Je lis vos débats avec intérêt mais ça me frappe quand même de voir revenir régulièrement l'argument "apprendre ça ne doit pas être amusant" (plus ou moins) ou autres considérations sur les loisirs et l'élève-consommateur qui nuiraient à l'apprentissage. Je ne comprends pas comment on peut trouver normal qu'apprendre soit fastidieux. Je ne dis pas que les élèves ont besoin d'être divertis, mais on ne fait des efforts pour atteindre son but que si ce but a un sens pour soi.
Les élèves des classes favorisées y trouvent un sens souvent largement offert par leur entourage : ils iront dans une bonne école supérieure, auront un bon métier, seront les premiers de la classe et félicités par les représentants de l'autorité éducative. Mais pour beaucoup d'élève, l'école n'a pas de sens parce qu'ils ne voient pas vraiment quel est leur avenir.
Je ne suis pas prof mais je travaille beaucoup avec les enfants et je me souviens de ce jeune de 6e en foyer d'accueil qui m'avait montré son contrôle d'Histoire où il avait eu zéro. Il avait écrit une phrase en réponse à la première question et puis plus rien. J'ai revu les questions avec lui... en réfléchissant 5 minutes, il connaissait TOUTES LES REPONSES. Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas répondu "j'ai eu la flemme" m'a-t-il dit. Donc pendant 1h, il s'est ennuyé en attendant que le temps de contrôle se termine? "Oui". Mais alors pourquoi n'avoir pas passé le temps en essayant de répondre aux questions? "Je ne sais pas".
Au début, je pensais qu'on ne pouvait pas apprendre des choses à un enfant qui refuse de travailler mais après, j'ai réalisé qu'il ne refusait pas vraiment de travailler, il ne comprenait simplement pas à quoi ça lui servait. Il connaissait tout le discours sur l'école qui donne un bon travail et tout ça. Mais dans sa tête, ça ne le concernait pas : quand on voit tous les gens autour de soi dans les difficultés, c'est difficile de se projeter ailleurs que dans cet avenir bouché, quelque soit les notes qu'on peut décrocher à l'école. Il avait 12 ans et il considérait déjà qu'il n'avait pas d'avenir.
Le seul moyen que certains avaient trouvé pour remotiver les enfants du foyer c'était de ne pas leur parler de leur avenir mais de les accrocher avec des choses qui avaient un sens pour eux. Et quand ils y voyaient un sens, ça leur donnait envie de bosser sans avoir forcément l'impression que c'était une corvée. Travailler peut être un plaisir mais malheureusement ça n'en est pas un quand on ne sait pas pourquoi on le fait.
Pour combien d'enfants les maths, la grammaire ou les exploits de Charlemagne ont un sens? Si on met de côté l'aspect "plus tard je pourrais faire des études" ou "ainsi je saurai comment bien parler le français" qui semble totalement hors de leur réalité ou de leurs besoins à de nombreux enfants, où est le sens? C'est ça qu'il faut débloquer pour que le travail paraisse légitime.
Dire "la culture ça n'a pas besoin d'être utile", je ne suis pas d'accord. C'est justement un raisonnement élitiste. La culture ne se débat pas beaucoup dans les milieux favorisés justement parce qu'elle a une utilité : c'est un marqueur social et de prestige, parce que quand on est privilégié détenir une connaissance et un savoir donne un ascendant sur les autres qu'on a la possibilité de mesurer.
L'utilité ça n'est pas forcément faire des bénéfices financiers (le côté utilité = capitaliste étant le truc le plus contesté par les grands défenseurs de la culture "pour le plaisir"), mais ça peut aussi être comprendre pourquoi tel personnage de manga est appelé par son nom de famille, d'où viennent les Perses qu'on voit dans le film 300 et qu'est-ce qui se passe dans les scandales de la Coupe du Monde de foot. Et faire comprendre aux enfants que la culture est utile, non pas dans 30 ans pour devenir un hypothétique futur de cadre d'entreprise, mais là tout de suite pour évoluer dans un monde qui leur est hostile, c'est important.
Bref ce n'était pas tant une réaction sur la réforme que sur quelques messages que j'ai vu passer