Bonjour,
Comme Querencia et quelques autres, je n’ai pas apprécié cet article et je trouve dommage qu’il ait heurté des féministes qui donnent de leurs temps bénévoles. J’ai lu l’article, plusieurs fois. Je vais essayer d’expliquer les points que j’ai trouvé déséquilibrés.
Le premier problème pour moi est l’ambiguité du traitement du sujet. Le titre « à quoi sert … » suggère un article type « société », donc j’attends quelque chose de critique et d’analyse mais le sous-titre et de plusieurs parties du texte suggère que c’est Mymy qui exprime son avis et le compare avec des lectrices. Dans le premier sous-titre, elle met des guillemets atour de déprimant. Le « je » de Mymy arrive dès le second paragraphe, elle parle de son éveil au féminisme, de son expérience de féministe sur insta, donc j’y ai compris plus un billet d’opinion qu’une analyse de société. opinion qu’elle décide de confronter à celle de la commu de Mad pour qu’on lui « expliquent un peu » pourquoi certaines suivent ces comptes. Pourtant je trouve que Mymy quitte sa position de « questionneuse » du phénomène de société quand elle écrit « Ces comptes sont déprimants, oui. ». Je lis ça comme un jugement. Elle n’a pas écrit « ces comptes me dépriment ». Par ce déséquilibre entre témoignages et analyse de société, on ne sait pas trop si c’est Mymy, la rédac-cheffe d’un magazine féminin important qui juge ou si c’est l’idée de l’article est de lire un témoignage militant parmi d’autres. L’article est rangé dans « société | le féminisme expliqué ». Je le lis plus comme un article de témoignages et cette ambiguïté m’a posé problème.
Le deuxième problème pour moi est le biais négatif contre ces comptes qui, je pense, a conduit à blesser la militante derrière @taspenséà, Coline. On en revient au titre. Plusieurs fois dans l’article Mymy porte un jugement négatif avec un champ lexical peu bienveillant avec les militant.e.s. Premier adjectif assez violent « ultra-déprimants ». Puis sous-titres, ces comptes « partagent des mauvaises nouvelles et des chiffres déprimants ». Puis « ces comptes poussent comme des champignons… », une comparaison pas très heureuse pour décrire le développement du phénomène. Puis « ils partagent majoritairement des contenus négatifs ». Quand elle mentionne celles de la Commu qui salue le courage et la ténacité des bénévoles, Mymy a choisi d’écrire « Vous avez d’ailleurs été nombreuses à saluer… » alors que j’aurais pensé, dans un article de société écrit par la rédac chef une formulation du type « Il faut saluer », « nous saluons ». Cette distanciation de Mymy (et du magazine ? - pourtant une partie du contenu édito ne le suggère pas) du travail militant de ces comptes. Le champ lexical peu bienveillant continue « infos déprimantes et témoignages atroces ». Ce dernier mot d’« atroces » est dur à lire. Les expériences de ces femmes qui témoignent sur ces comptes peuvent être difficiles mais leurs témoignages sont juste une voix posée sur des réalités de violences conjugales, etc. Mad a aussi publié son lot de témoignages d’expériences difficiles, ex :
https://www.madmoizelle.com/victime-viol-conjugal-temoignage-259893 Faut-il les qualifier d’ « atroces » ? Enfin Mymy choisit comme dernier témoignage une voix critique, qu’elle met en valeur comme « essentiel » pour pointer des « dérives » de la cancel culture. Je suis un peu amère quand Mymy finit par écrire «je suis toujours attristée, dégoûtée de voir la condescendance voire la violence dont certaines militantes peuvent faire preuve envers leurs « alliées » qui ont pour seul tort de militer différemment. ». Je n’ai pas trouvé que son article inspire la sororité envers ces militantes.
Mymy a mis plusieurs warning tout au long du texte sur « je comprends bien que ces comptes n’ont pas été créés dans l’intention de déprimer les féministes ! », « Je ne nie en aucun cas leur utilité médiatique », « ma petite bulle n’est pas la réalité de toutes », « Je ne vise pas, avec cet article, à encourager l’unfollow de ce genre de comptes. ». Pour moi, ces warnings ne sonnent pas très justes après tous les adjectifs négatifs utilisés à propos de ces comptes.
Mymy porte le magazine et sa voix est puissante. J’ai l’impression qu’elle a choisi d’utiliser un principe d’internet qu’elle semblait pourtant dénoncée « Un post du seum sera amplement relayé par rapport à une bonne nouvelle », son « seum » contre ces comptes est affiché dès le titre. La formulation du titre me semble un peu passive-agressif « A quoi servent.. ? », sous-entendu « A rien ? », « à se faire plus de mal que du bien » ? L’article semble être une tentative de se faire convaincre que ces comptes « servent à quelque chose/ à quelqu’un », avec une conclusion en demi-teinte, que je lis comme ‘ok ca sert à certaines mais suivez plutôt des trucs positifs, genre nous’. Pas très bienveillant.
Pour finir ce com’ fleuve, je trouve qu’en dehors des questions de visibilisations des inégalités et des violences de genre, l’article aurait pu aborder les mécanismes d’intériorisation des stéréotypes de genre et comment ces comptes aident à déconstruire ces stéréotypes. Ces comptes soutiennent les femmes qui subissent des situations difficiles. Ces militantes sont souvent le premier relai vers des avocats du travail, des familles, vers des associations d’aides aux victimes qu’elles aident à visibiliser et légitimiser. Il y a une formidable sororité qui se met en place autour de ces comptes. Enfin, j’aurais aimé aussi lire les victoires féministes que ces comptes ont permis. Je suis sure que les militantes dernière ces comptes auraient eu des belles histoires positives à raconter si on leur avait demandé. PayetaSchneck a ouvert le débat sur le harcèlement de rue et la loi Schiappa sur le harcèlement n’aurait peut être pas existé sans le travail formidable d’anaisbourdet. @anaisbourdet fait maintenant un super podcast Yesss sur des victoires de femmes. Coline Charpentier de @taspensea publie aussi souvent des idées pour mieux répartir la charge mentale et a publié un livre entier pour aider les couples à lutter contre ce problème, inspiré en partie des discussions autour de son compte. A rajouter à la liste de fin d'article
?
La fatigue militante qu'exprime Mymy en début d'article est un vrai sujet. La charge mentale du féminisme: sommes-nous obligées d'avoir tous les chiffres en tête pour éduquer ensuite nos amis, pères, frères, collègues ? C'est pourtant l'injection que recevra celle qui se posera en féministe dans une soirée/repas de famille...
Porter la souffrance des victimes est difficile et chacun.e. peut décider de ne pas s'impliquer pour se préserver, c'est salutaire! Sauve-toi toi-même avant de penser aux autres.
Mais le constat depuis le début du féminisme est qu'on ne peut pas trop compter sur le #heforshe pour que les droits des femmes progressent. Donc vive la sororité et vive les militantes !