Certains des arrêtés pris interdisent tous les vêtements religieux sur les places. Oui c'est une atteinte à la laïcité et à la liberté religieuse, et c'est désolant d'en arriver là. Mais du coup pas d'Islamophobie, et disparition des manifestations religieuses pour un temps (rappelons qu'un arrêté comprend une date de fin, qu'il ne concerne qu'une zone limitée).
A la base je suis pour la liberté des femmes et donc contre ces arrêtés, mais ne soyons pas naïfs, les salafistes font une propagande de fous sur internet et dans certains quartiers, comme l'on dit ici certaines, les jeunes filles musulmanes qui sont à l'heure de la puberté et donc du choix ont une certaine pression. La loi ce n'est pas neutre, savoir qu''autour d'elles une loi autre que la religion les encourage à ne pas porter le voile, ça aide. Parce qu'un "choix libre et éclairé" suppose une exposition à plusieurs options présentées équitablement, un choix ouvert. Sinon, c'est l'intégration d'une norme imposée subtilement.
Parce que c'est quand même (aussi) le moment de le dire : le corps féminin n'est jamais impur, sale, ou honteux. Le regard des hommes est rarement bestial, et s'il l'est, c'est la faute de l'homme, pas de la tenue de la femme. La pudeur est une chose. Couvrir tout son corps, ce n'est plus de la pudeur, c'est de la pudibonderie, est-ce que c'est vraiment ce que vous souhaitez? La religion est un choix respectable mais à la fin c'est l'individu qui choisit, il peut changer d'avis, évoluer. On peut être une musulmane pieuse et belle avec ou sans voile, avec ou sans burkini. Et autant sans qu'avec. L'habit ne fait pas la musulmane, ni la chrétienne ou la juive, ou l'athée d'ailleurs.
Ne soyons pas naïfs, oui il y a un projet de société, non pas derrière les femmes qui mettent un burkini, mais derrière l'entreprise des salafistes pour encourager le port du voile par la persuasion, sans violence. Pour que notre regard s'habitue à trouver cela non seulement normal et respectable en tant que choix personnel, mais normal et respectable en tant que pratique sociale, un vêtement "comme un autre", alors que oui, il est porteur d'un mode de vie patriarcal et sexiste (et chacun est libre de choisir pour lui-même un mode de vie patriarcal et sexiste, sans devoir en subir de reproches, je le rappelle).
J'en suis désolée pour celles qui choisissent le hijab et le burkini par cheminement spirituel, mais les salafistes ont instrumentalisé leur choix au service de leur cause politique, et c'est la responsabilité des politiques que de refuser cela. Ceci dit mesdames, troquez le burkini contre le maillot de bain anti-UV intégral, en vente chez notre magasin de sport préféré, et vous serez tout aussi couvertes sans crainte de la contravention. Voire la combinaison de plongée mais c'est sans doute moins confortable.
La loi Française autorise les signes religieux distinctifs (heureusement), mais elle affirme aussi que les lois de la République s'imposent aux commandements religieux. Et la culture française est beaucoup construite sur un mythe, commencé par les Lumières, poursuivi avec la Révolution et les lois de 1905 : celui de l'expulsion, plus ou moins pacifique, de l'Eglise catholique, de la visibilité publique et de son "emprise sur les consciences". Celui de la victoire de la Raison sur l'irrationnel et l'obscurantisme. Celui de la libération de la femme de l'oppression religieuse. Alors, oui, le burkini, même librement choisi, choque parce que beaucoup de gens attendent des musulmans qu'ils adoptent la norme sociale en vigueur : la religion c'est privé. Aujourd'hui les religieuses et religieux catholiques non-monastiques n'ont pas de signes distinctifs, la soutane réapparaît en réaction au voile mais elle avait quasiment disparu. La plupart des églises ne sonnent qu'une fois par semaine. Alors avec l'Islam, arrivé avec des migrants de pays où TOUTES les religions sont visibles et socialisées, l'invisibilité est devenue plus complexe. Et du coup les catholiques (qui entre temps sont devenus eux aussi une minorité religieuse en France), se mettent à ressortir les soutanes, les crucifix et tout le bazar : si eux le font, pourquoi pas nous? Et dans quelques années on vivra dans une société à l'anglo-saxonne, tous "visibles", plus ou moins communautarisée, plus ou moins pacifique. Chacun pense ce qu'il veut de cette perspective mais dans la population des "baby boomers", qui tient aujourd'hui les rênes du pouvoir, imprégnée de l'esprit anti-clérical idéalisé et de la libération des moeurs de mai 1968, ça ne passe pas.
Du reste, je m'interroge sur le discours autour de "je porte librement le burkini par pudeur et pour me rapprocher d'Allah" : la pudeur et la proximité d'Allah pourraient être satisfaites avec les vêtements cités plus haut : combi de plongée, maillot de bain intégral. Pourtant, elles choisissent le burkini. Ca veut bien dire qu'il y a aussi un objectif social, celui de manifester aux autres qu'elles sont musulmanes et pas autre chose. Et il y a aussi une autre oppression, commerciale, la même que pour l'épilation totale et le régime minceur : une businesswoman a senti qu'il y avait du fric à faire, elle a sorti un produit adapté, un marketing religieux avec une marque qui en jette (bukini : la pudeur de la burqa alors que c'est moulant, et la branchitude du bikini alors que ça n'a rien du bikini. 100% marketing. Ca aurait pu s'appeler "tenue de bain couvrante", mais c'est sûr ça marcherait moins bien), et en 2 ans les musulmanes pieuses se sont persuadées que si elles se couvrent le corps avec autre chose qu'un burkini, elles ne sont pas de bonnes musulmanes. et ça, ca m'énerve encore plus.
Bref, profondément je suis hostile à ces arrêtés parce que punaise que ça m'énerve ces diktats sur le corps féminin. Et la révolte des mecs contre la cravate obligatoire au boulot, belle laisse de chien symbolisant l'attachement du cadre au pouvoir économique, on en parle?
D'un autre côté, on est en 2016 et des intégristes musulmans, pour qui l'Islam est objectivement la vérité, le seul mode de vie valable... font leur nid dans notre pays, en se glissant dans nos libertés. En les utilisant contre nous (nous : hommes, femmes, musulmans ou pas, qui voulons vivre en paix les uns avec les autres dans le respects de nos choix). En nous poussant en créer une ligne de partage entre d'un côté les musulmans (et eux), de l'autre les non musulmans. C'est le degré 1 du processus de recrutement de Daech chez les jeunes musulmans ou convertis. Or la ligne de partage, celle que nous devons tenir, elle est simple : d'un côté, les terroristes, tous les terroristes. De l'autre, tous les autres.
Alors si les arrêtés visent expressément le burkini, non. S'ils visent tous les vêtements religieux, je veux bien m'y résigner mais à contre-coeur, pour le moins longtemps possible...