@Fille du Feu Je ne savais pas que ça faisait 10 ans que tu étais là, j'imagine que tu as changé de pseudo du coup

Sinon, je voulais revenir sur ta métaphore de la peinture parce que j'imagine que ça explique en partie l'incompréhension entre toi et les autres sur "voir l'ensemble du tableau" vs "simplification extrême". Pour moi, les liens que tu fais entre les événements (et d'autres ici hein, pas que toi), c'est plutôt comme si tu comparais disons une peinture romantique du XIXe siècle qui se passe en mer avec une peinture du XXe siècle type Chagall qui se passe aussi en mer et que tu disais "quand on regarde vraiment, ces deux tableaux sont pareils, il y a du bleu et ça se passe en mer, le reste n'est qu'accessoire". Alors qu'en fait, c'est plutôt le décor général qui est accessoire par rapport à la fois à la posture de l'artiste, sa technique, son mouvement artistique et même l'histoire qu'il raconte (deux peintures qui se passent en mer ne racontent pas la même histoire).
Bref, je pense que cette métaphore est aussi valable en géopolitique. Si on n'a que des connaissances limitées sur une situation, qu'il nous manque des clés, et qu'on essaye de coller la grille de lecture qu'on a déjà pour d'autres événements sans savoir ce qui est valable dans le contexte qu'on a devant nous, on va passer complètement à côté de ce qui se passe, voire faire des contre-sens sans même nous en rendre compte. Parfois, un "détail" fait en fait toute la différence pour comprendre le tableau général, parce que ce n'est parce que ce "détail" semble mineur au premier coup d'oeil qu'il l'est dans les faits.
J'ai vu que que l'Ukraine laissait repartir les prisonniers russes dans leur pays car bon nombre de soldats n'ont pas du tout envie d'être là. Je me demande si c'est déjà arrivé dans l'histoire du monde que le pays envahi ait autant de peine pour les soldats envahisseurs. Qu'est ce qui se passerait si l'ensemble des soldats russes se rebellaient et déposaient les armes ?
On a tendance à l'oublier avec notre vision moderne à la fois hyper pessimiste et cynique et notre vie occidentale loin des conflits sur notre territoire, mais il y a des lois qui régissent la guerre! C'est ce qu'on appelle le droit international humanitaire et il existe depuis le 19e siècle. En fait, il implique qu'on reconnait que parfois, la guerre arrive et on ne peut pas spécialement l'interdire, c'est irréaliste. En revanche, on peut faire en sorte de dire qu'une fois la guerre terminée (ou même pendant la guerre), on trainera en justice ceux qui ont commis des crimes de guerre, donc qui n'auront pas respecté ce droit. Et le droit international humanitaire impose par exemple de bien traiter les prisonniers de guerre. C'est peut-être un peu étrange de le dire mais tuer un prisonnier de guerre, c'est interdit par exemple donc quand l'Ukraine communique sur le fait qu'elle traite correctement ses prisonniers, elle a plusieurs objectifs, dont celui de montrer au reste du monde qu'elle est le pays respectueux du droit international, contrairement à la Russie, et donc que si les autres pays tiennent à l'ordre mondial, c'est l'Ukraine qu'il faut soutenir.
En ce qui concerne le fait de libérer les prisonniers, ce qui n'est pas exactement le cas pour le moment, ce n'est pas non plus inédit. Le droit international humanitaire n'est pas sorti de nulle part, même s'il a été formalisé dans la 2e partie du 19e siècle. Avant cela, les conflits opposaient des pays qui alternaient période de guerre et de paix et dont les sociétés étaient souvent liées. Par exemple, quand la France et l'Angleterre se faisaient la guerre au 18e siècle, leurs élites étaient souvent en contact en période de paix, donc les officiers qui s'opposaient en temps de guerre avaient pu être reçus les uns chez les autres en temps de paix, ou connaitre des personnes en commun. Bref, il était donc fréquent que les prisonniers de guerre soient relâchés après un certain temps pour différentes raisons, y compris des raisons "humanitaires". C'était aussi un principe très courant de garder des prisonniers de guerre en attendant que l'autre pays fasse lui aussi des prisonniers de guerre pour pouvoir faire un échange et libérer tout le monde d'un coup. Et il y avait aussi d'autres pratiques, comme la "semi-liberté" pour les officiers où l'officier prisonnier donnait sa parole qu'il ne s'enfuierait pas et resterait prisonnier, et comme ça il avait le droit d'être hébergé chez des gens et non plus en prison, voire reçu dans la société locale et participer à des mondanités. La seule différence c'est qu'il n'avait le droit de rentrer chez lui que si le pays qui l'avait capturé le libérait formellement.
Bref, le respect des droits des prisonniers de guerre c'est une notion ancienne, et l'Ukraine s'appuie justement là-dessus pour montrer à quel point le pays respectable dans ce conflit, c'est elle.