@Kaeloolagrenouille
Coucou ! je n'ai pas vécu la même chose que toi parce que les seuls pays hors de France dans lesquels j'ai vécus sont des pays africains, où si tu parles bien anglais et français tu es du "bon" côté de la force de la violence symbolique. En revanche j'ai déjà eu des cas un peu pervers où par exemple pour chercher un appartement, j'avais un propriétaire au téléphone (qui ne peut pas savoir que je ne suis pas blanche) et qui bug au moment où je lui donne mon prénom et mon nom de famille ; j'ai eu plusieurs fois eu la question de mes origines à ce moment...
Et surtout je comprends ce que tu ressens au niveau du manque de légitimité. Quand tu dis que tu essayes de compenser le fait de ne pas avoir l'air d'ici par le fait de soigner ta tenue vestimentaire par exemple, c'est fou parce que je ne l'avais même pas formulé ni même réalisé mais je fais exactement la même chose.
Du coup j'ai essayé d'analyser ce qui me pousse à faire ça, et j'ai l'impression d'avoir une partie de réponse, qui ne me plaît pas du tout parce qu'elle révèle tout le racisme et le classisme que j'ai intériorisés : quand on a ma couleur de peau, on est rapidement assigné à une classe sociale assez basse, à cause des clichés mais aussi tout simplement parce que les gens issus de l'immigration en France ont en général des conditions économiques peu favorables. Et je crois que pour ne pas être assimilée à une prolo (pour être vulgaire), j'en fais 2x plus. J'ai l'impression que le message que je veux renvoyer dans mon attitude, mes références culturelles, mon style vestimentaire, c'est : "je suis comme vous", parce que je fréquente pas mal une certaine bourgeoisie blanche et que je tiens absolument à ne pas me sentir dominée par ces gens. J'ai l'impression que pour être correctement accueillie par "mes pairs" il faut que je fournisse le double de politesse, de capital culturel, etc. que si j'étais blanche.
Je pense que c'est aussi l'attitude que mes parents, tous deux immigrés, ont transmis à leurs enfants. Faire profil bas, ne pas se faire remarquer, tout en travaillant le plus possible pour ne jamais être redevable. Surtout qu'on est trois soeurs, et ma mère avait certainement compris qu'en tant que femmes racisées on serait obligées de se battre davantage. Je pense à Noël dernier, je suis allée à Bruges avec mes parents et suite à contre-temps on a dû improviser et trouver un resto pour le 24 décembre. Le serveur dans le premier restaurant a été odieux, et je savais que si je faisais une scène mes parents allaient se décomposer, parce que c'est leur hantise de passer pour les "basanés qui foutent la merde"... Quand j'ai demandé si c'était possible d'avoir une soupe en plat plutôt qu'en entrée parce que ma mère était malade (elle est en situation d'invalidité, même si ça ne se voit pas à l'oeil nu), le serveur a répondu "quand on est malade, on ne vient pas au restaurant". Bref, pour ne pas créer un scandale parce que j'aurais sincèrement été capable d'être violente à ce moment, j'ai dit que si c'était comme ça on préférait partir. En reprenant nos affaires, on a entendu le serveur dire "On est en Belgique ici"... je crois qu'on a été à la fois victime de racisme et de ressentiment anti-français
J'étais évidemment scandalisée mais pas blessée, pas pour moi, parce qu'au fond, je me sens plutôt privilégiée par rapport à un serveur qui doit travailler un 24 décembre au soir. Mais je pense à mes parents, qui n'ont pas toujours eu la situation financière confortable qu'ils ont à présent, quand ils n'étaient que des jeunes de 17 ans pauvres qui débarquent dans un nouveau pays. A leur calme (leur passivité ?) face au racisme et aux humiliations qu'ils ont subis, je les soupçonne d'ailleurs de nous en avoir raconté qu'une infime partie. Ca me met énormément en colère.
Je parle peut-être beaucoup de classes sociales dans mon post, c'est vrai que je sépare difficilement classisme et racisme parce que dans le cas des personnes issues de l'immigration en France c'est en constante interaction.
Bon désolée
@Kaeloolagrenouille j'ai fait une grosse digression par rapport à ce que tu venais dire
En tout cas je compatis fortement avec l'injustice que tu subis dans les deux situations que tu as décrites. Surtout que pour moi ce sont des cas assez pervers dans la mesure où on ne pourra jamais prouver à quelqu'un qui n'a pas vécu les mêmes choses que c'est du racisme, mais où on le sent très profondément. J'espère sincèrement que tu vas te sentir mieux dans cette ville, et que tu trouveras des pharmaciens/dentistes qui ne te donneront pas cette impression pesante de non légitimité.