Aujourd'hui c'est le 17 octobre, ce même jour en 1961 le FLN (Front de Libération National qui est le mouvement independantiste algerien) appelait à une manifestation pacifique (le moindre objet qui pouvait servir d'arme a été interdit par le FLN) contre le couvre feu imposé aux algériens (et par extensions à tous les maghrébins), un couvre feu raciste donc. A l'époque (le couvre feu est mis en place le 5 octobre) si tu étais algérien à Paris, tu n'avais pas le droit d'être dehors entre 20h30 et 5h30 juste parce que tu étais algérien. Tu ne pouvais pas être en groupe (la peur du grand mechant communautarisme) et si tu étais proprietaire d'un cafe il devait fermer à 19h.
A l'époque, le climat est très "tendu", on est quelques mois avant la proclamation de l'indépendance (mars 1962), 75% des francais de métropole souhaitent l'indépendance, 69% en Algérie (ce sont les résultats du référendum) mais ça passe très mal au sein de l'Etat francais et de beaucoup de francais d'Algerie (les désormais nostalgiques de l'Algerie francaise que je porte dans mon cœur. Ou pas). Le préfet de police s'appelle Maurice Papon, De Gaulle lui donnera carte blanche pour "réprimer" cette manifestation.
Entre 20 et 30 000 algériens (hommes, femmes et enfants) participent à cette manifestation. Ils se regroupent à Étoile, Republique et sur le boulevard St Germain en arrivant de leurs bidonvilles. Parce que c'était une opération discrètement organisée, la préfecture ne l'apprend qu'à 16h ce jour là et envoie donc la police pour mettre fin à cette manifestation coûte que coûte. 10 000 algériens arrivent par le Pont de Neuilly (notamment des bidonvilles de Nanterre), nombreux seront jetés par dessus bord, les mains attachées, d'autres seront exécutés par balle, hommes, femmes et enfants. On ne fait pas le tri dans l'horreur.
Pendant que la police noie des algériens depuis le Pont de Neuilly, d'autres réussissent à rejoindre Republique et à entamer cette manifestation toujours pacifique du côté des algériens (je rappelle qu'aucune arme n'a été tolérée, ils ne le savent pas encore mais ils marchent vers la mort, désarmés). Ils marchent vers Opéra jusqu'à ce que les CRS les immobilisent sur les Grands Boulevards. La police frappe, arrête et tue ici aussi.
Les manifestants qui se sont regroupés à St Michel sont aussi confrontés aux violences policières. Ils sont encerclés, battus et jetés à la Seine depuis le pont St Michel (Non beaucoup ne s'y sont pas jetés volontairement, ce n'est pas vrai).
Les manifestants qui ont survécu sont parqués pendant 4 jours. On parle de 10 000 algériens enfermés au Palais des Sports, au stade de Coubertin et au Parc des expositions. On ne leur a pas distribué de jeux de sociétés pour qu'ils s'occupent, on a plutot distribués des coups, on a torture ces gens pendant 4 jours avant de les expulser vers l'Algerie. Ceux qui en sont sortis vivants en tout cas. Ces lieux d'internement ont été interdits aux journalistes, le lendemain de la manifestation le bilan officiel est de 2 morts... Les historiens français parlent aujourd'hui de 200 morts, je crois que c'est largement sous estime. (
Ici on retrouve l'intervention de Claude Bourdet au conseil municipal, attention c'est violent)
Les ouvrages qui racontent cette histoire sont systématiquement interdits jusque tres récemment. La réécriture de l'Histoire dans toute sa splendeur. C'est pourtant la répression d'Etat envers une manifestation la plus cruelle de notre Histoire contemporaine.
Il y a un rassemblement à 17h sur le pont St Michel, je ne pense pas y être. Les miens ont été jetés du Pont de Neuilly, j'y serais avec l'un des survivants.
Souvent, la question de la culpabilité vis a vis de l'Histoire jaillit et on a droit aux fameux "Mais je suis pas responsable, qu'est ce que je peux faire contre les erreurs de mes ancêtres?" Les raconter, les assumer, les mettre dans les livres d'Histoire, les interroger, les remuer jusqu'à ce qu'en sorte la vérité. Les francais nous doivent au moins ça, ne tuez pas nos parents une seconde fois en niant leurs combats et leurs histoires.