J'arrive au bout du topiiiiic ! Même si je suppose que le temps que j'écrive mon message, il y aura du nouveau à lire
J'avais posté "à chaud" en page 4, et j'ai lu tous les commentaires avec grand intérêt. Globalement, un grand merci pour vos interventions très intéressantes, pertinentes et qui m'ont beaucoup appris, que ça soit pour la construction personnelle de mon opinion ou pour comprendre le "fait social" qui fait qu'un évènement aussi absurde que l'existence d'un burkini puisse avoir autant de répercussions dans l'espace médiatique mondial et être vecteur d'autant de haine.
Mon post sera peut-être un peu (totalement ?) HS vis à vis des échanges qui viennent de se faire, étant donné que je réagis plus globalement sur les 75 pages, n'hésitez pas à me dire comment éditer/modifier mon propos si il "pollue" la conversation
Concernant mon opinion sur le burkini sensus-stricto, je ne crois pas que ça serve à quelque chose que je la détaille étant donné qu'elle a été largement partagée sur ce topic. Cependant, j'aimerais ajouter certaines choses, qui je crois, n'ont pas été abordées (mais je peux me tromper)
1) Je ne pense pas que cette polémique soit
ridicule, comme le dit Sophia Aram, même si je suis révulsée qu'elle puisse exister, ce qui est différent. Dire qu'elle est ridicule, c'est nier la souffrance potentielle des personnes qui sont concernées par le port du burkini, et par association, du voile. C'est nier l'humiliation des femmes qui ont du faire face à la violence symbolique de la police les verbalisant sur des plages, qui ont du faire face aux insultes de leur concitoyens, au shitstorm médiatique engendré, à tous les amalgames possibles les désignant comme soit stupides, oppressées, dangereuses, terroristes, méritant la déportation ou semblables aux nazis (les propos de Nadine Morano et de Jean-Pierre Arbey sont assez confus, excusez-moi).
Dire qu'elle est ridicule, c'est dire qu'elle n'est pas fondée, mais également qu'il n'y a rien derrière, ce qui est faux. A mes yeux elle souligne (à nouveau) un réel problème (spoiler : c'est pas l'islam, ni même la religion), qui apparaît extrêmement complexe : instrumentalisation de la lutte pour le droit des femmes, de la lutte contre le sexisme, du terrorisme, de la religion... par nos politiques (de tout bords!) ayant pour résultat de restreindre la liberté effective des femmes voilées, de faire du racolage électoraliste nauséabond, de libérer les paroles racistes et xénophobes, de valider ces mêmes paroles, et de fabriquer un beau bouc émissaire qui masque les problèmes politiques, économiques, écologiques ou sociétaux réels du pays. Personnellement, vu l'Histoire de l'humanité, ça me fait extrêmement peur. Sauf que moi j'ai la chance de ne pas être le bouc émissaire.
Cette parole raciste et réductrice a, à mes yeux,
- comme terreau, l'Histoire (raciste) de la France et la méconnaissance de cette histoire par une bonne partie de la population (moi comprise) : le mythe de la France uniquement blanche et catholique, l'Histoire construite sur des figures de héros, la colonisation et la décolonisation... et surement une sorte de xénophobie intrinsèque à l'être humain qui fait qu'on craint les personnes et les comportements qu'on a pas l'habitude de voir
- comme déclencheur et alimenteur (ceci n'est pas un mot) : le terrorisme islamique (dont la cause est, encore une fois, à mes yeux, plus liée à un conflit géopolitique découlant de la guerre froide et de l'instrumentalisation des fondamentalistes musulmans par la communauté internationale, pour à avoir le contrôle sur des ressources énergétiques fossiles dont la combustion influe sur le climat terrestre et donc sur les conditions d'existence même de l'être humain, qu'à un "problème intrinsèque à l'islam"), et des violences dans certaines zones urbaines (qui ont à mes yeux plus avoir avec la pauvreté, le sentiment d'abandon par la société et le racisme qu'avec l'islam).
- Comme validateur, une grande partie du discours médiatique et politique, qui ne cherche que trop rarement à expliquer les faits (ce qui n'est pas les excuser !) plutôt que de seulement les condamner et les essentialiser.
Où est la poule, où est l'oeuf, qui est responsable, comment régler le problème ? ça je ne sais pas.
2) Indépendamment de ce que je viens d'écrire avant, j'ai lu beaucoup d'interrogation vis à vis de la
laïcité, de son application dans l'espace public et notamment à l'école. Je ne sais pas si ça va apporter au débat, mais je voulais partager ce que j'en ai appris en cours de "Agir en fonctionnaire de manière éthique et responsable" (non ce n'est pas une blague
).
La laïcité (loi de 1905) repose sur deux concepts "faces d'une même pièce" : La liberté de conscience et de culte (expression de ses préférences existentielles dans les limites de l'ordre publique et de la liberté d'autrui) d'une part (article 1), et l'absence de reconnaissance des cultes, c'est à dire la séparation de l’Église et de l’État d'autre part (article 2). Si on veut que chacun soit égal face à l’État de par ses croyances, ses pratiques (ne mettant pas en cause la liberté des autres)..., l’État se doit de ne donner aucun statut légal, officiel ou institutionnel aux religions (quelles qu'elles soient, du christianisme au pastafarisme) et ne reconnait que le droit des fidèles.
Mon prof (qui n'a évidemment pas le monopole de la Vérité Absolue) définissait cette notion Française de la laïcité comme de la laïcité exclusive : l’État ne reconnait aucune religion, à l'inverse d'autres modèles de laïcité dans le monde (par exemple en Angleterre ou aux USA) qu'il appelait inclusive : on reconnait toutes les religions. Il insistait bien sur le fait que la République n'était pas fondée sur des valeurs (religions, folklore, coutume, tradition, conceptions morales auxquelles on est attaché) subjectives mais sur des principes juridiques objectifs et rationnels, soumis au principe d'examen (=révisables... comme la science !). La laïcité empêche de pouvoir transformer en loi une valeur majoritaire. On touche alors à une définition stricte de la laïcité, de neutralité religieuse de l’État, et une plus large qui est l'indépendance de l’État de toute valeur ou pensée subjective.
On est d'accord que concrètement à l'heure actuelle ça s'applique pas comme ça, sinon le président n'irait pas faire des coucous au Pape.
Concernant l'école, c'est le prof, en tant que fonctionnaire, qui est le représentant de l’État et qui doit garantir et se soumettre à la laïcité : pour garantir la liberté de conscience des élèves, il ne doit trancher aucune valeur subjective, ex : question de religion ou de politique, et doit également se soumettre au devoir de neutralité, qui est de ne pas révéler ses opinions personnelles et de différencier sa personne publique (le fonctionnaire aka frère juré de la Garde de Nuit) de sa personne privée. Les élèves, eux, font ce qu'ils veulent, tout comme leurs parents ou toute personne non fonctionnaire, du moment qu'il n'enfreint aucune loi.
Arrive ici la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux dans les écoles publiques. Elle interdit le port de signes religieux ostentatoires (= le voile, ou même une jupe trop longue parfois) mais autorise les "discrets" (= une petite croix autour du cou), et est apparemment ouvertement tournée "contre" l'Islam. Cette loi s’inscrit dans la continuité d'un nouveau questionnement sur la laïcité sous Chirac, la commission Stasi. Pour plus de précision
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_sur_les_signes_religieux_dans_les_%C3%A9coles_publiques_fran%C3%A7aises.
Personnellement, je trouve cette loi critiquable, étant donné que, sous prétexte de faire en sorte de garantir la liberté de conscience des élèves face aux autres élèves religieux, elle stigmatise les religions dont les tenues vestimentaires associées sont visibles, ce qui la rend inégalitaire et à mes yeux non-conforme à la laïcité : il y aurait des élèves qui pourrait pratiquer leur religion plus que d'autres. Ainsi, c'est pour moi source de grandes tensions religieuses, et de sentiment d'abandon et de stigmatisation par la République dès un très jeune âge de personnes musulmanes. Elle s'inscrit également au sein du problème très complexe de réussir à concilier éducation et instruction laïque pour des publics aux croyances parfois très dogmatiques, particulièrement quand on aborde l'enseignement des sciences (évolution, reproduction, sexualité...), dont le rapport Stasi faisait part, mais je ne vois toujours pas en quoi le fait d'empêcher une jeune fille de porter le voile la rendra plus encline à accepter la théorie de l'évolution...
3) J'ai très peur de ne pas réussir à m'exprimer clairement mais j'essaye :
Pour sortir de cette stigmatisation de l'Islam, ou de toute religion/principe culturel associé ou je ne sais pas quoi, tout en garantissant toutes les libertés individuelles, je pencherais en faveur d'une application stricte de la loi de 1905 et c'est tout.
Les croyances et les pratiques (religieuses ou non) sont personnelles, mais je ne vois pas pourquoi on devrait les bannir de l'espace public, à partir du moment où elles ne font du mal à personne. Pour moi, être réellement laïque, c'est voir les burkinis et les voiles ou les kippas comme ce qu'ils sont vraiment : des bouts de tissus. C'est enlever la dimension religieuse de toute pratique de son champ de vision en tant que personne extérieure à cette pratique.
J'aimerais qu'on condamne les pratiques (= forcer sa femme à mettre quoi que ce soit comme vêtement, niqab ou talon aiguille) sur des critères objectifs, et qu'on ne s'attache pas aux symboles (= le voile, le talon aiguille) qui déshumanisent les comportements et enlève aux actions leur responsabilité individuelles. Qu'on arrête de se plaindre du voile, mais qu'on dénonce les comportements des hommes (ou des femmes d'ailleurs) qui en obligent d'autres, par la pression psychologique, sociale, ou par la force, à mettre quoi que ce soit sur leur corps.
Personnellement, je suis athée, et je n'ai pas un grand amour des religions au vue de l'histoire du monde et de son magnifique potentiel d'agent massif de soumission des humains, et parce que j'ai du mal avec tout ce qui peut contraindre nos vies en n'étant pas rationnel, ou qui peut s'opposer à la construction du savoir scientifique. Idéalement, et c'est une opinion, une valeur subjective qui n'engage que moi, j'aimerais une société sans religion, sans croyance, sans superstition.
Cependant, je ne pourrais cautionner ni désirer une telle société si le moyen pour y arriver passait par l'interdiction des religions ou des pratiques religieuses, de forcer les gens à renoncer à leurs croyances et à leurs pratiques (alors qu'elles ne font de mal à personne, spoiler : recouvrir son corps de tissu). J'aimerais une société où l'humain n'a plus besoin de religion, et que le fait religieux s'en aille "de lui même", comme il est apparu "tout seul" chez Homo sapiens.
4) Concernant le pourquoi du voile... j'ai lu ça :
http://oumma.com/214746/notion-de-voile-coran
C'était très intéressant, mais j'ai pas tout compris. J'ai retenu que le voile était un symbole, et que "Loin d’être un code juridique ou un traité du licite et de l’illicite, le Coran est avant tout une incitation à une nouvelle manière d’être au monde et de faire émerger le Divin dans sa propre existence". Le port du voile est donc par définition quelque chose d'extrêmement personnel sur son rapport à Dieu, choses qui me dépassent complètement, et à la question "pourquoi portes-tu le voile ?", la réponse "parce que j'en ai envie" me satisfait pleinement.
5) Concernant la prétendue incompatibilité entre la religion, et plus particulièrement l'Islam, et le féminisme, je vous recommande de lire cet article de Zahra Ali :
http://www.academia.edu/1872856/Femmes_féminisme_et_islam_Décoloniser_décloisonner_et_renouveler_le_féminisme
que j'ai trouvé extrêmement intéressant.
... j'ai fait le post le plus long de toute la Terre, pardon