Et puis c'est un peu dur de dire ça comme ça, mais je pense aussi que pratiquer le harcèlement, surtout à l'adolescence, peut être un passeport pour l'intégration sociale.
Dans mon collège en tout cas c'est comme ça que ça marchait (mais il y avait tout un contexte : c'était un collège de banlieue, plutôt défavorisé et mal réputé, où les professeurs n'avaient pas vraiment la pédagogie adaptée pour mettre en garde les élèves contre ce genre de pratiques, et où ils avaient une manière de "faire justice" qui était assez expéditive et ne résolvait pas franchement les problèmes, même si j'imagine la complexité d'une telle tâche).
Tu emmerdais les autres, tu les poussais à bout, et tu faisais partie des gens respectés, des emmerdeurs charismatiques. Tu provoquais en plus les profs, là c'est bon, tu atteignais le statut de modèle pour beaucoup de tes camarades. Enfin je ne sais pas si « modèle » est le bon mot. Je pense qu'au fond, beaucoup de personnes faisaient un peu ce que @iaoranamoana déplore : ils riaient face aux pratiques de harcèlement et aux humiliations, comme pour se protéger et ne pas se mouiller. Est-ce qu'au fond d'eux, ils cautionnaient ? J'ai des doutes, mais c'était presque un choix stratégique que de se rallier publiquement à ceux qui faisaient du mal plutôt qu'à ceux qui avaient mal. Moi je pense que j'ai fait partie de cette masse silencieuse, et même que j'ai eu des paroles très dures envers certains élèves « souffre-douleurs ». Au fond je trouvais mon attitude dégueulasse, mais je jubilais de ce que ça signifiait socialement : j'étais plutôt du côté des « dominants ». Maintenant quand je repense à certains trucs que j'ai pu dire ou faire, je me trouve odieuse, immature et lâche. Et en même temps je me souviens que j'avais beau ne pas être victime de harcèlement, le collège c'était pour moi la lutte quotidienne, j'y allais vraiment la peur au ventre tous les matins. Du coup, emmerder le monde et endosser le rôle de la petite frondeuse qui "soutient" ceux qui harcèlent, c'était ma façon à moi de me protéger. C'est pour ça que je pense qu'on ne peut pas dire que ceux qui pratiquent le harcèlement soient fondamentalement des cons (même si perso j'en étais un peu une à l'époque), je crois qu'il y a énormément de facteurs sociaux qui rentrent en compte...
PS : Bien sûr, dans ce collège, il y avait des élèves en marge (souvent ceux issus de milieux plus "aisés" ou "cultivés", ceux-là gravitaient entre eux, parallèlement à la majorité qui suivait la norme des petits caïds) qui restaient extérieurs à cette logique. Mais la majorité du collège était sous le joug des "forts", ceux qui faisaient la pluie et le beau temps au collège en choisissant les profs souffre-douleur, les élèves souffre-douleur, les rumeurs à colporter etc...
Je pense (et j'espère) qu'avec le recul, beaucoup de personnes qui ont pratiqué le harcèlement doivent réaliser qu'ils ont agi d'une façon affreusement puérile et désolante. Je ne sais par contre pas s'ils réalisent les vies qu'ils ont pu casser comme le dit @ivan. C'est tellement violent d'être pris pour cible à cette époque charnière, celle où tu te construis, où le regard des autres commence à avoir une importance cruciale...
J'imagine que tu as regardé Envoyé Spécial hier sur le sujet. Je ne sais pas ce que tu en as pensé mais j'ai trouvé le reportage constructif, surtout la partie sur la Finlande. Leurs méthodes de prévention me semblent vraiment intéressantes, j'espère que la lutte contre toutes les violences invisibles au collège va prendre de l'ampleur, c'est tellement important dans la construction identitaire...