurer l'alimentation animale. En quelques années,
rien qu'au Brésil, en Argentine, au Paraguay et en Bolivie, cette culture
s'est emparée de 40 millions d'hectares, surtout pour alimenter les bovins
européens et chinois. Or les écologistes accusent cette extension de se
faire le plus souvent au détriment de milieux naturels de grand intérêt,
comme la savane arborée brésilienne, le Chaco argentin, la forêt chiquitana
bolivienne. Depuis quelques années, c'est même la forêt amazonienne qui
recule devant de nouvelles variétés de soja appréciant le climat tropical.
En mangeant donc de la viande bien française, nous participons indirectement
à la perte de la biodiversité amazonienne. Si encore cette nouvelle
industrie enrichissait les petits paysans. Même pas. « Le boom du soja
remplace les agriculteurs par des investisseurs financiers. Ils engrangent
des bénéfices allant jusqu'à 50 % par an. Demain, ils s'en iront vers
d'autres produits plus rentables, laissant derrière eux une catastrophe
écologique et sociale », dénonce, dans La Revue durable, Marc Hufty,
enseignant-chercheur à l'Institut universitaire d'études du développement
(IUED) de Genève.
Par ailleurs, fabriquer de la viande avec du soja est un
gâchis protéique, puisqu'il faut 18 kilos de protéines végétales pour
fabriquer 1 kilo de boeuf ! La planète serait donc bien mieux nourrie avec
un régime végétarien.
C'est aussi l'élevage qui explique le succès du maïs, ce boit-sans-soif qui
vide les nappes phréatiques et rend exsangues les rivières, ce consommateur
d'engrais et de pesticides qui pollue l'air, le sol et l'eau. La Bretagne,
qui élève un cheptel faramineux de porcs et de volailles, en sait quelque
chose. « Il faudrait produire moins de viande, mieux entretenir le
territoire et gérer les cycles biologiques », dit Christian Mouchet,
professeur d'économie rurale à l'Agrocampus de Rennes. Importation de soja,
excédents de céréales. « Le résultat est une agriculture non durable qui
puise dans les ressources naturelles de façon quasi minière, économiquement
inefficace et créatrice de déséquilibres territoriaux », ajoute-t-il.
Quelques éleveurs tentent de faire marche arrière.
C'est pourtant cette voie bretonne peu recommandable qu'empruntent les pays
émergents asiatiques. Le rivage de la mer de Chine se couvre d'élevages
industriels de porcs et de volailles. Mais il y a pire que cette pollution.
Depuis quelques années, la Fao s'inquiète de la cohabitation des grands
centres urbains avec ces élevages géants. Le mélange est détonant. Hier, en
Europe, la maladie de la vache folle a fait craindre le pire. Aujourd'hui,
c'est la grippe aviaire. Lorsqu'il mutera défavorablement, le H5N1
provoquera des millions de morts dans la population humaine. Lui ou un
autre. Les virus et microbes pathogènes abrités par les animaux d'élevage
sont légion.
« En cultivant en grande quantité des protéines (poulets,
moutons...) identiques, on crée une sorte de réacteur biologique. Si un
virus est adapté à un des animaux, il sera aussi adapté à tous les autres.
Et l'élevage sera décimé », explique François Renaud, directeur du
laboratoire Génétique et évolution des maladies infectieuses (CNRS-IRD).
Louise O. Fresco, sous-directrice générale de la FAO, complète :
« La nature
transfrontière de ces maladies et leur capacité potentielle à franchir les
barrières des espèces et à toucher l'homme constituent des enjeux sérieux. »
Et de se rassurer : « La science peut faciliter un développement de
l'élevage durable, équitable et sans danger, en innovant dans une vaste
palette de secteurs. »
Certes, la science peut tout, mais l'homme reste un
fou. Comptons sur lui pour ne pas renoncer facilement à son bifteck ou à son
poulet aux champignons noirs. La santé de son estomac lui importe davantage
que celle de la planète. A moins d'une épidémie faisant des millions de
morts...
le point 22/06/06 - N°1762 - Page 68 - 1006 mots
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